Un train qui déraille, filmé au ralenti…

James Cayne, le PDG de Bear Stearns a déclaré à la presse que sa firme a encaissé un coup de poing d’une puissance formidable et que sa réputation a été « foulée au pied ». Il est vrai que la saisie par Merrill Lynch d’obligations mises en gage par un « hedge fund » appartenant à Bear Stearns pour une somme qui se monte à 850 millions de dollars constitue un camouflet de taille. En fin de compte, il en fut vendu à hauteur de 100 millions de dollars seulement. Mais la nouvelle n’est pas là : l’information essentielle c’est qu’on ignore combien furent vendues pour ce montant : la cote n’a pas été divulguée. Et chacun retient son souffle.

Les organismes de tutelle exigent que les ABS (Asset–Backed Securities) adossés à des prêts hypothécaire « sous–prime » (et les CDO [Collateralized Debt Obligations] remplis d’ABS) soient comptabilisés « au juste prix », c’est–à–dire, soit au prix du marché lorsque celui–ci est connu, soit à défaut, lorsqu’il n’existe qu’une « faible liquidité », c’est–à–dire – comme dans le cas présent – lorsque ces titres sont rarement échangés, « au prix du modèle » : au prix que détermine le modèle mathématique utilisé par l’organisme financier pour évaluer ses avoirs. Or, un confrère blogueur américain révèle ce qu’il appelle « un sale petit secret » : que les ABS et CDO ne sont comptabilisés par ceux qui les détiennent ni au prix du marché ni au « au prix du modèle » mais tout simplement au prix auquel il les ont achetés. Cette situation a inspiré à un autre blogueur une longue parabole que je résume en quelques phrases : Un banquier se rend chez un paysan qui lui doit cent dollars. Quand il arrive à la ferme, le paysan, qui tient un cochon par la longe, se prépare à se rendre au marché. Il explique qu’il ne dispose pas de la somme mais qu’il remboursera le banquier sur le produit de la vente. Le banquier propose alors de l’accompagner. Arrivés au marché, ils s’aperçoivent qu’il y a là des centaines de paysans, chacun accompagné d’un cochon. La vente commence : pas d’acheteur à cent dollars du cochon. « Qui est preneur à quatre–vingt dix dollars ? » Personne. Personne à quatre–vingt, personne à soixante–dix… « Rentrons ! » dit le banquier au paysan. « Non, non : il y a encore une chance ! », répond celui–ci. « Tu ne comprends pas ! », dit le banquier qui le tire alors par la manche : « Chacun de ceux que tu vois là me doit cent dollars ! »

La cote de l’indice ABX suggère que le prix du marché des ABS de la qualité la plus basse est maintenant de 55 cents du dollar et celle des CDO de 75 cents du dollar. Le jour fatidique viendra où il faudra bien que ceux qui en possèdent dans leur portefeuille ré–évaluent celui–ci sur cette base. Un autre blogueur décrit le marché des ABS et des CDO (503 milliards de dollars émis en 2006) comme celui d’« un train qui déraille, filmé au ralenti », et il précise : « le déroulement complet [de la tragédie] prendra beaucoup de temps – probablement des mois ».

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