TRAVAIL ET REVENUS, JUSTE UNE PETITE RÉFLEXION, par Zébu

Billet invité.

Si on pose le fait que le travail disparaît, du moins le travail salarié (au profit du non-travail du capital ?), on en vient à ‘justifier’ la persistance du revenu sous forme de revenu ‘socialisé’, afin de permettre aux plus-du-tout-salariés (ou moins-salariés) de toujours pouvoir continuer à consommer avec ces revenus – même socialisés – les biens et les services proposés par l’économie.

Pour autant, il me semble que ce biais (cognitif me semble-t-il) n’est pas obligatoire : la question de la socialisation des revenus se pose en apparence parce que le travail disparaît mais aussi parce qu’on lie revenus et accès. En réalité, ce dont ont besoin les futurs moins-salariés (ou plus-du-tout-salariés), ce ne sont pas des revenus, qui continueront d’alimenter d’une part la consommation (avec le risque de surproduction là encore) mais aussi les inégalités de richesses, mais surtout d’un accès aux biens et services définis comme socialement utiles pour chacun et de la garantie de cet accès.

Prenons un exemple : le logement. Avec un revenu socialisé, le moins-travailleur continuera à devoir acquitter un loyer sur un marché locatif essentiellement guidé par la propriété privée et l’intérêt privatif et lucratif, lequel intégrera in petto le montant du revenu socialisé comme une base de définition de la formation des prix des loyers : si le revenu socialisé permet d’amortir le moins-travail, il ne résout pas la question de l’accessibilité, ni même de sa garantie, sauf à considérer que les prix deviennent administrés. À l’inverse, dans une logique de socialisation non plus des revenus mais de l’accès à des services ou biens utiles, la question n’est plus centrée sur le revenu mais sur l’accès et la répartition des richesses.

On en revient à la logique, en partie, des cotisations sociales : une partie de la valeur ajoutée (richesse créée) est socialisée, puis investie socialement dans les biens et services utiles. À mon sens, la réflexion des cotisations sociales n’a pas été développée jusqu’à terme, en bonne partie parce que cette réflexion a émergé dans un contexte qui ne permettait pas de penser autrement cette socialisation des richesses que par un… salaire différé individualisé. Je penche pour l’hypothèse que cette solution a permis un pis-aller au capitalisme post-1945, une concession nécessaire à sa survie face au communisme triomphant, sans pour autant rien céder sur l’essentiel : la salarisation (des prolétaires), l’individualisation de cette socialisation des richesses.

Rétrospectivement, ces points d’appuis concédés ont permis au capitalisme de préserver les bases d’une reconquête future qui n’a pas manqué d’être opérée à partir des années 70, cette fois-ci en posant les bases d’une remise en cause de cette socialisation puis de sa destruction (actuelle).

Si les moins-salariés continuaient néanmoins de percevoir un salaire tout en indexant une part de richesses créées en la socialisant par le biais d’investissements, les questions de l’accès aux services et biens utiles et de la garantie de l’accès ne se poseraient plus. Le salaire restant, contrepartie du travail restant, permettrait à chacun de continuer à se différencier dans ses choix consuméristes (brrrr …).

Je reprends l’exemple du logement. En lieu et place d’un revenu socialisé qui continuerait à être versé aux propriétaires privés de biens immobiliers sans pour autant résoudre la question de l’accès, de sa garantie et de l’inéquité du prix, on aurait alors une part de la richesse créée identifiée sous forme de cotisations (ou toute autre terminologie : ‘part sociale’, etc.) immédiatement investie dans la construction de logements, lesquels seraient par exemple mis à disposition à très faible loyer ou gratuitement à la fin de la période du moins-travail (par exemple), résolvant d’autant la hantise des vieux jours des locataires, le prix de l’immobilier spéculatif mais aussi les bas de laine défiscalisés en assurance-vie afin de faire face aux faibles retraites pour payer les loyers.

À titre d’information : en France en 2012, ce sont 12 milliards d’euros par an qui sont dépensés pour les allocations logement. Avec des taux de cotisations ridiculement bas, principalement assis sur les revenus du travail. En lieu et place de socialiser des revenus pour continuer d’alimenter un marché privé spéculatif, une telle masse d’investissement permettrait de créer des centaines de milliers de logements. Par an. Tout en laissant la possibilité, à ceux qui le souhaitent (ou le peuvent ?) d’accéder aussi à la propriété privée de leur logement. Vous pouvez répéter la question ?

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