Nouvelle donne européenne : DÉFLATION, RÉCESSION, CHÔMAGE… par François Leclerc

Billet invité

Dans sa version européenne, la crise aborde une autre étape. Sa nouvelle configuration est caractérisée par la persistance d’une désinflation prononcée – certains pays étant au tout bord de la déflation (comme par exemple l’Irlande, 0,2 %) -, une croissance souvent si faible qu’elle ne se distingue que d’un cheveu de la récession (0,1 % en Espagne), et un chômage atteignant d’immenses proportions, en particulier chez les jeunes (39,6 % au Portugal). Trois mots – déflation, récession et chômage – résument à des nuances près cette nouvelle étape destinée à être longue dans laquelle nous sommes déjà installés.

Au cours de l’épisode précédent, une hausse vertigineuse des taux obligataires avait plongé dans la crise les pays de ce qui a été appelé la périphérie de l’Europe, comme s’il allait falloir se replier sur son cœur. Ceux-ci profitent aujourd’hui de l’accalmie en cours, qui fait à tort penser que la page est tournée, pour tester le marché en multipliant les émissions : ce qui est pris n’est plus à prendre. Mais le Tribunal constitutionnel allemand est venu jeter un sérieux froid vendredi 7 février en jugeant non conforme à la constitution du pays le programme OMT de la BCE qui est à la source de cet apaisement. Ce filet de protection disparu – car il était tentant de profiter de rendements excellents tout en bénéficiant de la protection de la BCE, au cas où les choses tournent mal -, de gros dérapages sont à nouveau possible.

Le marché obligataire est par excellence un marché refuge, et l’on assiste actuellement à la recherche du meilleur possible, une notion très relative par les temps qui courent. Ainsi, la crise déclenchée par la Fed dans les pays émergents a accru la valeur des titres souverains européens et a pesé favorablement sur leurs taux. Une interview au Financial Times de Danièle Nouy, récemment nommée à la tête de l’organisme de supervision des banques auprès de la BCE intitulé Single Supervision Mechanism (SSM), va cependant conduire les investisseurs à s’interroger sur leur calcul : « une des grandes leçons de la crise en cours est qu’il n’y a pas d’actifs sans risque, il en résulte que les titres souverains ne sont pas des actifs sans risque ».

La Grèce restant avec Chypre (où le taux de créances douteuses des banques atteint 50 % !) une grosse épine dans le pied et un cas à part, les pays financièrement assistés tentent vaille que vaille de sortir de leurs plans de sauvetage sans avoir à en subir une réédition. En Grèce, et contre toute évidence, le premier ministre Antonis Samaras martèle n’avoir « pas besoin d’un troisième plan de sauvetage » afin de regagner la confiance des électeurs, quitte à baptiser la chose autrement, adoptant la démarche qu’avait empruntée Mariano Rajoy en Espagne. La Troïka symbolise des mesures dont les dirigeants de ces pays, en première ligne, ne voudraient pas voir la liste s’allonger, confrontés à une crise sociale profonde dont les implications politiques les menacent. Ce qui les conduit paradoxalement à poursuivre la même politique, avec comme argument que c’est le seul moyen d’éviter de retomber sous ses fourches Caudines et que ce soit pire encore ! Les marges de manœuvre sont comme on le voit étroites.

Retiré du jeu, Mario Monti s’est rétrospectivement félicité, lors d’un débat à Athènes le 7 février dernier, de ne pas avoir eu recours à la Troïka en déclarant : « On m’a fortement suggéré cette solution. Je ne sais pas pourquoi mais il me semble que nous avons bien fait de refuser »… Mais on ne s’évade pas si facilement de l’aide sous condition de celle-ci, sauf à briser le cadre qu’elle impose. Seules des voix encore isolées le font. Non seulement celle d’Alexis Tsipras, le leader de Syriza qui fait campagne pour la tenue d’une conférence européenne, avec pour objectif une réduction de la dette souveraine, mais également celle de Hans-Werner Sinn, le président de l’IFO allemand (Institut für Wirtschaftsforschung – Institut de recherche économique), qui préconise à la fois une restructuration de la dette et une dévaluation de l’euro. Le plan présumé des dirigeants européens à propos de la Grèce prévoit d’ailleurs une extension de 30 à 50 ans de la maturité de la dette et une diminution des taux, une demi-mesure à l’impact immédiat nul et ensuite très limité, mais qui effleure l’essentiel.

L’épisode suivant va se dérouler au Portugal, où le gouvernement enchaîne les prêts syndiqués (dont le placement est confié aux banques) pour profiter de la baisse des taux tout en poursuivant les mesures de rigueur en coupant dans les retraites, avec comme principale interrogation l’obtention ou non d’une ligne de crédit de précaution que l’Irlande n’a pas eue. En Espagne, l’assainissement du secteur bancaire n’a été que très partiellement réalisé, toutes mesures confondues, en raison de la montée qui se poursuit du taux des créances douteuses. La Banque d’Espagne estime qu’il pourrait atteindre 15 % cette année, or le total de l’endettement des ménages et des entreprises est de 1.800 milliards d’euros (188 % du PIB espagnol)… En Italie, le gouvernement Letta a écarté le projet de création d’une bad bank au prétexte que cela risquerait de déclencher une dégradation de la note du pays, préférant continuer de dissimuler ce que cachent les bilans bancaires.

Sur ce dernier terrain, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a poursuivi ses virulentes mises en garde à propos du projet de réforme bancaire de la Commission européenne : « Il ne faut pas verser dans la surenchère et rendre impossibles ou beaucoup plus coûteuses des opérations indispensables au fonctionnement de l’économie ». Si le projet « mélange les genres » selon lui, le gouverneur ne se prive pas de brouiller les pistes lorsqu’il est entrepris, même de manière inadéquate, de commencer à règlementer le Grand Casino du marché des produits dérivés. Pour mémoire, on trouve dans le peloton de tête des plus grands intervenants mondiaux sur ce marché – selon une étude d’Alphavalue qui s’appuie sur les données de la Banque des règlements internationaux – BNP Paribas, Société Générale et CASA (le groupe Crédit Agricole)… Les banques universelles françaises ne jouent pas au Grand Casino avec des jetons mais des plaques, et cela fait aussi partie du paysage.

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