Espirito Santo : FIN D’UN GROUPE, D’UNE DYNASTIE ET D’UN SYSTÈME, par François Leclerc

Billet invité.

Le groupe s’écroule comme un château de cartes, mais pour l’instant sur lui-même. Ses trois holdings sont placés en règlement judiciaire après qu’Espirito Santo Financial Group (EFSG) a rejoint les deux autres, le tout puissant patron Ricardo Selgado a été arrêté et libéré sous caution dans le cadre d’une vilaine affaire de blanchiment d’argent qui date de … 2006 et porte sur 14 millions d’euros, et le titre de la banque (BES) a continué à dévisser aujourd’hui après avoir été brièvement dopé par l’arrivée de Goldman Sachs au capital.

S’il est encore difficile de cerner les conséquences économiques de cette effondrement, il n’est pas difficile de mesurer ce qu’il représente au plan politique. Si la dynastie Espirito Santo fait partie du trio des grandes familles qui ont fait fortune sous la dictature de Salazar (avec les Mello et les Champalimaud), elle seule est parvenue à jouer ensuite un rôle de premier plan, y compris dans le mécénat culturel. Ses représentants n’ont cessé de faire partie des gouvernements successifs depuis 1976, qu’ils soient de centre-droit (PSD) ou gauche (PS), dans le cadre des classiques aller-retour entre la banque et le pouvoir politique propre aux oligarchies bien nées. On trouve même le président de la Commission, José Manuel Durão Barroso, comme consultant de la BES dans la liste qui a été établie…

Les trois holdings sont maintenant hors jeu, mais ce n’est pas le cas de la Banque (BES), dont la publication des résultats du premier trimestre est attendue pour le 30 juillet, avec deux jours de retard sur la date initialement retenue pour faire suite à l’annonce d’un plan de restructuration de la holding de tête du groupe, Espirito Santo International (ESI). Cela sera l’occasion d’avoir un premier aperçu des pertes de la banque, en attendant de les connaître dans leur intégralité, car tout n’a pas été inventorié. Et le sort réservé aux pertes de sa filiale angolaise reste dans le flou, la Banque du Portugal considérant que la BES devrait être épargnée, résultat de tractations d’État à État. Préserver la banque d’un groupe qui s’écroule sous les dettes symbolise notre époque, mais rien n’est encore joué.

Avec l’arrestation de Ricardo Salgado, la phase proprement judiciaire de la chute du groupe familial fondé il y a 145 ans a débuté et va se poursuivre. La Commission du marché de valeur mobilières (CMVM) a informé avoir identifié et transmis au procureur de la République vingt cas de violation de la loi concernant le groupe, et a par ailleurs ouvert cinq enquêtes à propos d’opérations sur les titres de la BES et de Portugal Telecom dont les cours ont été d’une grande volatilité. Mais au Portugal aussi, la justice sait prendre le temps de la réflexion.

En attendant que le dossier de la recapitalisation de la BES se concrétise avec le concours de banques étrangères – la société financière japonaise Nomura estime qu’un milliard d’euros sera nécessaire pour « rassurer les marchés » – le travail de restructuration des dettes et du groupe va pouvoir commencer à l’abri des procédures de règlement judiciaire. Dans un premier temps, en évaluant classiquement l’actif et le passif de chaque société, garanties comprises. Il y a des actifs de valeur à céder dans le groupe, comme par exemple Tranquilidade (une compagnie d’assurance qu’EFSG contrôle à 100%), mais d’autres ont déjà été gagés comme la participation restante de 20,1% dans la BES de cette holding, ou bien viennent tout juste d’être vendus à temps, comme sa filiale suisse Banque Privée ES. Du côté de Rioforte, autre holding l’actionnaire d’EFSG et qui chapeaute également les activités non-financières, il y a également des actifs à négocier – hôpitaux, activités immobilières, touristiques et agricoles – dont on ne connait pas la disponibilité. Mais il est fort peu probable que des cessions d’actifs puissent éponger toutes les dettes. En organiser le partage sera l’ultime chapitre, le plus délicat, se donner du temps et bénéficier de discrétion pour le mener sont deux conditions activement recherchées. Pour voir venir, la Banque du Portugal a demandé aux banques exposées au groupe de provisionner au moins 50% de leurs créances.

Afin de rassurer sa clientèle – et d’éviter d’éventuelles poursuites – la BES a garanti à celle-ci le payement des titres de Rioforte et de ESI qu’elle leur a vendus, augmentant par là même de 700 millions d’euros ses besoins de financement en se substituant à son actionnaire EFSG, dont la garantie donnée à la demande de la Banque du Portugal est suspendue dans le cadre de son règlement judiciaire. Mais elle ne couvre pas les investisseurs institutionnels qui ont acheté pour plus de deux milliards d’euros de titres de dette de ces deux sociétés, titres qui arrivent à maturité dès cette année.

Avec la chute de la maison Santo, le Portugal tourne une page. Il s’avère que ce groupe familial n’était pas malgré sa puissance, un empire, mais tout juste un conglomérat sous-capitalisé. Le système de réseaux d’entreprises et de connivences qui donnait une assise aux banques est dépassé par les événements. Première leçon : les unes après les autres les grandes entreprises du pays sont achetées par des intérêts étrangers, angolais, brésiliens, chinois, espagnols… La BES, première banque du pays, va suivre le même chemin. Cela a déjà été le cas de la TAP, d’EDP, des assurances Fidelidade, des banques BPI et BCP, des opérateurs de télécom Zon et Optimus. Deuxième leçon : la prospérité a été dispensée à crédit, celui-ci finançant également des opérations immobilières et des grands travaux générateurs de corruption. Dans un premier temps, cela a généré d’énormes profits bancaires avant que le piège ne se referme conduisant les banques à dissimuler leurs pertes avec tous les moyens disponibles, un scénario connu.

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