Billet invité.
Avec les plans d’austérité, une grande partie du peuple grec est rentré dans le domaine de la survie. Il est de moins en moins exclu que les peuples espagnol, portugais et d’autres encore partagent ce triste privilège dans un avenir proche. Je sais qu’il faut par nature se méfier des analogies hâtives, mais les disparités croissantes entre les pays et les régions ne sont pas sans rappeler une organisation de l’espace beaucoup plus ancienne, celle de l’espace européen à la fin de moyen âge. Une référence s’impose, celle de Braudel et sa somme « Civilisation matérielle, économie et capitalisme du XVe au XVIIIe Siècle ».
De quoi s’agit-il ? De la renaissance durant cette époque des villes, qui s’affirment rapidement comme les lieux de concentration de la richesse. Ces pôles se développent dans de vastes espaces géographiques cantonnés à une économie dépassant de peu le niveau de la survie. La population habite pourtant très majoritairement dans les campagnes, les villes ne représentent qu’une toute petite fraction de la population totale. La richesse des villes vient en partie de l’interdépendance qui se crée avec l’espace environnant. Les campagnes écoulent leurs surplus à la ville voisine, fournissent la matière première et une main-d’œuvre supplétive quand elle est suffisamment proche. La ville crée un cadre et cristallise la division du travail, des artisans fournissent les outils et les biens manufacturés indispensables aux campagnes alentours, d’autres artisans plus spécialisés transforment les matières premières en produits à forte valeur ajoutée. Pour vraiment s’enrichir, une cité doit de se spécialiser et se différencier des autres villes : les cités drapières du nord par exemple. Un commerce de haut niveau s’établit entre ces villes, dessinant les prémisses d’une économie internationalisée. Au sommet de la pyramide une ou plusieurs villes mondes concentrent les « surprofits », soit parce qu’elles sont des lieux de marché, soit parce qu’elles assurent le commerce au loin et les échanges de produits rares avec l’extérieur, ou encore parce qu’elles assurent le financement et le clearing de ce commerce haut niveau. Ces pôles de richesse demeurent très indépendants vis-à-vis du pouvoir central, quand celui-ci cherche à affirmer son autorité absolue sur son territoire. Les surprofits générés sont peu taxés, le système d’imposition est historiquement construit sur l’exploitation des terres et un peu sur la circulation des marchandises, il frappe avant tous les campagnes (la taille royale, en partie fondée sur le revenu ne devient permanente qu’en 1439 en France).
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