Billet invité.
L’ENJEU DE LA TAXE FINANCIERE
Le feuilleton de la taxation du système financier ne fait que commencer, le débat venant d’être relancé par les Britanniques, à l’occasion du dernier G20 finances. D’ores et déjà, deux rendez-vous institutionnels sont fixés : le prochain G20 finances d’avril et le sommet des chefs d’Etat de juin prochain au Canada. Mais ceux-ci ne feront qu’entériner des compromis gouvernementaux, dont le FMI cherche à être le maître d’oeuvre (avec le clair danger que la montagne accouche d’une souris), alors que l’opinion publique pourrait d’ici là imprimer sa marque et jouer les gêneurs, la sortie de crise toujours pas en vue.
Ce dossier présente toutefois une grande ambivalence. D’un côté, son émergence au premier plan de l’actualité reflète une évidence largement ressentie dans les opinions publiques : les banques doivent payer pour leurs turpitudes. De l’autre, elle sanctionne une terrible évidence qu’il s’agit de faire passer dans les esprits : puisqu’il est acquis que la régulation sera très limitée et qu’une autre crise financière majeure est donc inéluctable, il vaut mieux s’y préparer des maintenant.
Dominique Strauss-Kahn n’a pas évoqué autrement le projet sur lequel le FMI travaille. Un « compromis » selon ses propres termes, au cas où les gouvernements ne s’engageraient pas dans une régulation efficace (en réalité introuvable, vu les termes dans lesquelles elle est posée). Les partisans d’une taxation, qui laissent la porte ouverte au choix de ses modalités et nous préparent ainsi à ce que des choix à la portée symbolique restreinte soient finalement pris, n’envisagent d’ailleurs celle-ci que dans le cadre d’un triptyque dont on risque de beaucoup entendre parler : recapitalisation des banques, adoption de dispositions « testamentaires » pour leur éventuel démantèlement et taxation (qu’ils préfèrent appeler « prélèvement », ou même mieux « auto-assurance », un terme qui a toutes les chances de faire florès).
Il est à craindre que chacun de ses trois volets, au terme de longues et discrètes élaborations et de négociations, se réduisent comme des peaux de chagrin et ne soient que des paravents destinés à masquer non pas la misère pour une fois, mais une richesse non partagée. Jusqu’au jour où…
Si on les prend un par un, voila ce que cela donne. Premièrement, le principe même d’une recapitalisation des banques qui ferait obstacle à leur faillite se heurte à l’impossibilité pratique de mesurer les risques financiers qu’elles prennent, dans un monde dominé par une très grande opacité. Des exigences drastiques sur la nature de ces fonds propres devraient être adoptées, cela n’en prend pas nécessairement le chemin, affaiblissant d’autant la portée de cette mesure.
Deuxièmement, le « testament » que les banques doivent préparer au cas où apparaît comme une mesure un peu obscure, qui l’est moins quand on voit comment la faillite de Lehman Brother est là pour pratiquement démontrer qu’il y a des écheveaux financiers indémêlables, en raison de la nature et de la complexité des produits « structurés », qui portent de ce point de vue très mal leur nom. Cette mesure est également largement illusoire, car elle bute tout aussi bien sur l’absence de transparence du système financier, dont le caractère « fantôme » n’est pas accessoire mais au coeur même de son fonctionnement.
Troisième volet, la taxe. Tout est possible dans ce dossier, mais il est déjà clair que son rendement ne pourra pas être, telle qu’elle est envisagée, à la hauteur des enjeux auxquels elle prétend faire face. L’adoption d’un tel dispositif, dans son principe, aurait pour origine une vérité qui s’est imposée au cours de cette crise : le sauvetage du système financier n’est plus dans les moyens des Etats, vu son ampleur. Les programmes que ceux-ci ont engagés avec le concours des banques centrales, à qui l’on fait jouer un rôle dépassant totalement leurs prérogatives, déséquilibrent déjà totalement les finances des Etats et pourraient demain en faire autant des banques centrales, dont les bilans enflent démesurément sous le poids des actifs à la valeur douteuse qu’elles acceptent, devenues de « bad banks » (des structures de défaisance) par défaut, sans le reconnaître. Mais les taux qui sont évoqués, s’il devait s’agir d’une taxe sur les transactions financières, sont dérisoires : on parle de 0,005% (la taxe Tobin était de 0,1 à 0,25%). Il est par ailleurs bien peu probable que ce type de taxe sur les transactions, sans même parler de son rendement, soit adoptée. Et l’on va voir fleurir des « prélèvements » reposant sur des assiettes plus ou moins clarifiées, avec le danger même qu’un one shot (un prélèvement une fois pour toutes) soit au bout du compte décidé. Dans tous les cas, les « réserves » que l’on prétendra ainsi constituer ne seront pas à la hauteur des montants dont on sait qu’ils seront nécessaires pour financer la crise de demain.
A ce stade, un parallèle s’impose entre ce dossier et le projet de loi actuellement en discussion aux Etats-Unis à propos du financement par le système bancaire de ses propres défaillances. Les dispositions qui sont proposées ont toutes les chances d’induire l’obligation de rajouter au pot, le moment venu, en puisant dans les fonds publics, le « fonds » décidé par la loi ne pouvant suffire à la tâche. La formule des garanties publiques, largement utilisée au cours de cette crise et toujours en vigueur, sera difficilement évitable, a minima, reposant le problème de la surface financière insuffisante de ceux qui l’accordent, s’il arrivait malheur.
Toutes ces échappatoires, et d’autres encore certainement, ne feront au final qu’accroître un risque : celui que les mesures adoptées, à force que leur portée soit amoindrie, ne remplissent pas vis à vis des opinions publiques leur rôle, à savoir faire avaler la pilule d’une régulation qui n’en est pas une. Là est le véritable enjeu de ce débat au sommet et de son éventuelle appropriation par les opinions publiques.