Espoir ?, par Panagiotis Grigoriou

Billet invité. Aussi sur son blog www.greekcrisis.fr

Réalités grecques dépourvues d’horizon de temps. Le vingt-et-unième siècle entamé, il s’embourbe d’emblée dans notre boue transitionnelle. En Grèce, comme ailleurs. “Tout est pareil et en même temps tout change, c’est bizarre, très bizarre que l’époque macronienne”, m’écrit l’ami Pierre depuis la France.

Finalement, l’ailleurs existe-t-il encore ? Peut-être, et alors sûrement dans le rire des musiciens. Jadis, Euterpe, en grec ancien “qui sait plaire” était la Muse qui présidait à la musique. Choses que l’on semblait avoir oubliées, sous la tempête du pire comme climat de notre époque.

Place de la Constitution. Athènes, octobre 2017

En attendant la fin (?) de la transition, nos univers… se résument et se confondent. Place de la défunte Constitution, les matinées communément respirées auraient pu presque être belles. Tout y est, nos chiens adespotes (et cependant recensés par le Service des Adespotes de la Ville d’Athènes), les prospecteurs… de prospectus, nos vendeurs de journaux de la rue car “c’est une chance pour les sans-abri” comme on aime raconter en Europe dès les années 1990. Réalités tout court, dépourvues d’horizon de temps.

Sur cette place historique, les affiches du spectacle “Alexis et Yanis”, toujours produit à Athènes depuis le printemps dernier, preuve déjà que nos comédiens autant que nos musiciens parviennent encore à nous faire rire. On s’en souvient, Alexandre Kollatos, comédien et auteur franco-grec du spectacle, avait déclaré en août à l’issue de la représentation de sa dernière satire à Égine, “Alexis et Yanis” :

“Déçu par ce couple politique que j’avais pourtant soutenu et pour lequel j’avais voté, j’ai écrit ce texte pour faire rire.” Les deux principaux personnages de la pièce sont comme on le devine, Yanis Varoufákis, ministre grec des Finances (2015), et Alexis Tsipras, Premier ministre. Le dit “pouvoir”, désormais abhorré par le sens le plus commun qu’il soit sous l’Acropole.

Nuits et jours d’automne à la partie haute de la place de la Constitution, passantes et passants, le dit “Parlement” n’impressionne plus grand monde ici. Boue transitionnelle toujours… Vingt-et-unième siècle entamé, de surcroît entièrement promis aux industries prétendument créatives et innovantes. La tempête du pire… plus l’électricité.

“Alexis et Yanis”, affiche. Place de la Constitution, Athènes, octobre 2017

 

Le dit “Parlement”. Athènes, octobre 2017

 

“industries (prétendument) créatives”. Affiche, Athènes, octobre 2017

Il n’y aurait ainsi plus matière… à innover, pour ce qui relève des attitudes humaines en tout cas. Une jeune femme, agent du fisc grec, a été sauvagement assassinée le 18 octobre, son corps a été retrouvé dans un cimetière d’Athènes par un pope (presse du 19 octobre). Puis l’autre nouvelle, laquelle a largement occupé les médias grecs cette semaine. Celle de l’assassinat, jeudi 12 octobre, de l’avocat Mihális Zafiropoulos, avocat pénaliste, figure célèbre du barreau d’Athènes, tué par arme à feu dans son cabinet par deux personnes. Comme le fait remarquer également la presse française, “un assassinat qui a semé la stupeur dans une ville où ce genre d’agression est peu fréquent”.

“Mihális Zafiropoulos, 52 ans, était très connu. Il était le fils d’un ancien président du barreau d’Athènes dans les années 80, Épaminondas Zafiropoulos, aussi ancien député du parti conservateur Nouvelle Démocratie. La victime avait représenté au cours des dernières années de nombreuses personnes dans des procès de corruption. Selon les premières informations de la police, il a été tué de sang-froid par deux personnes encagoulées qui sont entrées vers 20h10 dans son cabinet situé près du quartier populaire, également très fréquenté par des groupes anarchistes, d’Exárchia”, “Le Figaro”, daté du 12 octobre .

Finalement, et d’après la presse grecque des jours suivants, les deux assassins n’auraient pas été cagoulés, puis, durant plusieurs heures, les journalistes, les cameras et les… microphones se sont installés en face de l’immeuble abritant le cabinet de Mihális Zafiropoulos, et des fleurs ont été déposées devant sa porte.

Depuis, la vie reprend ses droits au centre-ville d’Athènes, l’avocat connu pénaliste n’est plus, le… mendiant inconnu… et pénalisé (grec ou migrant) du trottoir de la rue athénienne demeure encore à sa place, devant les boutiques fermées. Quelle Justice ?

Tempête du pire comme climat de notre époque, et en ville, comme dans ses faubourgs, les affiches vantant les mérites des écoles d’arts martiaux et d’autodéfense font de fait partie du paysage visuel, maintenant que les affiches politiques ne connaissent guère plus leur succès des années 2010-2015. Alors, “École d’Arts Martiaux et d’Autodéfense – La Légion, Welcome to the world of Martial Arts”, visiblement, il n’y aurait plus matière… à innover, toujours pour ce qui relève des attitudes humaines.

Journalistes et caméras, cabinet de Mihális Zafiropoulos. Athènes, octobre 2017

 

Fleurs déposées, cabinet de Mihális Zafiropoulos. Athènes, octobre 2017

 

Le mendiant… pénalisé. Athènes, octobre 2017

 

Enseigne fermée. Athènes, octobre 2017

 

“École d’Arts Martiaux et d’Autodéfense – La Légion”. Affiche, Athènes, octobre 2017

L’autre… (médiatiquement) grande nouvelle de la semaine, fut évidemment celle du voyage officiel d’Alexis Tsipras à Washington, et sa rencontre avec Donald Trump. Les analystes radiophoniques, par exemple de 90.1 FM et Alpha FM entre autres (16 et 17 octobre), ont largement insisté sur le fait “que seuls les États-Unis possèdent la puissance nécessaire pour ainsi extraire la Grèce du guet-apens de l’Europe Merkelochrome ; moyennant évidemment en échange la présence renforcée des États-Unis en Grèce, entre investissements, modernisation des avions de combat F-16, et la consolidation de certaines bases militaires”, (propos cités de mémoire). Géopolitique… alors !

Un dessin de presse a même présenté les deux hommes lors de leur rencontre, Donald Trump devant la Maison Blanche en tenue bien américaine (rendue célèbre par une créature de marketing par la société McDonald’s), et Alexis Tsipras aux allures de Karaghiózis, ce célèbre personnage central du théâtre d’ombres grec auquel il a donné son nom. Figure qui représente un Grec vivant pauvrement dans une cabane sous l’Empire ottoman, flânant nus-pieds et habitant très exactement en face du palais du vizir. Pour les besoins du dessin de presse, c’est alors la Maison Blanche qui remplace ce dernier.

“Karaghiózis” (Tsipras) et le “Vizir” (Trump). Quotidien “Kathimeriní”, le 17 octobre 2017

 

La rue… d’Athènes ! Octobre 2017

Vizir ou pas, la presse grecque reprend également les analyses et informations relatées par les médias américains. Au sujet de la rencontre entre Donald Trump et Alexis Tsipras, la “grande question à l’ordre du jour sera celle de l’extension de l’accord pour l’utilisation par les États-Unis de la grande base navale dans la baie de Souda, en Crète, ainsi que la modernisation de la flotte grecque d’avions militaires F-16. Cette base a un rôle stratégique décisif dans la région et d’après les plans de l’administration Trump pour combattre l’État islamique et le terrorisme, ou pour protéger les couloirs énergétiques du Moyen-Orient et du Golfe. En outre, certains sources nous ont indiqué qu’il pourrait être envisagé de créer une deuxième base militaire des États-Unis sur la côte sud de la Crète”, quotidien “Kathimeriní” (Grèce) et CNBC (États-Unis).

Sauf que la rue grecque ne se laisse plus impressionner par les états d’âme des journalistes. La Grèce, l’Europe, les États-Unis, la géopolitique, c’est certes important. Cela étant dit et sous l’exacte lourdeur de l’ordinaire grec, les sondages récents, commandés par le Parlement européen, indiquent que la participation de leurs pays à l’Union européenne est une affaire positive pour seulement 38 % des Grecs, soit vingt points de moins que ce que répondent à la même question, les autres… sujets de l’Empire européiste, presse grecque du 18 octobre. Boue transitionnelle encore !

Heureusement qu’au moins la météo de la semaine nous est plus largement familière que presque tout le reste. Au quartier de la Pláka, la vue sur l’Acropole s’offre inlassablement à la belle fenêtre si possible ouverte.

Au même moment, régions, municipalités et entreprises organisent de temps à autre leurs “Semaines du goût et de la gastronomie”, à l’instar de celle organisée au sujet de la cuisine de Thessalonique. Le marketing y est, le cœur non. Travailleurs, saisonniers ou pas, et passants, en sortent le plus souvent les visages assombris, marqués par l’amertume et par l’horizon obstrué en cette huitième année de la dite “crise grecque”. Pauvre cuisine!

“Nous sommes en train de couler – Aidez-nous”, peut-on lire sur une affiche de l’intersyndicale du personnel hospitalier du secteur public, ou encore : “La Justice a adopté un animal de compagnie” ; graffiti plus ésotérique, on dirait que l’on découvre ces derniers temps sur certains murs d’Athènes. La rue grecque et ses états d’âme.

Gastronomie de Thessalonique. Athènes, octobre 2017

 

Fenêtre ouverte. Pláka, Athènes, octobre 2017

 

Vue sur l’Acropole. Athènes, octobre 2017

 

“Nous sommes en train de couler”. Affiche, Athènes, octobre 2017

 

“La Justice a adopté un animal de compagnie”. Athènes, octobre 2017

Athènes commémore sa libération… celle d’octobre 1944. Les musiciens de bouzouki, comme du chat rebétiko peuvent certes parfois rire, sauf que ce n’est guère souvent le cas. Sous l’Acropole exactement, si l’on tend bien l’oreille, on discerne que pour ces “musiciens” de rue, vivre et survivre n’est qu’une affaire de notes à peine audibles, et leurs notes, elles ne sont pas fausses. Et pourtant…

Nos touristes, certes bienveillants, ne prennent alors ce spectacle que pour du folklore. Admirable pays, beau soleil, pêche à la ligne, marbre antique retravaillé et réutilisé dans les murs des églises, puis, ces fresques murales ajustées à notre historicité naissante. Réalités grecques dépourvues d’horizon de temps. Vingt-et-unième siècle entamé, s’embourbant dans notre boue transitionnelle. En Grèce comme ailleurs. La prochaine décennie, aura pour tâche historique de faire accoucher un monde qui refuse encore de naître… tempête du pire.

Fresque… Athènes, octobre 2017

Il n’y aurait en plus, plus matière à innover, pour ce qui relève des attitudes humaines en tout cas. Sauf peut-être via… le métanthropisme, ultime trouvaille et alors ultime temps du travail humain, quelque part déjà réellement existants.

De nombreux Grecs se voient ainsi notifier, en ce moment même, leur mise à mort économique (et parfois, mise à mort tout court), à force de ne plus pouvoir faire face aux besoins, et encore moins aux dépenses de santé. Ces scènes se déroulent dans les milliers de cabinets d’avocats, non plus pénalistes, mais désormais spécialistes des… dossiers déposés en vue de la sortie à la retraite de leurs clients.

Les lois et réglementations qui leur sont relatives changent deux à trois fois par an ; ainsi, la dernière loi-cadre datant du mémorandum Tsipras et du ministre “de gauche” Katroúgalos (2015-2016), ont paupérisé l’ensemble des futurs retraités du pays, transformant les pensions en (faible) revenu minimum d’existence, (au mieux, de 400€ par mois).

Athènes commémore sa libération… celle de 1944. Athènes, octobre 2017

 

Musicien sous l’Acropole. Athènes, octobre 2017

 

Pêche à la ligne. Sud d’Athènes, octobre 2017

 

Marbre ancien. Athènes, octobre 2017

Réalités grecques dépourvues ainsi d’horizon de temps. La fin massive du travail, son non-remplacement, si ce n’est que par le néant, supposons innovant et abouti. Ce qui est déjà nommé ou accompli à moitié, puis, ce non-dit à travers la grammaire… quelque part apocryphe des cercles dominants.

Discours, forcément sur l’avenir de l’Europe, l’européisme et autres foutaises, tout cela, jusqu’au jour où notre mutation (et celle des générations présumées futures) s’accomplira, au-delà l’actuelle boue transitionnelle… Quelle hypothèse!

Cela dit, à Athènes sous ladite “crise” (en réalité mutation), il y a ces nouveaux bistrots qui apparaissent à la place des ateliers tombés en désuétude il y a plus de deux décennies. De même, que pour ce qui est des boutiques prêchant l’homme métanthropisé : réel, symbolique et dans un sens, marchandisé et gadgétisé. Un certain peuple s’y met… et s’y soumet.

L’homme… nouveau. Athènes, octobre 2017

 

Athènes, nouveau café. Octobre 2017

Piqûre de rappel. Journal du poète Yórgos Seféris : “Jeudi, 18 août 1949. Nouvelles de Californie : le benthoscope d’Otis Berton est arrivé à 1.370 mètres. Nombreux poissons rencontrés dans les grands fonds dont la luminosité était aveuglante… Il se plaignait du froid intense qui régnait dans le benthoscope. Il me semble que c’est bien l’épiderme de la mer que nous aimons, lorsque nous disons que nous aimons la mer.”

L’épiderme de la mer, comme peut-être finalement, l’épiderme du temps. Réalités grecques (et autres) dépourvues d’horizon. Vingt-et-unième siècle entamé, boue transitionnelle. Tout est pareil et en même temps tout change ! Espoir ?

Tout est pareil et en même temps tout change. Athènes, octobre 2017
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* Photo de couverture : Musiciens. Athènes, octobre 2017
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