L’aveu d’échec du président de l’autorité de contrôle des marchés britanniques signe-t-il la faillite généralisée de la régulation de la finance ?
Atlantico : Lord Turner, le président de la FSA – l’autorité de contrôle des marchés financiers britanniques – a déclaré que les années qui ont précédé l’éclatement de la bulle du crédit étaient un monde d’illusions (« a fool’s paradise ») en termes de régulation. Les autorités de contrôle des marchés ont-elles oublié, voire failli, dans leur mission de contrôle des marchés partout en Europe ?
Paul Jorion : Il faut dire deux choses. La première est que l’idéologie ultralibérale prenait le pouvoir à partir des années 1970 : moins les régulateurs intervenaient, mieux c’était, l’État étant selon elle responsable de tous nos maux. La seconde, c’est que la prétendue « science » économique avait déjà creusé le lit de ces croyances. Celle-ci s’est bâtie à partir des années 1870 sur le postulat « laplacien » que le monde futur est parfaitement connaissable à partir d’une information complète du monde présent. En conséquence, il n’est jamais nécessaire de réglementer, il suffit d’offrir une information plus complète et plus transparente. C’est ce qui explique cette chose que le public ne parvient pas à comprendre : il réclame des mesures et on lui répond « meilleure transparence de l’information ». « Quel est le rapport ? », répond-il. Le rapport, c’est ce postulat laplacien, postulat démenti bien entendu une première fois par les découvertes de la mécanique quantique dans les années 1920, et une seconde fois, dans les années 1980, par la découverte des dynamiques « chaotiques », mais la « science » économique, à qui nos politiques accordent encore toute leur confiance, vit dans un « silo épistémologique » et ne s’est encore aperçue de rien.
Atlantico : Dans quelle mesure le manque de contrôle des marchés est-il responsable de la crise ? (autrement dit, la crise aurait-elle éclaté de la même manière, sachant que la plupart des activités étaient légales ?)
Paul Jorion : Sa responsabilité est de 100 %. Les règles qui auraient pu empêcher la crise des subprimes ont été appliquées au Canada – où la crise à été évitée – et en Caroline du Nord. La Mortgage Bankers Association, le syndicat patronal du secteur du crédit hypothécaire aux États-Unis a dépensé 500 millions de dollars en lobbying pour empêcher que d’autres états américains n’adoptent la même législation que la Caroline du Nord. On dit souvent qu’on ne connaît pas les responsables de la crise, c’est faux et je les dénonçais déjà dans mon livre Vers la crise du capitalisme américain ? (La découverte), paru en janvier 2007.
Atlantico : Depuis la crise, la régulation financière s’est-elle renforcée ou a t-elle été un grand oublié ?
Paul Jorion : Ce n’est pas une question d’oubli : c’est le fait que le pouvoir de l’argent permet de neutraliser toutes les tentatives de régulation de la finance. Dans les semaines récentes, les organismes pétroliers ont sabordé une tentative de régulation du marché du pétrole, les intervenants sur le marché de la dette à court terme ont su empêcher leur réglementation, et les lobbys représentant les principaux acteurs sur le marché à terme des matières premières viennent de paralyser, grâce à une décision de justice qui leur est favorable, un plafonnement des positions spéculatives. Un tel comportement est suicidaire bien entendu : on assiste au spectacle du court-termisme devenu fou.
Atlantico : Nombre d’acteurs économiques s’inquiètent des accords de Bâle 3 relatifs à la régulation bancaire qui entraînerait un surcoût pour les banques et les opérateurs. Quels sont les risques associés à un excès de régulation ?
Paul Jorion : Dans le processus actuel d’effondrement de l’appareil financier, dû à une absence de réglementation, les risques associés à un éventuel excès de régulation sont tous simplement inexistants.