Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Quelles seront les conséquences de l’accord hier dans la soirée à Bruxelles à propos d’une motion du Parlement européen interdisant les positions dites « nues » sur les Credit Default Swaps (CDS) portant sur de la dette souveraine européenne ?
Je rappelle que dans une position « nue » sur CDS, l’« assuré » s’assure contre un risque qu’il ne court pas réellement, d’où la caractérisation : « s’assurer sur la voiture du voisin ». Celui qui contracte un CDS sur de la dette grecque, sans en disposer, c’est-à-dire sans avoir prêté d’argent à l’État grec, vise un gain en cas de défaut de la Grèce sur ses obligations, défaut qu’il encourage par ailleurs, puisque son CDS pèsera sur les taux que le marché des capitaux exigent de l’État grec.
Il s’agit en tout cas avec l’interdiction votée hier à Bruxelles, d’une mesure à caractère hautement symbolique puisqu’on s’en prend – une fois n’est pas coutume – aux spéculateurs. N’insistons pas sur la belle ingratitude dont font preuve les parlementaires européens quand on pense à la générosité des spéculateurs qui apportent jour après jour, et sans jamais se départir, de la liquidité aux marchés (soupir d’aise !) – le fait qu’ils piquent les sous des consommateurs quand ils poussent les prix à la hausse et ceux des producteurs quand c’est à la baisse, étant lui discrètement passé sous silence car « ayant été réfuté par de très nombreuses études universitaires » (sic).
Il s’agit aussi d’une mesure ayant requis une énorme somme d’efforts de la part des initiateurs du projet, et de Pascal Canfin du groupe Europe Écologie – Les Verts, en particulier.
Au cas où elle serait confirmée par un vote en assemblée plénière du Parlement européen en novembre, la mesure sera-t-elle efficace ? On l’espère, en dépit de plusieurs clauses restrictives inscrites dans le texte et qui ont la capacité de l’émasculer… significativement.
Ainsi, les pays signataires auront le droit de suspendre la mesure durant plusieurs années sur leur territoire s’ils jugent que le marché de leur dette publique aurait à en souffrir. Ainsi aussi, les positions « nues » seront autorisées si l’intervenant est exposé par ailleurs à un risque « corrélé » à celui de la dette publique au sujet de laquelle il contracte un CDS. Imaginons que je possède de la dette portugaise. Si la Grèce restructure sa dette, il va de soi que le Portugal se retrouvera immédiatement dans la ligne de mire comme prochain candidat possible à une restructuration et que les risques de défaut sur le Portugal et la Grèce sont bien « corrélés ». Il me sera donc toujours loisible de contracter un CDS en position « nue » sur de la dette grecque, et donc de spéculer sur le défaut de la Grèce, et cela sous le prétexte (ai-je dit « fallacieux » ?) que je cours un risque sur de la dette portugaise.
Le plus grand risque lié à cette clause restrictive est cependant celui-ci : quand une crise éclate, tous les prix baissent simultanément et les spéculateurs auront beau jeu de démontrer qu’en pariant à l’aide de CDS en position « nue » sur la chute de l’ensemble des États, il ne font rien d’autre que se protéger contre des risques corrélés – ce que les chiffres ne pourront que confirmer. On aurait voulu s’assurer, en restreignant l’interdiction adoptée à Bruxelles par cette clause, que le risque de contagion du risque de crédit sur la dette publique sera maintenu à tout prix, qu’on ne s’y serait pas pris autrement.
On nous affirme bien sûr que les régulateurs des pays cherchant à obtenir des exemptions de l’interdiction pourront soumettre leur cas à l’Autorité européenne des marchés financiers, le fait que l’opinion de celle-ci ne sera pas contraignante n’est cependant pas là pour nous rassurer.
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