LES ALLUMÉS DU JAZZ : LES TRANSMISSIONS DE PAUL JORION, N° 31, février 2013

Entretien avec Philippe Schoonbrood-Bartholomeus. Le texte entier en pdf. L’article lui-même se trouve aux pages 4 et 5.

La rencontre, de près de deux heures, s’est déroulée à « La Mort Subite », une brasserie typique de Bruxelles, à quelques pas de la Grand Place, autour de gueuzes servies à la pression !

Paul Jorion, quelques questions plus personnelles pour lancer notre entretien : quel est votre rapport aux musiques ? Votre enfance a-t-elle été baignée dans la musique ? Jouez-vous d’un instrument ?

À la maison, il y avait de la musique tout le temps, même si personne n’en jouait ou était assez doué pour en jouer… Ah si ! Mon père jouait de l’harmonica, cela se limitait à l’harmonica. Quant à moi, j’ai essayé d’apprendre des instruments de musique, sans résultat. J’ai gardé une guitare, sur laquelle je joue encore de temps en temps quelques accords, mais c’est extrêmement pénible. Je fais plutôt confiance à ceux qui peuvent jouer convenablement. Je profite de leur talent, et autour de moi, ils ont toujours été très nombreux.

Mon père écoutait beaucoup la chanson française, et ma mère la chanson anglophone, elle écoutait tout le temps la BBC (NDLR : la mère de Paul Jorion est originaire des Pays-Bas), les grands orchestres, les ballades, des voix comme celle de Jo Stafford, Bing Crosby. Il y avait du jazz, mais plutôt léger, du new-orleans, du ragtime, de grands orchestres comme ceux de Paul Whiteman, Count Basie, Duke Ellington. Mes parents n’étaient pas dans la musique expérimentale, pas de be-bop par exemple. J’ai découvert plus tard le jazz plus complexe, en me passionnant pour le free jazz, pour Ornette Coleman, Albert Ayler, Archie Shepp ou encore Pharaoh Sanders. Je dois ces découvertes aux copains qui sont devenus des gens célèbres dans le monde la musique, comme Stef Liberski, Vincent Kenis et Marc Hollander, des amis que je voyais pratiquement tous les jours, et qui me faisaient découvrir des choses que je ne connaissais pas. Ils venaient chez moi, j’allais chez eux. (1)

Le jazz, genre musical qui se distingue par l’improvisation, né de la rencontre violente de deux civilisations sur le continent américain, vous inspire-t-il sur le plan de vos travaux ?

Oui, et le jazz est bien un syncrétisme, issu de ce mélange entre l’apport africain et une musique du type européen qui a d’abord donné le ragtime, le gospel… Les Africains arrivés aux États-unis ont emporté avec eux un bagage musical, à peine déformé dans certains cas. Ainsi, dans la musique que j’ai découverte au Bénin – l’ancien Dahomey – il y a des sonorités, des phrases musicales que l’on peut trouver chez Albert Ayler ! C’est très intéressant, d’autant plus que sur le même territoire, dans les morceaux joués dans les boîtes de nuit, on retrouve des traces de musiques cubaines. À l’époque où je résidais au Bénin, le régime politique était marxiste-léniniste, avec une présence importante de militaires cubains, et les Béninois se sont littéralement passionnés pour la musique cubaine. Le style « Juju » du Nigéria voisin, qui me passionnait, était très proche de la musique traditonnelle entendue dans les villages béninois les plus reculés.

En tant que spécialiste de la formation des prix, quel est votre regard sur l’évolution de l’industrie musicale depuis la fin des années 1990 ? Pensez-vous que les nouvelles formes de production et de diffusion musicale traduisent ces nouvelles solidarités, ces nouvelles alliances entre « producteur » et « consommateur » que vous évoquez dans vos travaux ?

Cette évolution technologique a été un drame pour toute ma génération. Il a fallu se reconstituer en cédés toute notre collection de vinyls, mais tout ne se retrouvait pas. Je pense ainsi notamment au label Folkways que j’ai collectionné pendant des années. Ces productions du Smithsonian Institute, consacrées aux musiques traditionnelles américaines, avec des enregistrements extraordinaires comme ces chants de la guerre de sécession transmis de père en fils jusqu’à nous. Des archives absolument invraisemblables. Tout ce qui existait en vinyl ne s’est pas retrouvé en cédé. Et, même si on a gagné en qualité,on a quand même perdu le « scratch scratch » qui faisait partie du charme « vintage » des disques rayés, sans même évoquer les disques 78 tours cassables.

De plus, en tant qu’auteur, je me suis intéressé de près à ce mouvement spontané vers la gratuité. Une chose sympathique en soi, mais qui passe sous silence la nécessité pour celui qui écrit ou qui fait de la musique, d’être payé pour son travail. Je fais partie de cette génération qui a dû se faire à l’idée que l’argent devrait se gagner à l’occasion de concerts, dont l’équivalent, dans mon cas, sont les tournées de conférences.

Il faut bien constater que le droit d’auteur est de plus en plus difficile à exercer de nos jours. Aujourd’hui, les musiciens vivent de leur art au travers de concerts, de tournées, bien plus qu’avec la vente de disques. Je ne pense pas que ce soit un drame en soi, mais plutôt une autre manière de gagner sa vie. Quant aux législations qui tentent de criminaliser le téléchargement illégal, comme « Hadopi » en France, c’est une perte de temps frisant le ridicule. C’est avant tout la problématique de la distribution qui se pose : où trouve-t-on encore des cédés ? La plupart des disquaires ont disparu, ce qui pose toute la difficulté de l’accès aux productions musicales et rend donc cette tentative de criminalisation du téléchargement illégal caduque.

Je paie personnellement toute la musique que j’écoute parce que je sais ce que c’est de gagner sa vie en tant qu’auteur, mais c’est par solidarité, je dirais, non pas par respect de lois dépassées.

Aujourd’hui, même les groupes de presse se cherchent un modèle économique pour l’accès payant à l’information mais, sur le long terme, c’est une guerre perdue !

Que pensez-vous de ces plates-formes musicales comme ArtistShare ou Akamusic qui permettent de récolter l’argent nécessaire pour entrer en studio, enregistrer et éditer un album et transforment les auditeurs potentiels en autant de producteurs ? S’agit-il là d’une forme de réponse coopérative pour sortir du système actuel ?

Oui, absolument, il y a ainsi de nombreuses initiatives sympathiques. Mais, attention, ce n’est pas nouveau : « La Marseillaise » de Jean Renoir a été produite par la CGT, grâce à une souscription. C’est un film splendide, les souscripteurs payaient deux francs, en réalité, ils achetaient leur place de cinéma à l’avance. Ce film a ainsi été financé par une forme de mécénat citoyen. Sur mon blogue, j’ai pu vivre pendant trois ans grâce à la contribution des internautes. En rentrant des États-unis, je me suis retrouvé sans travail, sans droits aux allocations de chômage. Les lecteurs de mon blogue m’ont demandé de poursuivre le travail d’écriture et d’animation du blogue, en me versant une quote-part individuelle qui me permettait de vivre, grâce à un objectif de 2.000 € par mois. Ces formules peuvent donc fonctionner, à condition de disposer d’une audience certaine, soit des milliers de gens qui vous suivent et vous lisent. Dans mon cas, je me suis rendu compte que cela représentait environ 1/1000, une sorte de rendement typique d’internautes prêts à contribuer. C’est très peu, il faut donc disposer, comme dans mon cas, de 100.000 personnes qui suivent votre travail pour rassembler une somme de 2.000 € par mois.

En Belgique Francophone, comme dans de nombreux autres pays européens, la gauche traditionnelle sacrifie aussi la culture – autrefois « sa vache sacrée » – sur l’autel des politiques d’assainissements budgétaires. Une caractéristique propre aux décisions annoncées par la ministre de la Culture de la Fédération Wallonie Bruxelles, Fadila Laanan, est de réduire, fortement, les aides accordées à la création, dans les domaines du théâtre, des musiques dites non-classiques et de la danse. Ce choix délibéré, sans doute inspiré par son administration, doit préserver les grandes institutions. On ne peut pas ne pas tracer un parallélisme avec le monde des entreprises qui privilégient de plus en plus le paiement des dividendes aux actionnaires, plutôt que les investissements dans la recherche et le développement, soit le court terme plutôt que le long terme.

On a pris l’habitude, depuis le XIXe siècle, d’appeler les partis socialistes de « gauche ». Il faudrait que l’on cesse de faire cela. Les partis socialistes sont passés pour la plupart à droite dans les années 1970 et 1980. C’est une très mauvaise habitude de les appeler de gauche, par réflexe, alors qu’ils n’ont plus grand-chose à voir avec une politique de gauche. Ils se sont alignés sur les politiques libérales, parfois dans le cadre d’un drame national, comme ce ralliement de François Mitterand à la droite. D’ailleurs voyons ce qui se passe en France aujourd’hui : appeler le parti socialiste français de gauche, cela devrait faire rire tout le monde, même si sur le terrain, ce n’est pas comique. Ils mènent des politiques libérales, via une marchandisation à outrance, un prix s’attache à absolument tout, il n’y a pas de valeur qui ne soit traduite en un prix ! C’est une lame de fond d’extrême droite, cette extrême droite qui s’est engouffrée dans les « sciences » économiques, précisément au cours des années 1970. On oublie que l’on a donné des prix Nobel d’économie à des idéologues dangereux qui ont notamment conseillé des dictateurs comme Pinochet au Chili. (2) Il faut appeler les choses par leur nom, c’est un courant d’extrême droite, et les sciences économiques se sont alignées là-dessus.

Bien entendu, quand on évoque l’extrême droite, on a l’habitude de se représenter des Nazis qui marchent au pas, et du coup, on n’a pas voulu voir que ces gens, qui conseillaient Pinochet, disaient entre autres : « … la démocratie, c’est bien quand elle est libérale, sinon on préfère des dictatures ! ». Je cite Friedrich von Hayek là. Lui et d’autres ont été reçus dans nos démocraties, alors que nos dirigeants auraient dû leur fermer la porte au nez. J’appelle cela le fascisme en col blanc !

Une autre caractéristique des politiques culturelles menées en Belgique, mais aussi dans nos pays voisins, sur le terrain musical, est la permanence du gouffre entre les aides aux musiques de répertoire (classique, opéra) et les subventions accordées aux musiques actuelles, soit 90% contre 10% ! De cette manière, une certaine bourgeoisie ne capte-t-elle pas l’argent récolté par l’impôt, pour d’abord satisfaire ses propres goûts, minant par la même occasion les principes fondateurs de toute forme de redistribution de la richesse, ainsi que les tentatives de démocratisation de la culture ?

Je ne pense pas qu’il soit possible de « démocratiser » l’art. Pour moi, un art est démocratique aussitôt que tout le monde y a accès. Je ne pense pas que l’on puisse pousser le public dans une direction ou dans une autre. Depuis le lancement de mon blogue, j’ai opté de mettre l’accent sur les musiques populaires. Des mélodies simples, des textes simples, que les gens peuvent chantonner après les avoir entendus une première fois. Des textes mélodramatiques comme dans le country & western, ce que les Américains appellent des « tear jerkers », qui font jaillir les larmes des yeux. Ce sont des textes qui émeuvent, comme dans les chansons réalistes des années 1920, 1930, en France. Ce sont des choses que les gens peuvent comprendre. Ce qui m’intéresse, un peu comme l’écrit Pierre-Jakez Hélias dans « Le Cheval d’Orgueil » : le mélodrame des bourgeois, c’est la vie réelle des braves gens, se référant ainsi aux paysans bretons pauvres qu’il a côtoyés.

C’est bien ce genre de musique qui m’intéresse, celle qui a des racines. Et, quand ça devient du Stockhausen ou de l’Alban Berg, les gens iront de ce côté-là si ça leur convient, mais c’est une autre histoire ! Le fait que Archie Shepp ne soit pas au goût de tout le monde, moi je trouve ça tout à fait normal. Cette musique demande une certaine éducation musicale. On ne peut rien y faire. Par contre, Abba, « Waterloo » et tous leurs hits, c’est accessible à absolument tout le monde. Ce sont des mélodies que l’on comprend tout de suite, que l’on peut chanter « sing-along », en chœur, automatiquement. Je pense ainsi à ceux qui pratiquent le nivellement par le bas du répertoire classique, comme André Rieu. Cela fait plaisir de voir le visage des gens qui écoutent cela. Ils ont accès à quelque chose qui leur serait paru autrement très compliqué. Ils n’ont pas accès à l’opéra, et ils entrent dans des « aplatissements » de ce type-là sans problème. Ce n’est pas de la démocratisation, c’est une espèce de simplification d’un art un peu plus savant. De la même manière qu’avec la Flûte Enchantée ou Carmen, Mozart et Bizet ont trouvé un langage musical pour parler à tout le monde.

Mais, dans ce cas, à quoi bon un Ministère de la Culture ?

Mais, parce qu’il faut encourager les jeunes à faire de l’art, c’est important. Il faut créer un environnement qui ne laisse pas crever de faim les artistes débutants, pendant qu’ils apprennent leur métier. Éviter d’écraser d’impôts le type qui vend ses 10 premiers tableaux, sinon il n’y aura plus de nouveaux Cézanne, de Rembrandt, etc. Le problème de la marchandisation, c’est que l’on ne peut pas donner tout de suite une étiquette, avec un prix, à une œuvre… d’ailleurs, toutes ces tentatives de « ranking », de classement, de quantifications de fréquentations, c’est à mourir de rire, en tout cas, j’espère que l’on en rira de bon cœur bientôt. Il y a des choses qui ont un prix et des choses qui ont de la valeur, ce ne sont pas les mêmes. Les sciences économiques disent que l’on peut traduire une valeur en prix : eh bien non, mille fois non, ce sont deux choses distinctes. On a ainsi laissé le domaine des prix envahir celui de la valeur. Un autre prix Nobel d’économie, Gary Becker, considérait que dans un ménage, il fallait maximiser son capital en épousant la femme qui allait vous rapporter le plus d’argent, élever vos enfants de telle manière que les emplois qu’ils allaient occuper rapportent un maximum d’argent ! Pour moi, c’est clairement une fascisation de la pensée. Comme dirait Aristote, il faut laisser aux marchands l’obsession de l’argent, et aux gens normaux la conscience que leur bonheur ne se trouve pas là. On a laissé l’idéologie du tas d’or envahir notre civilisation. Ce n’est pas un problème récent, déjà Moïse, avec les Hébreux, quand il est descendu de la montagne et qu’il les a vus adorer le Veau d’Or ! C’est une vieille tentation.

Il faut aussi subventionner un véritable enseignement de l’art, et créer ainsi le contexte pour créer de véritables pépinières d’artistes, faire naître de nouveaux talents, et encourager les gens à acheter des tableaux ou aider à la création d’œuvres musicales. Cet enseignement doit permettre au nouveau d’éclore. En effet, les artistes maudits d’hier sont devenus les grands classiques d’aujourd’hui. Désormais, on enseigne Rimbaud à l’école, alors que Rimbaud c’était quand même, comment dire, un peu spécial, pas vraiment mainstream comme on dit maintenant !

Peut-on dire qu’après les Golden Sixties et la situation économique des années 1970, le monde artistique est sorti d’une certaine forme de bureaucratisation et connaît aujourd’hui un réveil douloureux ?

Il y a un réveil douloureux pour tout le monde. À commencer pour les banquiers. Aujourd’hui, on les inculpe enfin pour leurs erreurs. Nous vivons dans une société qui est en effondrement, cet effondrement touche tout le monde, et il serait étonnant que les artistes soient à l’abri de cet effondrement généralisé. L’emploi disparaît parce que le travail disparaît, à la suite de l’automation, de l’utilisation d’ordinateurs, de logiciels, de robots de plus en plus perfectionnés. Nous sommes dans une transition dramatique, et ce n’est que le début.

Je pense qu’il y a toujours eu des périodes historiques où les artistes disposent davantage de possibilités, de place. Ils peuvent s’exprimer davantage pour créer du neuf, dans des périodes comme maintenant, révolutionnaires ou prérévolutionnaires. En ce moment, ils sont dans leur élément, pour faire la différence, et encore mieux qu’auparavant. Le monde est aux artistes, c’est l’artiste qui pense le monde autrement. Comme le dit mon amie Annie Le Brun – dans un monde qui est toujours réaliste, dans un monde que l’on ramène toujours vers le réalisme – l’artiste est celui qui vient avec son imaginaire, apporte le neuf, l’invention, le fantasme, quelque chose que l’on n’a jamais vu ni entendu. Il vient briser les frontières qui existent entre différents domaines, il y a aujourd’hui de la place pour cela.

En tant que spécialiste, internationalement reconnu, des mathématiques appliquées à l’économie, des outils statistiques, de quantifications, ne pensez-vous pas que la culture et l’éducation subissent aujourd’hui les mêmes offensives, la prolongation de ces principes économiques vers d’autres sphères .

Oui tout à fait. C’est le fascisme en col blanc, la quantification, la marchandisation, c’est réducteur, cela révèle surtout une haine de l’art, de l’éducation, de l’émancipation, c’est une pensée d’extrême-droite. La haine de la pensée, de l’humain, née, entre autres, de toute cette philosophie du postmodernisme qui dérive de Heidegger, dont on me dit qu’il était Nazi par accident ?! Eh bien non, la philosophie de Heidegger est nazie ! Et, quand on remet cela à l’ordre du jour, c’est dangereux, on met en avant le pire de l’Homme. Toutes ces techniques de quantification, ces classements des universités, tous ces machins-là, c’est subordonner l’humain au règne du nombre, un nombre tout à fait abstrait, donc mettre les choses au-dessus et l’Homme en dessous, et dont le Veau d’Or est un beau symbole.

Et ces politiciens qui se disent de gauche se rendent complices, coupables des effets induits par ces politiques. On peut ainsi les soupçonner d’être de droite. En effet, il ne suffit pas de se lever le matin en se disant que l’on est de gauche, en se rasant… Il y a ensuite les actes qui révèlent une vision du monde de droite !

Ils souffrent d’une fausse conscience : ils pensent être une chose qu’ils ne sont pas. Il leur faudrait un réveil, une prise de conscience qu’ils ne sont pas ce qu’ils imaginent être : ils ne sont pas du côté du peuple, mais contre le peuple, pour les 1% de gens assis sur leur tas d’or. Il faudrait que leurs yeux se décillent, comme Saint Paul sur la route de Damas. Ce serait une prise de conscience tout à fait salutaire, car ils ne savent pas qui ils sont. Je pense que ces politiciens dits de gauche ne s’entendent pas parler. Un psychanalyste attirerait leur attention sur ce fait, et ils s’entendraient ainsi dire des choses dont ils n’ont pas la conscience. Si on les enregistrait, ils entendraient des bourgeois tout à fait caricaturaux qu’ils n’imaginent pas un instant être !

Ce genre de prise de conscience est courant dans les périodes révolutionnaires. Les gens se rendent compte à quel point ils étaient complices d’un système dont ils étaient aussi les victimes, comme tous les autres, et dont ils ne ramassaient que des miettes, en imaginant que c’était essentiel pour eux. C’est bien cela la fausse conscience, ne pas avoir la moindre idée de qui l’on est.

Vous pensez donc comme Antonio Gramsci que les réponses viendront de la sphère culturelle, que les chemins pour sortir de ce système naîtront à partir des activités culturelles ?

Bien entendu, puisque c’est là que le neuf apparaît. Il peut survenir sous des formes inattendues. Je repense ici aux textes que Victor Hugo a écrits en alexandrins, ses poèmes politiques, ou même Shakespeare. Il y a des choses absolument révolutionnaires qui ont été écrites dans des pièces de théâtre comme celles de Shakespeare. Sans oublier les penseurs, les véritables penseurs, pas ces intellectuels que l’on voit sur les couvertures des magazines du mercredi. Je veux dire par là, qu’il ne s’agit pas de l’art uniquement, stricto sensu. Bien entendu, il y a la poésie, mais aussi la réflexion, la déduction logique, comme avec ces socialistes utopiques qui n’étaient pas des artistes, même si parfois ils le devenaient involontairement, comme ce fut le cas de Joseph Fourier. C’étaient des penseurs, des gens qui comprennent l’époque dans laquelle ils sont en train de vivre, pour paraphraser Hegel.

(1) Vincent Kenis et Marc Hollander sont les fondateurs et têtes pensantes du label indépendant Crammed Discs, des « allumés du jazz » avant la lettre.

(2) Ce groupe d’économistes qui allait peser sur les politiques menées aux USA et en Europe était alors désigné sous l’appellation d’École de Chicago.

 

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