Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Le premier groupe de représentants de Goldman Sachs à être interrogés était composé essentiellement de gens directement impliqués dans la production et la vente des CDO (Collateralized–Debt Obligations) au centre des poursuites pour fraude engagées contre la banque il y a une dizaine de jours par la SEC (Securities & Exchange Commission), le régulateur des marchés américains. Le Français Fabrice Tourre, le seul individu à être personnellement poursuivi, faisait partie de ce groupe. La stratégie utilisée par l’ensemble du groupe a été celle qu’on appelle en américain « stonewalling », que l’on traduit en français par « obstruction », une traduction où l’on perd malheureusement la dimension très visuelle suggérée par l’américain : « construire un mur de pierre ». Les membres du panel sénatorial ne parvinrent pas toujours à cacher leur frustration devant cette stratégie, ironisant sur le talent avec lequel l’équipe juridique de Goldman Sachs avait dû préparer les déposants. Tourre s’en est mieux tiré de ce point de vue que ses collègues en se montrant plus à l’aise que les autres, répondant directement aux questions, ne tournant jamais autour du pot, et se sentant suffisamment en confiance pour offrir spontanément des éclaircissements.
On a eu droit du fait de cette obstruction à cinq heures de dialogue de sourds, marquées seulement par quelques épisodes significatifs, tous à l’avantage cependant de la commission.
La première remarque qui parvint à désarçonner l’équipe de Goldman Sachs fut la référence faite par les sénateurs à certaines techniques utilisées par elle pour introduire dans les CDO des crédits de mauvaise qualité en tirant parti du fait que les agences de notation n’envisagent que leur qualité moyenne, et qu’il est donc possible de masquer par des crédits de bonne qualité d’autres, sélectionnés pour leur mauvaise qualité, et susceptibles du coup d’occasionner des pertes.
Fit mouche également, un document prouvant que Goldman Sachs avait parié sur la perte de l’un de ses concurrents, la banque d’investissement Bear Stearns, qui devait tomber en mars 2008.
Le moment le plus difficile pour l’équipe Goldman Sachs fut certainement la lecture d’un mail ayant circulé dans la firme disant, je cite de mémoire : « We made some great lemonade out of some good old lemons », phrase qui ne peut être traduite sans une explication. Un « lemon », un citron, c’est une bagnole d’occasion pourrie, et de manière plus générale, de la camelote. La phrase devient alors : « Nous avons fait de la super-limonade avec de bons vieux citrons ». Les hommes de Goldman Sachs étaient assis mais chacun d’eux a été cueilli par ce crochet à la mâchoire.
Dernière observation pour finir : si vous lisez ce blog, vous connaissez Alan Grayson un congressman dont vous appréciez le punch légendaire. Vous aimerez alors le sénateur Jon Tester, fermier « bio », dont on a pu constater aujourd’hui qu’il ne s’en laisse pas compter non plus.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.