Dexia et les vaches à lait
Il y a dans Dexia, une banque toxique, le livre de Nicolas Cori et Catherine Le Gall (La Découverte 2013), un passage qui nous fait comprendre la nature même du mal qui a terrassé cet établissement bancaire né en 1996 de la fusion du Crédit Local de France et du Crédit Communal de Belgique, et mort en 2012, du moins pour ce qui touche à la nature des produits financiers que Dexia vendait aux collectivités locales.
Le passage en question est celui où les auteurs du livre rencontrent l’inventeur du « crédit structuré », le produit qui conduira plus d’une de ces collectivités à la ruine. Celui-ci, dont on nous dit seulement qu’il s’agit d’un ancien de JP Morgan, accepte de parler sous couvert d’anonymat. Si ses propos sont rapportés correctement par Cori et Le Gall, une telle attitude est sage car, comme on le verra, il justifie le crédit structuré par ce qu’il sait être un mensonge.
Rappelons le principe du crédit structuré : le client, la collectivité locale, contracte un emprunt auprès de Dexia à un taux « bonifié », c’est-à-dire moins élevé que celui qu’offre le marché des capitaux au moment de la conclusion du contrat. En contrepartie de cet avantage consenti à l’emprunteur, il existe pour lui une contrainte : si les circonstances changent, par rapport aux taux d’intérêt sur le marché des capitaux ou par rapport au taux de change de l’euro par rapport à une autre devise, ou pour une autre raison encore, tout cela dépendant des termes du contrat, alors l’emprunteur devra s’acquitter de versements d’intérêts à un taux plus élevé – et éventuellement beaucoup plus élevé – comme le taux flottant du marché additionné d’une marge, ou un taux calculé par rapport au différentiel de change entre deux devises, etc. Ou, dans les termes mêmes des promoteurs du crédit structuré : « Il s’agit d’un contrat qui comprend à la fois un prêt classique à taux fixe et un swap transformant le taux fixe en taux variable si les taux d’intérêt sur le marché augmentent significativement jusqu’à dépasser un certain seuil ». En fait, il ne s’agit pas à proprement parler d’un swap : le crédit structuré combine un prêt avec un contrat d’assurance, où c’est paradoxalement l’emprunteur qui joue le rôle de l’assureur, et c’est le montant implicite de la prime versée par le prêteur à l’emprunteur qui permet au premier d’accorder au second un avantage en retour, sous la forme d’une « bonification » du taux qu’il exige de lui sur le prêt.
Continuer la lecture de LE MONDE : « Dexia et les vaches à lait », lundi 21 – mardi 22 octobre 2013 →