Chambre keynésienne de compensation en comptabilité double, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité

La réalité comptable en bancor

La compensation monétaire en bancor ne manquera pas de s’imposer d’une manière ou d’une autre. Le problème est que les élites politiques, économiques et financières ont perdu le lien entre le discours par lequel elles revendiquent le pouvoir et la réalité qu’elles prétendent diriger. Les lois et les monnaies ne sont plus que des récits abstraits sans rapport avec la vie des gens. La civilisation tombe dans le vide alors que le prix de la réalité humaine se lie et se travaille dans le principe oublié de la comptabilité double.

Dans la comptabilité double, il y a de l’actif et du passif, des libellés différents d’actifs et de passifs, un total des prix passifs égal au total des prix actifs et enfin une unité monétaire de compte réciproque du passif par l’actif. La comptabilité double est une représentation de toutes les causes d’échange dans une société définie : les causes qualitatives, les causes quantitatives, les causes intérieures à la société et les causes relatives aux sociétés extérieures dont on importe et à qui on exporte.

Le génie métaphysique de la comptabilité double est de réunir dans un même espace de signification les personnes, les sociétés, les choses et les prix. Derrière l’équilibre comptable de l’actif et du passif d’une même société, il y a des décisions personnelles coordonnées dans une politique qui produisent une économie de l’échange : des choses, des prix, des idées et du faire ensemble. La comptabilité double met en relation d’équilibre, la réalité physique sensible des choses avec la réalité métaphysique des personnes qui pensent et échangent dans une même société politique.

La compensation des prix en monnaie

Qu’est-ce que l’équilibre comptable ? Ce n’est pas seulement des quantifications de différences qui finissent en s’égalant, c’est une façon commune de parler des choses qu’on fait dans une société. L’équilibre comptable est la représentation d’un vivre ensemble délibéré dans une réalité économique.

L’équilibre comptable n’est pas seulement une idée ; c’est une réalisation de volonté politique à la recherche d’une équité dans la réalité concrète. L’équilibre comptable est la possibilité représentée de la démocratie dans les choses, donc la réalisation de la république, donc l’hypothèse de l’existence d’une justice entre les personnes, donc la construction d’un bien concret vraiment commun.

Pour résumer, la comptabilité double est la réunion dans un système de représentation des volontés personnelles et collectives ; des volontés de satisfaire la vie des personnes individuelles et collectives par le travail collectif de transformation d’une réalité mise en commun.

La qualité, la quantité, le prix et les objets de l’échange réunis dans une même représentation politique sont un langage d’économie de la personne en société. La personne qui contient la société par le prix de ses échanges avec les autres et la société qui contient les personnes par le prix des échanges objectifs libérés entre les sujets du vivre ensemble.

Révéler la responsabilité personnelle du prix

La comptabilité double fonctionne identiquement pour les quatre rôles fondamentaux de l’économie des échanges : la personne, l’entreprise, la banque et l’État. La comptabilité d’entreprise et la comptabilité bancaire sont évidemment symétriques : pendant que les entreprises comptabilisent l’échange des choses, les banques comptabilisent l’échange des prix achetés et vendus par les personnes physiques et morales.

La comptabilité des personnes et de l’État qui associe les personnes est plus secrète : elle réside dans la délibération intérieure des consciences et dans la délibération plus ou moins démocratique des budgets publics.

Les espèces monétaires ont été inventées pour exprimer visiblement la métaphysique des prix dans le raisonnement du citoyen et dans la délibération du gouvernement de la cité. Pour réaliser dans un espace légal et temporel commun l’échange d’une chose à partir d’un calcul économique personnel, la seule ressource comptable pour l’acheteur est de matérialiser le règlement du prix par un signe légal.

Le signe représente le crédit de la loi commune par laquelle l’acheteur restituera une chose équivalente à la chose que lui livre le vendeur. Du point de vue du gouvernement de la chose publique, les espèces monétaires matérialisent la symétrie de la loi commune entre la collectivité et l’individu.

Etat comptable de la monnaie de justice

Voter un crédit budgétaire sur un chapitre de la Loi implique que la société politique réglera le différentiel de prix entre un acheteur et un vendeur du fait de l’application de la loi commune dans la chose échangée. L’éducation, la police, la justice et la défense du vivre ensemble reposent économiquement sur la collectivité. Une collectivité formée de la réunion de toutes les personnes particulières égales en droit. Comme il n’est pas possible de prélever dans la matière physique de chaque échange la part du prix qui est le fait de la communauté, il faut « visibiliser » la contribution à la chose publique par des espèces monétaires qui ne sont pas la chose échangée.

Un crédit budgétaire public est donc le prix actif public de l’application des lois en toute chose et le prix passif prélevé par l’impôt de la charge économique de la loi répartie entre les citoyens. Une espèce monétaire est donc la passivité de la loi dans les choses et l’activité de la loi économiquement appliquée par le paiement de l’impôt.

La fiscalité est l’investissement de la loi du vivre ensemble dans les choses échangées entre personnes. En logique mathématique, pas de fiscalité égale pas de loi, égale pas de justice, égale pas de droit, égale pas de prix, égale pas de travail, égale pas de production, égale misère générale.

Les finances de l’apocalypse

La crise n’est pas la crise mais une apocalypse. La monnaie a été confondue avec la réalité qu’elle représente ; la comptabilité égale les actifs et les passifs sans libeller le sens des dettes et des créances que la loi construit entre les personnes. Le libéralisme de la Loi a été remplacé par le libéralisme de l’économie. La loi n’existe plus dans les personnes mais seulement dans les choses. Un prix n’est plus qu’une égalité quantitative sans droit équitable entre l’acheteur et le vendeur.

Le basculement ontologique est maintenant bien localisable dans l’histoire : il date de la fin du communisme qui a coïncidé avec la déréglementation financière et l’avènement de l’Internet. Nous avons arrêté de réfléchir et de construire le commun. Nous avons supprimé la présence du gouvernement de la loi dans la monnaie. Et nous avons mélangé toutes les conceptualisations de l’échange dans un magma numérique où la responsabilité personnelle ne peut plus distinguer les choses par la dénomination, par le prix et par le penser ensemble du partage des choses par les prix.

L’apocalypse, c’est la vérité qui ne peut plus être éludée ni dans ses causes ni dans ses conséquences. Les conséquences se précipitent les unes sur les autres : la loi n’est plus applicable dans les prix ; il n’y a plus de raison de payer des impôts ; les pouvoirs politiques disparaissent ; les banques fabriquent de la fiction monétaire ; les plus riches accaparent tout ; les pauvres vont mourir ; les riches vont devenir pauvres ; la guerre de tous contre tous est la seule rationalité accessible ; l’humanité s’euthanasie.

La liberté qui inverse l’histoire

La cause formelle de l’apocalypse, c’est la fusion de la comptabilité double avec la réalité dont elle doit se distinguer pour que le prix soit intelligible. La cause matérielle de l’apocalypse, c’est la virtualisation du bien commun : son abstraction de toute réalité transformable par le travail réel. La cause finale de l’apocalypse, c’est la cupidité qui ne trouve aucun mur monétaire contre quoi fixer sa limite. La cause efficiente de l’apocalypse, c’est l’orgueil des élites en extase par le raisonnement formel sans prise sur la réalité démonétisée du prix sans loi.

Les expériences de monnaies locales, territoriales ou complémentaires sont sympathiques et nécessaires. Mais elles sont extraordinairement régressives au vu de la très longue histoire de la monnaie. Comme il ne faut plus penser le vivre ensemble dans la politique, on organise des micro-sociétés pour renouer des échanges sans loi partageable, sans crédit et sans gouvernement. La défiscalisation de l’économie, c’est la généralisation de l’économie primitive entre petits groupes qui doivent s’ignorer pour ne pas se faire la guerre.

Ce qui est hautement probable, c’est que les prédateurs politiques et financiers vont encourager les monnaies locales pour se constituer de vastes terrains de chasse. Entre monnaies locales inconvertibles entre elles, il va bien falloir maintenir un minimum d’échanges que les chasseurs-marchands-spéculateurs feront payer à des prix exorbitants dans les monnaies « internationales » privées que sont l’euro et le dollar actuels.

Une comptabilité mondiale du bien commun

La compensation internationale keynésienne est l’unification du prix de la politique pour des sociétés humaines de dimension et de finalité quelconque. Le bancor est un système de comptabilité double à l’échelle des États et de toute société contenue dans les États et encore de société contenant les États. Au passif de la compensation keynésienne, il y a toutes les sociétés possibles, dont les sociétés politiques. A l’actif de la compensation en bancor, il y a tous les États de loi : économique, scientifique, politique et métaphysique.

La métaphysique est le verbe, les langues et le sens qui relie les personnes dans les sociétés politiques. La métaphysique de la compensation entre nations forme la monnaie ; la monnaie est matérialité de la religion des personnes. On peut croire ce qu’on veut sur le prix des choses ; mais il faut qu’elles restent échangeables pour faire lien entre les personnes quelles que soient les lois des vivre ensemble.

La compensation en bancor, c’est la convertibilité de toute chose par des prix qui relient les personnes dans une réalité commune au-delà des langues, des lois et des gouvernements. Dans les compensations bancaires actuelles formellement structurées par la comptabilité double, toutes les distinctions d’intelligibilité des prix sont présentes sauf une : la monnaie qui spécifie la loi politique dans les prix.

Raison morale du prix en monnaie

Un dépôt bancaire est le crédit de n’importe quoi ; un crédit bancaire est le capital de n’importe quoi ; un capital bancaire est le prix d’une loi quelconque. Mais la loi d’une banque n’est la règle de personne : ni de personnes physiques identifiables, ni de sociétés délimitées dans un espace de lois, ni d’un pouvoir politique défini responsable devant des citoyens explicitement solidaires.

La compensation keynésienne en monnaie universelle est efficiente dès que la comptabilité bancaire est adossée à un registre nominatif des personnes. Dès lors que tout dépôt en monnaie est relié par une personne physique à un ensemble de personnes morales ; lesquelles soient solidaires de la transformation du prix en réalité conforme à une loi politique ; alors l’état de solidarité entre les personnes garantit un bénéfice réel non nul universel derrière tout prix.

L’économie réelle du prix compensé en bancor est concrète. Elle part d’un ordre de prix déposé dans un marché commun d’une même citoyenneté. Un prix demandé sur une chose légalement nommée est compensé par quatre rachats : l’engagement de livrer, le crédit du prix, le capital du crédit et l’assurance du crédit capitalisé. L’assurance du crédit capitalisé est le travail, c’est à dire la transformation de la chose nommée en bien universel de prix positif pour quiconque. Le travail est l’activité de transformation de la chose en réalité au prix commandé.

Sortir de la religion mondiale du vide

Si premièrement les sociétés politiques sont propriétaires du capital de la chambre de compensation ; si deuxièmement le capital de compensation est ajustable par une taxe sur la valeur ajoutée décidée par la délibération budgétaire publique ; si troisièmement le pouvoir politique judiciaire achète dans la compensation le prix du risque d’injustice de chaque transaction ; et si quatrièmement le pouvoir politique exécutif vend dans la compensation le prix du travail de réparation de toute injustice ; alors l’équilibre des prix compensé entre les choses, les monnaies et les gouvernements politiques fixe le salaire sur le travail de production humaine du bien commun positif des personnes.

La compensation bancaire en bancor est fondée sur la « Théorie générale de l’emploi, de la monnaie et de l’intérêt ». Le bancor et les monnaies nationales et locales compensables en bancor ne sont plus indexées sur des abstractions de capital spéculatif mais sur la réalité positive du travail. Sans État de droit politique financé par la fiscalité monétaire, le prix du capital n’est pas transformable en réalité. Sans régulation politique de l’économie, la loi ne protège pas les personnes et n’assure plus le travail des biens.

Pour le moment, les élites au pouvoir préfèrent jouer avec l’abstraction monétaire pour ne pas avoir à travailler dans la réalité du vivre ensemble. Elles feignent d’ignorer que la négation de la réalité par la monnaie conduit tout droit en enfer. Et elles ne voient pas qu’elles fabriquent l’enfer ex nihilo dans l’enfermement du raisonnement monétaire égotiste. La compensation en bancor est la fabrication interpersonnelle vivante mondialisable de la réalité politique.

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