LE COURS NOUVEAU DES BANQUES CENTRALES, par François Leclerc

Billet invité.

La Fed entame une diminution de la taille de son bilan destinée à s’étaler dans le temps, n’allant pas jusqu’à se donner l’objectif de le ramener à sa dimension d’avant la crise. À l’opposé, la Banque du Japon continue imperturbablement son programme d’achat de titres, sans autres résultats tangibles que la monétisation de sa dette publique. Entre les deux, la BCE n’a pas encore pris sa décision.

Ce n’est pas nouveau, les banques centrales occidentales ne vont pas du même pas, mais elles ont en commun de s’adapter, forcées et contraintes, à la faiblesse incongrue de l’inflation. Une inflation joliment qualifiée de « discrète » par Mario Draghi, qui accompagne le retour de la croissance et de l’emploi. Leurs politiques monétaires extrêmement accommodantes ne l’ont pas déclenchée, et elles en sont toutes désorientées, prises à contre-pied. Dans son dernier bulletin mensuel, la BCE annonce s’attendre à des pressions additionnelles à la baisse en raison de celle des prix de l’énergie et des effets de l’appréciation de l’euro.

Quoi faire, dans ces circonstances ? Faut-il ne rien changer et s’en accommoder, au risque de favoriser l’instabilité financière, ce qui serait un comble ? La lenteur avec laquelle la Fed et la BCE semblent prêtes à diminuer leurs mesures non conventionnelles, non sans décalage dans le temps, témoigne pour le moins qu’il y a du pour et du contre. Et que le lent rythme envisagé permet à cette nouvelle situation de s’installer dans la durée. Les promesses et réalisations de l’ère précédente ne sont pas destinées à être renouvelées.

Les interrogations tentant d’expliquer la faiblesse de l’inflation ne manquent pas. La globalisation, l’innovation technologique, l’impact du commerce électronique sont entre autres sollicités pour la justifier. La progression des salaires est bien plus rarement évoquée. « D’une manière quelque peu inquiétante, personne ne connait vraiment la réponse » reconnait Claudio Borio, le responsable du département économique de la Banques des règlements internationaux (BRI). Le « mystère de l’inflation faible », « dont je ne dirais pas que le comité [de politique monétaire] comprend clairement ses causes » a reconnu également Janet Yellen, la présidente de la Fed.

Les banques centrales ne parvenant pas à ramener l’inflation à son taux d’objectif, qui se confirme être hors de portée, il est craint qu’elles soient à court de munitions quand il leur faudra à nouveau utiliser leurs outils monétaires, si elles persistent sur leur lancée. Car, rappelons-le, il ne fait pas de doute qu’une nouvelle crise surviendra à un moment ou à un autre, pour une raison ou pour une autre, et qu’il convient d’y être prêt. Faut-il abandonner la cible d’objectif de plus ou moins deux pour cent des manuels ?

Toutefois, si l’inflation n’est pas au rendez-vous, telle que les banques centrales y étaient habituées et armées pour la combattre, elle n’est pas moins présente. Pas seulement, ici ou là, sous la forme de bulles immobilières à un stade plus ou moins avancé de sa formation, pour lesquelles Mario Draghi propose d’utiliser les ressources macro-prudentielles, mais sous celle d’une surestimation globale de la valorisation et du prix des actifs financiers. Les sphères de la finance et de l’économie n’ont jamais été aussi éloignées et ce n’est pas tenable à terme. Le destin des bulles étant d’éclater, et celle-ci étant de taille gigantesque, il serait souhaitable de l’anticiper. Car sinon, pour le coup, on connaîtra le déclencheur de la prochaine crise sous sa forme aiguë !

La hausse des taux directeurs des banques centrales pourrait décourager la frénésie qui s’est emparée des investisseurs. Mais n’est-il pas trop tard pour la faire intervenir ? Les effets d’une hausse des taux seraient-ils compatibles avec leurs montages financiers ? De quoi la crise de volatilité qu’illustre l’indice VIX, surnommé l’indice de la peur, est-elle le symptôme ? L’absence de volatilité étant jugée par les analystes toute aussi inquiétante que ses accès de fièvre.

Parallèlement, les financiers parlent de la « crise de la dette », comme la Banque des règlements internationaux vient d’y faire référence, signifiant qu’elle a atteint un niveau tel qu’une hausse des taux obligataires pourrait avoir des conséquences difficiles à assumer pour ses émetteurs. Cela justifie la prudence des banques centrales lorsqu’elles engagent ou étudient la diminution de leur stock de dette.

De tous les côtés cela bloque, mais l’immobilisme est un luxe que les banques centrales ne peuvent se payer.

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