Billet invité
Dans une récente interview à Rue89, Edgar Morin explique : « Aujourd’hui, quel est le nouvel improbable ? La vitalité de ce que l’on appelle la société civile, une créativité porteuse d’avenir. En France, l’économie sociale et solidaire prend un nouvel essor, l’agriculture biologique et fermière, des solutions écologiques, des métiers de solidarité… Ce matin, j’ai reçu un document par e-mail sur l’agriculture urbaine. Au Brésil, où je vais souvent, des initiatives formidables transforment actuellement un bidonville voué à la délinquance et à la misère en organisation salvatrice pour les jeunes. Beaucoup de choses se créent. Le monde grouille d’initiatives de vouloir vivre. Faisons en sorte que ces initiatives se connaissent et se croisent ! » Il aurait pu citer quantité d’autres exemples, comme celui des persécutés de Tarnac ou de ces immigrés dans le conte de Noël du Yéti, dont je vous recommande une lecture attentive pour qu’il ne reste pas un cas isolé et oublié mais, tout au contraire, relié dans vos mémoires à beaucoup d’autres qui procèdent des mêmes principes. Avant que toutes « ces initiatives se reconnaissent et se croisent » sur le terrain, il faut qu’elles se rejoignent dans les consciences.
Pour accomplir leur dessein, les pionniers du capitalisme ont suivi une stratégie volontaire. Mon billet précédent suggère qu’ils se sont constitués d’emblée sur quatre plans distincts mais reliés : spirituel, avec la bible comme source d’inspiration et de motivation d’une nouvelle manière de vivre ; individualiste, par l’investissement de soi et l’initiative récompensés par la richesse ; opérationnel, par une nouvelle conception du travail et de l’économie ; collectif, par la diffusion et la pratique d’une nouvelle religion. Il n’en fallait pas moins pour venir à bout des vieilles traditions qui donnaient sa cohérence à la société civile de l’époque. Celle-ci a perdu parce que, ayant pris et conservé l’initiative, les capitalistes proposent à chacun, pris individuellement, des coups qui semblent gagnant-gagnant, (comme il arrive aux échecs d’échanger un pion contre un autre), mais dont ils ressortent les seuls gagnants à long terme. C’est évidemment le cas avec les emplois qu’ils imposent, des emplois qui sont, rappelons-le, des « postes de travail » conçus par eux, donc à leur avantage, et que l’on est contraint d’accepter faute de mieux. Mais quand on examine de plus près ce qu’ils ont dans le ventre, ces emplois, il y a de quoi être consterné, car certains sont si inhumains, en particulier le travail d’enfants réduits en esclavage, ou le travail à la chaîne, (dont les principes valent désormais dans des métiers où on les croyait inapplicables), que c’est comme si l’on demandait à des brebis d’allaiter des louveteaux.
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