FUKUSHIMA : L’IRRESPONSABILITÉ N’EST PAS UN ARGUMENT, par François Leclerc

Billet invité

Tepco, l’opérateur de la centrale de Fukushima Daiichi, s’est reposé sur un provisoire qu’il a fait durer, et les incidents se succèdent par conséquent sur le site de la centrale. Les équipements et installations créés dans l’urgence afin de pouvoir revendiquer la stabilisation de la situation, faussement qualifiée d’arrêt à froid, sont depuis restés en fonction sans être remplacés, illustrant une nouvelle fois que Tepco ne prend toujours pas la mesure de ce qu’il n’a pas su prévenir.

La saga médiatisée de la présentation de prototypes de robots censés inventorier une situation toujours très imparfaitement inventoriée a fait son temps. Non seulement parce que, tout sophistiqués qu’ils soient, leurs performances restent très limitées dans le contexte chaotique et hautement radioactif de l’intérieur des réacteurs, mais aussi parce qu’ils sont très loin d’être en mesure de réaliser le démantèlement de la centrale, cet objectif officiel destiné à faire croire que tout redeviendra comme avant et qu’il suffit d’être patient.

Sur le chantier de Fukushima, le plus banal des incidents peut prendre des proportions énormes. C’est ce qui est arrivé lorsqu’un rat a fait court-circuiter les installations d’une armoire électrique, entraînant l’arrêt du refroidissement de plusieurs piscines de combustible nucléaire. Mais il est depuis advenu plus grave. Trois des sept gigantesques réservoirs creusés dans le sol, où des milliers de tonnes d’eau hautement contaminée sont stockées, fuient les uns après les autres ; les opérations de transvasement improvisées dans l’urgence butent sur des incidents techniques à répétition et se heurtent au manque de capacités de stockage disponibles. L’origine des fuites reste inconnue mais leur destination est toute trouvée : les sous-sols du site de la centrale, la nappe phréatique qui s’y trouve… et la mer, même si elle est éloignée de 800 mètres.

Bouilloire destinée à fabriquer de l’énergie électrique, devenue machine à produire de l’eau contaminée, la centrale de Fukushima est rattrapée par son propre succès en raison de son rendement dans ce domaine imprévu. Ce dysfonctionnement majeur est l’héritage d’une catastrophe qui a imposé de déployer des moyens de fortune pour refroidir le cœur fondu de réacteurs, dont la localisation reste sujet tabou. On reste au bord de la catastrophe dans la catastrophe, l’opérateur toujours incapable de maîtriser ce qu’il a lui-même enclenché pour éviter le pire, la fragilité de ses installations et de ce que sont devenus les réacteurs n’étant plus à démontrer.

À force de prétendre contrôler une situation, tout à leur volonté de relancer le parc nucléaire du pays sans toutefois y parvenir, les autorités japonaises prennent une énorme responsabilité : celle de laisser continuer à se répandre dans les sols et la mer une pollution radioactive qu’il ne sera plus possible de cantonner, les tentatives de recyclage de l’eau de refroidissement après dépollution n’aboutissant toujours pas. L’option du démantèlement n’est pas vraisemblable, mais le reconnaître serait donner à la catastrophe une nouvelle dimension. Trop intéressés par ce nouveau champ d’expériences – et de business – les milieux mondiaux de l’électronucléaire laissent faire, craignant également que les nouveaux marchés ne se réduisent encore s’il fallait changer de perspective. La maitrise finale de la catastrophe de Fukushima est un enjeu qui vaut bien de prendre quelques risques supplémentaires, croient-ils, vu à côté de quoi ils sont passés…

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