SUSPENSE…, par Un Belge

Billet invité.

Un sentiment d’étrangeté peut s’emparer de nous à certaines heures du jour, quand, en ayant fini avec tout ce que nous avions « à faire », revient se poser la question du sens et de la fonction de ce que nous faisons. Simple coup de fatigue, parfois. Ou bien cela survient en présence de quelqu’un dont la présence nous ouvre soudain un monde inexploré, dont nous n’avons pas la clé. Ou encore, c’est un accident de parcours qui nous laisse désemparés, hors de nos repères habituels. Dans tous les cas, il s’agit d’un moment de suspension, où l’on se trouve soudain confronté à (ou disponible pour) un changement de ses habitudes, de son fonctionnement, et même peut-être de son identité. Ce qui, jusque là, était une évidence, cesse tout à coup d’aller de soi.

Ce surgissement d’un nouveau possible n’est pas forcément le bienvenu. Il y a là-dedans quelque chose d’effrayant, qui touche à la fragilité de nos édifices matériels et psychiques : « Tout ce que j’ai construit est-il donc si peu de chose ? » Il est alors tentant de faire comme si rien ne s’était passé, comme si rien n’avait interrompu le cours ordinaire de l’existence. La société contemporaine offre tout un catalogue de divertissements et de drogues plus ou moins douces, qui permettent de faire comme si rien de tel n’avait jamais lieu. On appelle ça se changer les idées.

Pourtant, dans ce moment suspendu, quelque chose d’essentiel se joue. Tout se passe  comme si la vie retenait son souffle et se tenait prête à explorer une nouvelle forme d’existence. Un espace et un temps nouveaux s’ouvrent, disponibles pour l’inconnu. Et c’est le rapport de chacun avec l’inconnu qui éclaire ou assombrit la scène de cette rencontre : sentiment de joie ou de peur, acceptation ou rejet, changement (mineur, majeur) ou retour au fonctionnement ordinaire. L’image de la « croisée des chemins » décrit joliment ce lieu mystérieux, entre ombre et lumière, où l’on hésite à abandonner les voies familières pour s’engager sur un chemin nouveau… ou oublié.

Au final, cela en nous qui décide d’aller vers l’inconnu ou de s’en détourner est d’une nature profonde et mystérieuse, qui ne se révèle (très partiellement) qu’à ceux et celles qui l’interrogent. Une seule certitude : le choix de l’inconnu demande toujours une forme de sursaut, un acte posé. En l’absence de ce sursaut, de cet acte, l’inertie triomphe, et c’est l’aveugle et éternel retour du même qui s’accomplit.

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