Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Mardi, durant l’audition au Sénat, j’ai mentionné comme exemple de la mauvaise qualité des modèles financiers en général, le modèle de Black-Scholes pour la valorisation des options, dont on sait qu’il est faux depuis le jour des années 1970 où il a été conçu, et dont on a transformé pour pouvoir l’utiliser quand même, une variable d’état, c’est-à-dire dont on ne peut que constater la valeur, la volatilité, en une variable de contrôle, à laquelle on attribue une valeur au pifomètre des salles de marché. Comment diable a-t-on pu en arriver à ce sommet de la stupidité humaine ?
J’en étais là de mes réflexions à ce sujet à l’heure du déjeuner quand, à la table voisine de la mienne à la Guinguette de Conleau où j’étais allé prendre mon repas pour profiter du beau temps, j’ai capté quelques bribes de conversation qui m’ont mis sur la voie de la solution.
Une dame expliquait à l’une de ses amies que le bon ordonnancement de ses journées était menacé par le fait que la résolution de son sudoku quotidien lui prenait désormais « moins de deux minutes ». Ni son amie, ni moi n’avions une proposition à lui faire pour l’usage des nombreuses minutes que son expertise croissante lui avait ainsi fait gagner.
Quelques minutes plus tard cependant, la même dame expliquait cette fois qu’un chantier sur le pont de l’autoroute à La Roche Bernard oblige en ce moment à une circulation alternée avec arrêt prolongé au milieu du pont : « Ce qui n’est pas tout à fait moi : tu me connais ! » Le trafic ne repart qu’au bout de ce qu’elle qualifiait d’« une infinité de temps » et, pour immédiatement préciser ce qu’elle entendait par là, elle ajoutait : « J’ai eu le temps de faire la moitié d’un sudoku ! »
Cher lecteur, pas besoin de vous faire un dessin, n’est-ce pas ?
1 sudoku = moins de 2 minutes ; ½ sudoku = une infinité de temps.
Il ne m’en fallait pas davantage bien entendu pour résoudre d’un seul coup deux énigmes : l’utilisation par les traders du modèle de Black-Scholes et la longueur de temps nécessaire pour un sudoku : la médiocrité de l’enseignement de l’arithmétique dans les classes élémentaires est sans aucun doute à incriminer dans les deux cas !
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