La représentation de l’appareil économico-financier qui nous était proposée il y a cinq ans seulement était celle d’un système ayant atteint sa maturité : stable en raison d’une prédisposition généralisée à l’autorégulation et ayant découvert le moyen d’éparpiller le risque avec une telle efficacité qu’il soit de facto neutralisé.
L’autorégulation n’existait pas. Le risque bien qu’atomisé se concentrait néanmoins parce que les joueurs les plus avisés se constituaient d’énormes portefeuilles de produits financiers dont la prime de risque était conjoncturellement surévaluée ; quand eut lieu le retour de balancier, les Bear Stearns, Lehman Brothers, AIG, Fannie Mae et Freddie Mac, implosèrent.
L’informatisation avait favorisé une complexification de la finance sur la base du crédit qui lui interdisait désormais de fonctionner autrement qu’en régime de bulle : l’euphorie cachait alors l’absence d’autorégulation et, le risque étant provisoirement minime, sa concentration demeurait invisible.
L’actualité souligne au contraire le caractère dysfonctionnel de l’appareil économico-financier en l’absence d’une dynamique de bulle. Ainsi, dans la spéculation contre l’euro, la puissance de nuisance des divers éléments rassemblés se renforce par leur combinaison délétère.
Dans les années 2001-2002, l’Europe ferme les yeux sur des prêts déguisés en swaps de change consentis par Wall Street à des états européens pour leur permettre de respecter les termes du pacte de stabilité et de croissance de la zone euro. Or, la complexité croissante des produits financiers interdit désormais aux agences de notation d’évaluer correctement le risque qu’ils présentent. Lorsque la crise des subprimes éclate en 2007, les notateurs sont rapidement décrédibilisés. Les velléités de réformer ces agences subissent le sort de toutes les réglementations envisagées à l’époque (à l’exception de celles sans conséquences) : elles sombrent rapidement dans l’oubli. Pendant ce temps, les notateurs substituent à la rigueur scientifique introuvable, l’inflexibilité.
La rétrogradation des swaps de change trafiqués de la Grèce qui intervient alors, ne les situe plus qu’un seul cran au-dessus du niveau où sera activé un appel de marge que la nation est incapable d’honorer. La spéculation sur le défaut désormais probable de la Grèce se met en branle. En prenant des positions nues de Credit-Default Swaps (CDS), les spéculateurs s’« assurent » contre un risque qu’ils ne courent pas mais accroissent du coup la probabilité qu’il se concrétise. La hausse du prix des CDS, considérée dans le cadre de la théorie économique dominante du « marché efficient » comme une mesure objective du risque couru, génère une hausse proportionnelle du coupon exigé lors de l’émission de dette nouvelle par la Grèce, la pénalisant encore davantage. Une spirale mortifère s’enclenche que rien ne pourra stopper. D’autres États de la zone euro s’alignent du coup comme autant de dominos : chaque fois que l’un fait défaut, l’ensemble de ceux qui sont encore indemnes sera fragilisé et la spéculation se portera de manière instantanée sur le plus exposé après lui.
Lors de la chute des banques, les États se sont portés à leur secours. Le tour des États est maintenant venu. Le FMI restera seul pour tenter de sauver ceux-ci. Il a annoncé le 26 février, par la bouche de son président, Dominique Strauss-Kahn, qu’il était prêt à assumer ce rôle. On compte sur lui : le FMI est bien le dernier rempart.