Un régulateur, Une banque, Une VaR et une seule (VIII) JP Morgan début 2009, par Bruno Iksil

Billet invité. Bruno Iksil est l’auteur ici de « Bruno Iksil, surnommé « La baleine de Londres », nous dit ce qui s’est vraiment passé ». Il nous offre ici un nouveau feuilleton sur le contexte de ces événements.

Début 2009, la crise incite les autorités à regarder de très près le bénéfice de diversification sur la VaR chez JP Morgan

En 2007, le bilan était mitigé. Le protocole de valorisation au CIO [Chief Investment Office] pour cette protection « synthétique » [paris sur un risque encouru par d’autres] avait été adapté afin de faire une mesure de la « consommation » de VaR Value at Risk] optimale pour la firme et de faire par la suite un suivi du risque global de « corrélation » aussi rigoureux que possible. D’un côté le portefeuille de tranche du CIO permettait de booster les gains de 25%. C’était bien ! Mais de l’autre, ce gigantesque portefeuille était un nain ridicule face au bilan géant de la banque. Les marchés de dérivés de crédit avaient stoppé net leur envolée. Et déjà il fallait sortir au CIO de ces positions « synthétiques de corrélation crédit » avant qu’il ne soit trop tard…

Il était déjà trop tard fin 2007… La plupart des stratégies n’étaient pas liquidables dans les marchés sans causer des pertes qui déjà coûteraient plusieurs centaines de $million au moins. C’était facile à voir en faisant simplement l’inventaire des frais de transaction déjà occasionnés dans la routine sur l’année passée.

On savait désormais, tant du côté des régulateurs que des hauts dirigeants, que ce portefeuille était au mieux très utile en théorie, très rentable, mais qu’il ne serait jamais la planche de salut recherchée. La crise de 2008 arrive et là, protection du CIO ou pas, JP Morgan tient toujours sur sa seule ligne de vie, c’est-à-dire 40% de capital intangible surgi en janvier 2004. Jamie Dimon est appelé par les régulateurs début 2008. On se demande qui d’autre que lui à pu incarner les quelques $42 milliards de capital intangible. Dimon, homme providentiel s’il en est, reprend à des prix défiant l’imagination des actifs qui finiront par payer les coupons et le principal. Au beau milieu d’une crise calamiteuse pour tout le monde, les aubaines déboulent dans l’escarcelle de JP Morgan comme par enchantement tout au long de 2008. Bear Stearns est soldée. Lehman Brothers est démantelée. AIG est mis en sushis. Washington Mutual est bradée. Et tout ça pour JP Morgan seulement, car les autres banques ne bénéficient pas des mêmes appuis. Mais fin 2008, la norme SAFS 107 dévoile une réalité sordide : cela ne suffit pas encore. JP Morgan doit faire plus de profits encore et ce de façon tangible. Mais comment ?

Arrive l’année 2009 avec en ouverture le plus grand scandale de Ponzi scheme connu : l’affaire Bernard Madoff, $50 milliards partis en fumée dans un claquement de doigts. Quelle institution financière a-t-elle bien pu laisser passer cela ?! Ce type de fraude est pourtant surveillé comme du lait sur le feu depuis 1934. Un des principaux dépositaires des fonds Bernard Madoff était JP Morgan. Comme la SEC [Securities and Exchange Commission] qui avait été avertie par un analyste plusieurs fois déjà, la banque suspectait quelque chose depuis des années. Mais apparemment ils avaient tous laissé faire. Fallait-il faire le ménage chez Madoff ou chez JP Morgan dans cette histoire où le scandale émergea d’une façon bien étrange fin 2008 seulement. L’histoire a retenu que c’est le propre frère de Bernard Madoff qui fut pris de remords soudain. Il alla se livrer aux autorités… au bout de 20 ans, en novembre 2008… Pourquoi pas après tout… Le fait est qu’après toutes ces acquisitions faites en catastrophe et ce scandale Madoff, les registres de la firme JP Morgan méritaient bien un examen très approfondi.

Au cours du premier trimestre 2009, par une nouvelle coïncidence, la VaR du portefeuille « synthétique » protégeant la firme du risque global de « corrélation » explose littéralement de $50 millions à $160 millions (son apogée fut à la fin mars 2009). Que fait la VaR (dite « 95% ») de la firme JP Morgan elle-même à ce moment là ? La banque décrit sa VaR entre les pages 71 et 76 de son rapport 10-Q du premier trimestre 2009. En bas de page 71, la firme précise : « certains facteurs de risques tel que le risque de corrélation entre les instruments de trading de l’IB, ne sont pas complètement capturés dans la VaR ». Certes… Puis en page 73, la banque fournit des chiffres : la VaR dite « 95% » totale est de $288 millions pour la firme. La VaR de l’IB seule (trading et portefeuille crédit de l’IB) est de $213 millions. La VaR du « Corporate Risk Management » (là où se situe le CIO) est de $120 millions. On peut noter ici que la VaR moyenne du portefeuille « synthétique » de protection contre la « corrélation », présent au CIO, valait à elle seule environ $105 millions (50+160 le tout divisé par 2) soit 85% du CIO, 30% de la firme en VaR. Inratable non ? Le tableau montre mais de façon compliquée qu’un « bénéfice de diversification » existe dans la firme, en dehors de l’IB, d’un total de $154 millions. Un alinéa écrit en italiques et petits caractères spécifie que cette diversification là provient de « risques qui se compensent » mais de façon équivoque. D’où peut bien provenir cette gigantesque compensation ?

(à suivre… )

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