EMBRASEMENTS, par Zébu

Billet invité.

Il y a un an presque jour pour jour, on se préoccupait de savoir si enfin un ‘printemps européen’ allait pouvoir naître, tant la crise sociale générée par la crise financière et économique semblait devoir accoucher sous une forme ou sous une autre, en référence au printemps des peuples de 1848 qui vit l’émergence de révoltes populaires en Europe et la mise à bas de régimes politiques pour faire place, même brièvement, à des républiques et aux revendications nationales sur les empires.

Puis ce fut tout. Du moins quelques temps.

Et l’on se prit à espérer parmi les tenants de l’ordre établi ou généré par la crise que le système avait encore une fois tenu face aux contestations multiples qui avaient émergé depuis 2009. Les contestations sociales massives, comme celles des Indignés en Espagne furent reléguées, assez rapidement en arrière-plan pour finir par se dissoudre plus ou moins et les manifestations et grèves à répétition en Grèce laissèrent finalement place au déroulé implacable du réquisitoire de la Troïka, grâce à d’improbables gouvernements. En Italie, ‘5 Stelle’ comme alternative politique au berlusconisme fit long feu et les alternances politiques finirent toutes par des gouvernements d’alliance ou permettant de donner pendant quelques temps le change avant que de commencer à appliquer là encore le récital barbare de la compétitivité.

Entre-temps, les explosions de violence sur le bassin méditerranéen qui renversèrent les régimes au pouvoir, qu’ils soient policiers ou militaires, laissèrent place soit au chaos en Libye soit à l’arrivée au pouvoir d’islamistes, avant que d’être eux-mêmes mis sur la touche, l’essentiel étant que les IDE (Investissements Direct Etrangers) puissent perdurer et que les politiques du FMI soient appliquées.

La Syrie, seule, continuait à se vider de son sang, ce qui semblait convenir à tous les ‘parrains’ de la région : tant que l’on évite les armes chimiques, vous savez, nous …

Et puis en 2013 démarrèrent des mouvements d’un tout autre ordre.

Comme en Bulgarie, où la pression sociale fit trébucher le pouvoir à partir de février 2013, du fait de l’augmentation des prix de l’électricité, privatisée. Comme en Turquie, sur la place Taksim fin mai 2013 face à un gouvernement qui là aussi, élu démocratiquement, voulait privatiser un bien public. Ces mouvements sociaux continuent d’ailleurs de perdurer dans les deux pays, avec des victimes cette fois. Mais bien que confrontée à une série de scandales politico-financiers, la classe politique turque perdure et se maintient.

En Ukraine, par contre, un cran est passé, avec des affrontements, longs, durs et violents, puis avec des dizaines de morts soudain, dans un embrasement dantesque.

Entre-temps, même flambée soudaine de violence, la Bosnie-Herzégovine se réveille avec des flammes aux bâtiments officiels.

La crise sociale, qui n’a pas pu déboucher sur des expressions durables pour transformer les systèmes politiques et économiques, est donc en train de muer, face à l’autoritarisme des pouvoirs, à la corruption et au clientélisme, au ‘Crony Capitalism’ (capitalisme des copains) et au libéralisme débridé sauce FMI, ici défendant des services publics, là des espaces verts, là encore la liberté d’expression, contre la logique de la privatisation et de la répression.

Et face à l’intransigeance des élites au pouvoir, cette crise se radicalise pour dériver dans des guerres civiles, à chaque fois spécifiques mais qui toutes ont pour point commun de refuser les politiques économiques menées, les pouvoirs politiques corrompus ou incapables, la répartition des richesses au bénéfice de quelques=uns et au détriment de la majorité.

Cette crise se déplace aussi géographiquement, des pays du sud de l’Union Européenne en 2009-2010, aux pays de la rive sud de la Méditerranée en 2011, passant ensuite par la Syrie, puis la Turquie, la Bulgarie, la Bosnie et l’Ukraine, aux frontières de l’Union Européenne.

L’Europe donc, à la veille d’élections qui devraient voir les extrême droite arriver en force au parlement et  parfois en tête dans les urnes, devrait prendre conscience qu’il est encore temps de changer le cap, d’intégrer ces données de la crise sociale générée par la crise financière, matrice où il faudra bien se résoudre à replonger.

Ses élites devraient enfin comprendre ce que cela signifie, à terme, de laisser pourrir un corps social, à défaut de pouvoir l’enterrer : un de ces jours, le cadavre pourrait très bien leur sauter à la gueule.

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