Un régulateur, Une banque, Une VaR et une seule (V) La VaR, pierre angulaire des réserves de sécurité, par Bruno Iksil

Billet invité. Bruno Iksil est l’auteur ici de « Bruno Iksil, surnommé « La baleine de Londres », nous dit ce qui s’est vraiment passé ». Il nous offre ici un nouveau feuilleton sur le contexte de ces événements.

La VaR est créée comme la pierre angulaire des réserves de sécurité qui s’imposent…

Les [produits financiers] dérivés doivent être placés en portefeuille de trading sauf exception dûment formulée. Et là encore, la SEC [Securities and Exchange Commission] fait appel à des consultants indépendants pour vérifier tous les portefeuilles de banques. Les variations de prix sur les marchés ne peuvent être ignorées. Le fait que les acteurs de marchés s’ajustent entre eux à des prix de consensus est un strict minimum. Car ensuite, il faut prévenir plutôt qu’attendre l’incident fatal qui survient tout de suite après la valorisation, risque « numéro 1 » entre tous. Il faut donc constituer des réserves d’autant plus qu’en vérité les marchés ne sont pas efficients surtout en phase de crise. Trois facteurs sont listés à l’époque. Tout d’abord les prix peuvent changer d’un jour à l’autre, et beaucoup parfois, ce qui requiert une première réserve. Là JP Morgan se distingue et propose le calcul de la VaR [Value at Risk], index qui sera adopté par toute l’industrie très vite. Deuxièmement, les autorités tout comme JP Morgan, préconisent de mesurer l’incertitude fondamentale qui existe derrière ces mêmes prix qui servent à la fois à valoriser les positions et à mesurer la VaR au fil des jours. Comment faire ? Estimer les risques de modélisation partout où des modèles mathématiques se superposent à des prix bruts de marchés, ET recourir à une entité INDEPENDANTE de l’unité qui prend les risques sur les marchés pour faire une valorisation concurrente. Troisièmement, les autorités et JP Morgan toujours, préconisent d’y ajouter une provision pour le « risque de crédit » qui prend deux aspects : le risque de liquidité ou de concentration, et le risque de défaillance d’une contrepartie. On ne parle pas encore du quatrième volet : le risque de réaction en chaine, ou le risque dit ‘systémique’, ou encore le risque de contagion.

Durant ces années là, la VaR devient simplement le premier élément de réserve, un montant « minimal », à prendre face au risque de marché primordial, à savoir la valorisation en ‘mark-to-market’ proprement dite, elle-même consensus indispensable. Alan Greenspan assoit sa crédibilité durablement en ne remontant pas les taux d’intérêt entre 1991 et 1993. Il ne s’agit pas seulement du bien-être des banquiers des grandes places financières, loin de là. Les marchés retrouvent une euphorie qu’on croyait perdue depuis 1987. Mais en novembre 1993, Greenspan prévient : une hausse des taux est proche. Les marchés ignorent l’avertissement et poursuivent leur envolée de plus belle. Les marchés de dérivés sont là, animés pas des volumes énormes, soutenus ici tant par les banques que par les hedge funds. Mais en février 1994, Greenspan remonte les taux. Et il va continuer jusqu’à la fin 94. Le marché obligataire se krache lentement mais sûrement. Greenspan avait cru déceler à l’époque les signes d’une spéculation liée au fait que les taux étaient restés trop bas un peu trop longtemps. Spéculation ou pas, la correction sur les marchés obligataires cause des pertes dans les grandes banques, entraîne le report de fusions prometteuses, déclenche quelques changements à la tête des banques les plus prestigieuses. Mais le choc s’en tient là dans l’immédiat. Du côté des hedge funds, le coup reste confidentiel.

L’ampleur de la débâcle sur les marchés obligataires dans le monde entier prouvera par contre que l’interconnexion infinie entre les acteurs de marchés ne permet aucune spéculation. Le risque systémique fait sa grande entrée officielle. Certains appellent cela l’effet « papillon ». Cette remontée des taux de la Fed va déclencher une violente crise au Mexique en 1995 qui ira ensuite se déverser dans les pays d’Asie du Sud Est en 1997. Le choc sur les populations sera dévastateur, sordide, injuste. Cela conduit aussi à un choc déflationniste qui va atteindre l’Europe bien sûr mais surtout le Brésil et la Russie début 1998. Une chose déjà est sûre : la VaR ne reflète en effet qu’un risque « minimal » au jour le jour, presque myopique. Mais la VaR devient aussi la jauge du danger financier véhiculé à travers les créneaux horaires 24/24 7j/7j. Et lorsque la perte se réplique jour à près jour, elle finit par déclencher un tsunami financier dont le vecteur sans conteste est le marché des produits dérivés à travers toute la planète.

(à suivre … )

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