Paul Jorion
Paul Jorion, pourquoi à votre avis François Fillon « lâche »-t-il soudain le mot rigueur qui fait tellement peur à ceux qui le prononcent ?
– C’est un lapsus, une erreur… Il n’a pas fait attention. Il y avait un consensus avec Nicolas Sarkozy et Christine Lagarde pour éviter d’employer ce mot. Le chef de l’Etat avait listé une série de critères pour définir la rigueur, une manière de dire qu’on ne remplissait pas ces conditions. La France ne renvoyait pas de fonctionnaires, etc. Or, dans les discussions entre eux (NDLR : les dirigeants) ils emploient ce mot car c’est de ça qu’il s’agit ! Le mot est chargé, comme celui d’austérité, ils savent qu’il vaut mieux ne pas l’utiliser.
– Comment éclairer les distinctions ?
– Elle est légère entre les plans de rigueur classiques où l’on élimine un certain nombre d’avantages sociaux, et ceux de rationalisation où il faut faire baisser les coûts de fonctionnement qui pèsent sur la dette publique. Or, récemment, les aides au logement ont été rabotées, même si ça a été fait discrètement. Tout le monde sait que ces mesures sont très importantes en période électorale.
– Pourquoi ce mot « rigueur » fait-il aussi peur ?
– Il y a eu un mini-krach aux USA le 6 mai. Or, quand on interrogeait les auteurs d’opérations boursières, ils voyaient en boucle à la télé les émeutes en Grèce, où il y a eu plusieurs victimes. En Europe, on veut surtout éviter cette dramatisation. Une manière de dire : ce qui se passe ici n’a rien à voir avec la Grèce…
– Mais Fabius lâchait déjà le mot en 1983…
– Certes, mais à ces époques les schémas d’austérité et de rigueur découlaient d’une lente et régulière dégradation de la situation. Dans le même temps, il y avait donc une prise de conscience de la population. Cette fois, tout le monde connaît le processus qui a mené à la crise actuelle : les subprimes, le tarissement du crédit, le sauvetage du secteur bancaire grâce au contribuable… Et d’un seul coup, un discours tombe de nulle part qui nous dit : mais non, la crise, ce n’est pas ça du tout ! C’est parce qu’on a vécu au-dessus de nos moyens. C’est un discours invendable. La vérité, c’est que ce sont les sommes extraordinaires accordées au secteur bancaire qui ont poussé la dette au-delà de ce qui pouvait se faire d’habitude. Le seul secteur qui a vécu au-dessus de ses moyens, c’est le secteur financier. Mais ce n’est pas à lui qu’on demande de réparer les choses, on se retourne vers le contribuable.
– Ce mot peut-il annoncer une inflexion politique à venir ?
– Non, la politique en place avance sur des œufs, on va continuer sur la même voie. Fillon était loin de la France, le terme lui a échappé.
Recueilli par Antoine PETRY