Un régulateur, Une banque, Une VaR et une seule (VII) Il fallait des hommes « écran », par Bruno Iksil

Billet invité. Bruno Iksil est l’auteur ici de « Bruno Iksil, surnommé « La baleine de Londres », nous dit ce qui s’est vraiment passé ». Il nous offre ici un nouveau feuilleton sur le contexte de ces événements.

La paranoïa la plus extrême était de règle. Il fallait des hommes « écran »

En fait il n’y avait aucune place laissée au hasard dans le choix de se protéger contre cette « corrélation » là. La paranoïa était de règle pour les hauts dirigeants : ils agissaient sur des montants colossaux, tel un éléphant dans un magasin de porcelaines, sous le regard avide et scrutateur de tous les traders de la planète, y compris les leurs. Le tout se passait sur des marchés toujours friands de rumeurs et de spéculations à l’emporte-pièce où la banque elle-même était un acteur de premier plan. Les leurres seraient les bienvenus en fait. Les hommes « écran » aussi seraient les bienvenus à dire vrai. Oh, ils en savaient des choses ces « écrans de fumée ». Mais au fond ils étaient des pions. Cela aussi était connu de tous tant ce risque là de « corrélation » préoccupait JP Morgan, les régulateurs, mais aussi tous les autres acteurs du marché. Et les régulateurs de leur côté ne pouvaient qu’approuver n’est-ce pas, la démarche de JP Morgan ?… Même si la transparence n’est pas de règle…

Le portefeuille de protection synthétique sur la corrélation aurait un impact sur la VaR de la firme, c’est sûr. Et compte tenu du dilemme vital pour la banque mentionné précédemment, cet impact très prévisible fut analysé sous toutes les coutures avant même que les premières grandes stratégies fussent mises en place. Faut-il s’en étonner ? Le but était de montrer, au moins avant mise en œuvre, par des simulations spécifiques, un effet salvateur quantifié et visible. Et à qui d’autres le montrer sinon le directoire et les régulateurs inquiets comme la Réserve Fédérale ou l’OCC ou la FCA/FSA ou la CFTC de l’époque ? Pourquoi les hauts dirigeants de JP Morgan auraient-ils caché une approche si pertinente à l’époque ? Mais quid de la capacité des marchés à fournir la liquidité à JP Morgan dans ce projet ? Mystère encore en 2006. Peut-être bien que « oui », ils trouveraient la taille espérée… Peut-être bien que non… Une réponse cynique consiste à dire que si les régulateurs approuvèrent ce deal de façade en 2004 avec 40% d’intangible surgi de nulle part, c’est parce que la réponse était clairement : « Non, et loin s’en faut ! ». À la question : « est-ce qu’alors d’une banque déjà trop grande pour faire défaut on avait fabriqué une banque plus grande encore ? » La réponse serait « Oui ». Mais c’est cynique et prématuré.

Cynique ou non, quelle porte de sortie la banque et les régulateurs se laissaient-ils alors ? En 2006, les marchés de dérivés de crédit étaient euphoriques, offrant des volumes de transaction en croissance exponentielle. Il fallait surfer sur cette vague là avant de baisser les bras non ? Cette protection stratégique apporterait le soutien attendu pour une dimension que personne ne connaissait encore. Dans l’intervalle, quelques bonnes années de bénéfices pourraient venir salutairement alléger le problème de départ. C’est là, dès 2005, que la maximisation des profits de la firme autour de la VaR globale prit une importance tout aussi fondamentale que l’existence même de cette protection « synthétique » qui fit donc ses tous premiers pas en 2006 sans avoir de destin clairement tracé.

(à suivre …)

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