COURAGE : rage de coeur persistante, force d’âme qui n’a cure des lauriers qu’on lui décerne pour ses hauts faits, qui les repousse même avec dédain de peur qu’on croie que le mérite se marchande. Avoir du courage, c’est avoir du coeur, par un détour métonymique immortalisé en littérature par le classique « Rodrigue, as-tu du coeur ? » du Cid de Corneille. L’expression « avoir du coeur à l’ouvrage » en a conservé le souvenir dans la langue courante. Pourquoi donc parler de force d’âme à propos d’un élancement de poitrine ? L’habitude en est prise depuis fort longtemps. Quelques-uns des hommes qui ont foulé la terre avant l’homo oeconomicus localisaient l’âme (la conscience, la veille active), confondue avec le souffle (souffle vital), dans la région du coeur et des poumons, ce qui n’a rien d’incongru, tout bien considéré, car le courage fait courir. Ce n’est déjà plus tout à fait un lâche que le lâche qui court. La liaison de l’âme et du coeur était familière aux anciens Juifs (Daniel, II, 30 ; VII, 28,sq.). Elle l’était aussi aux anciens Grecs, qui voyaient l’âme (psukhê) comme une vapeur, une fumée logée dans la poitrine. Les héros homériques, d’un courage à toute épreuve, ont le souffle (thumos) aussi puissant et communicatif que l’amitié généreuse. C’est un peu de leur âme qu’ils répandent autour d’eux en parlant. Ainsi de Nestor dont la voix, telle une rafale, réveille Ulysse en pénétrant par ses oreilles et en s’insinuant jusqu’à ses phrenes, ses poumons (Iliade, X, 139). Aristote, à la suite de beaucoup d’autres, pensait que « l’oreille ne comporte pas de passage (poros) vers le cerveau, mais en comporte un vers le palais »[1]. Du palais au pharynx et du pharynx aux poumons, le circuit des sons, souffle vibrant, était tout tracé. Les anciens Anglo-Saxons avaient la même conception. Dans Beowulf (2819 sq.), l’âme (sawol) « quitte le hreder du héros ». Hreder signifie tout ensemble « coeur, poitrine, esprit, poumon ». Dans certaines provinces de l’Angleterre moderne, dans le Durham, le Somerset ou le Shropshire, par exemple, on continue de désigner par le terme de soul, « âme », les poumons d’un oiseau. Le juron « Sur mon foie et sur mon âme » doit être entendu dans ce sens [2].
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