La tarification de produits financiers opaques, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité

Comment les électeurs des prochaines européennes doivent mettre fin au pillage politico-financier de la réalité

Un article du Wall Street Journal en date du 24 mars 2014 et intitulé « SEC Is Probing Dealings by Banks and Companies in Loan Securities », évoque l’enquête lancée par le régulateur étatsunien sur la titrisation de ces « crédits structurés » qui permettent aux banques, comme dans le cas fameux de Dexia, « de se débarrasser de leurs propres risques ». Ces titres, appelés CLO (Collateralized Loan Obligations) sont alors vendus par ces banques à leurs clients, « leur prix étant négocié à titre privé ». « Sont combinées ainsi, précise le Wall Street Journal, des sommes énormes dont les prix sont opaques ». Le quotidien ajoute que « l’un des objets de l’investigation est de déterminer si les grandes banques et les grosses firmes recourent à de tels produits comme autant de tours de passe-passe financiers pour faire disparaître de leur bilan des actifs indésirables ».

Cet article du Wall Street Journal montre excellemment que les mécanismes d’escroquerie financière qui ont provoqué la faillite des subprimes, prolifèrent sous l’impuissance totale du pouvoir politique et administratif. En fait le combat contre la « mafiaïsation » du monde par la finance est menée par des repentis et des insiders nostalgiques d’un bien commun public. En contrepoint cela signifie que les élites qui détiennent l’apparence du pouvoir politique sont complices ou carrément incompétentes ; comme Louis XVI qui l’a payé de sa tête…

Les mécanismes juridiques et monétaires que le régulateur boursier étatsunien cherche à démasquer reposent sur des principes inchangés malgré la faillite des subprimes. Derrière des intitulés et des constructions variables à l’infini, l’objectif des banquiers en dollar est toujours de vendre un risque de perte de crédit au-dessus de sa probabilité réaliste et de s’assurer en dessous de la prime réelle du risque de crédit. La spéculation est construite sur le système d’invisibilité de l’emprunteur réel et de titrisation des objets de crédit indépendamment des prêteurs et des emprunteurs réels. La réalité est structurellement opaque derrière le prix prétendument de marché.

Sans un marché unifié où tous les emprunteurs et les objets d’emprunt soient répertoriés, les banquiers brassent des abstractions que le régulateur, le déposant et l’épargnant sont obligés de considérer vraies pour financer l’économie réelle. Le banquier dissimule en toute légalité les pertes illimitées de la spéculation au plus près de l’épargnant de base qui ne comprendra jamais rien à la technique de la virtualisation du risque mais qui voit très bien l’escroquerie systémique : la monnaie est canalisée vers la spéculation pendant que les impôts, exclusivement payés par les petits qui ne peuvent pas vivre sans la protection de l’état de droit réel, sont massivement détournés pour combler l’évaporation spéculative de la liquidité financière.

Cet article du WSJ dit aussi excellemment comment la démocratie étatsunienne est structurellement corrompue : grâce au dollar monnaie mondiale, les financiers sont absolument libres de loger leurs risques en dehors de tout système de contrôle de la légalité, de la justice et de la rationalité économique. Nous voyons que le système de la libre circulation mondiale du capital en dollars nous conduit mécaniquement à l’anéantissement de toute réalité économique. Mais en même temps, comme la finance étatsunienne sait qu’elle mourra la dernière dans l’euthanasie en cours, elle a plus de liberté que ses concurrentes en euro-dollars de mettre à jour les processus létaux à l’œuvre. La presse de Wall Street est une magnifique position de surplomb du système financier euthanasique !

Si nous voulons échapper au suicide économique de la finance globale, il faut qu’une autorité politique adossée à une réalité économique véritable reprenne le contrôle de la monnaie afin de réguler le crédit bancaire par un vivre ensemble économiquement mesurable. Cela signifie qu’une zone monétaire économiquement solide avec des échanges internationaux équilibrés doit décider par un pouvoir politique rétabli de s’extraire du naufrage mondial.

Techniquement, il s’agit de créer un vrai marché du capital adossé à une réalité économique identifiée et juridiquement isolée du non-système capitaliste libéral. Ce vrai marché doit être matérialisé par une monnaie commune inconvertible en une quelconque réalité qui ne soit pas visible par une autorité politique engagée par la Loi ; autrement dit, ce marché de la finance vérifiable doit être clôt sur lui-même avec une taxation du risque d’illégalité de tout échange avec l’extériorité du marché. La taxation doit être capitalisée publiquement au nom des différents degrés du pouvoir politique à l’intérieur de la zone monétaire. Toute capitalisation publique de la liquidité des prix à l’intérieur de la zone doit être rattachée à des personnes morales politiques de régulation financière agissant par des personnes physiques identifiées et responsables, dans un budget, une législation et des décisions publiques propres vérifiables par les citoyens-contribuables-assurés.

Tout cela est réalisable dans la zone euro par un défaut généralisé de tous les États nationaux et de toutes les banques y légalement domiciliées. Toutes les dettes étatiques et interbancaires sont alors déposées à la BCE constitutionnellement mutée en administrateur judiciaire confédéral des dettes publiques et bancaires. Un État confédéral de l’euro est créé pour racheter toutes les dettes dont le risque est mutualisé au degré de la société politique des Européens de l’euro. Les États nationaux, fédérés et locaux rachètent eux leurs dettes, ainsi que celles de leurs ressortissants dont ils garantissent les droits, par des unités monétaires propres démembrées de l’euro. Les monnaies subsidiaires dérivées de l’euro sont négociables uniquement dans le système européen des banques centrales garanti par la Confédération financière de l’euro. L’intégralité des risques de crédit dans une quelconque sous-monnaie de l’euro est garantie par la variation de la parité de change locale en euro confédéral adossé à la fiscalité financière confédérale.

Toutes les infrastructures techniques d’une telle compensation keynésienne en euro-bancor existent actuellement. Pour basculer dans ce système de légalité financière démocratique, il faut faire un coup d’État contre la légalité formelle spéculative aux mains des mafias politico-financières. Un coup d’État de cette nature n’a aucune chance de réussir par la violence puisque la force publique est aux mains des représentants financièrement corrompus des États et des entreprises. Il n’y a donc que la voie de l’élection : les prochaines élections européennes sont potentiellement révolutionnaires.

Il ne faut y élire que des opposants à l’euro actuel, au libre-échange et au pouvoir de la technocratie. Il faut que les gouvernements nationaux de la zone euro soient obligés de prononcer la faillite de leurs finances publiques, de la BCE et des banques en euro pour avoir le droit de continuer à lever des impôts sous leur propre souveraineté et sous une souveraineté collective contrôlable par les citoyens.

Les gouvernements légaux actuels doivent être acculés à décréter la fermeture financière de la zone euro afin de bloquer l’évasion fiscale et de taxer tous les intérêts économiques qui souhaitent se couvrir contre la débandade financière internationale. Il faut que les gouvernements nationaux soient obligés de s’associer dans un État confédéral pour négocier par une fiscalité multinationale européenne un budget d’assurance financière des dettes restructurées en nouvel euro. Il faut que l’euro de la démocratie européenne se révèle bien comme la seule alternative politique et économique viable au chaos absolument certain dans lequel nous précipite la cupidité politico-financière.

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