Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Hier matin, j’étais aux côtés de Laurent Joffrin et Jacques Mistral à une journée organisée à Paris par le Nouvel Observateur. Le thème de notre table ronde était : « Les Financiers : ils n’ont rien compris, ils n’ont rien appris ». J’ai profité d’une question venant de la salle pour expliquer ma proposition d’interdiction des paris sur les fluctuations de prix, qui a toujours été accueillie jusqu’ici par un silence poli teinté de perplexité et là, j’ai été surpris de voir cet auditoire jusque-là très silencieux, éclater en applaudissements.
Bon, on pourrait imaginer qu’à force de vanter ma camelote, j’ai découvert le moyen d’améliorer mon boniment. Il y a peut-être un tout petit peu de ça, mais il y a d’autres signes qui me permettent de constater que mes interventions sont reçues avec un enthousiasme croissant.
J’accepte les invitations les plus diverses, y compris dans des cadres a priori conservateurs, voire même très conservateurs, où je m’attends à ce que mes thèses soient mal reçues. Je vais les tester là « en terre de mission ». Or, il m’arrive maintenant au moment où je dis, par exemple, qu’il va falloir remettre en question la manière dont nous concevons la propriété privée, de noter avec surprise les nombreux hochements de tête approbateurs qui accueillent mes paroles dans la salle.
Bien sûr, j’interviens souvent dans des cadres où l’auditoire m’est acquis, mais dans ces autres, où l’accueil devrait logiquement être plutôt froid, j’échange quelques mots à la fin de l’exposé avec les auditeurs qui tiennent à me parler. La teneur de ce qu’ils me glissent dans le tuyau de l’oreille est toujours la même : « Ne le dites surtout pas aux autres, mais je suis tout à fait d’accord avec vous ! », et ils m’expliquent alors pourquoi, me prouvant qu’il ne s’agit pas simplement d’un accord superficiel. Une personnalité du milieu financier – qui se reconnaîtra sans doute puisqu’elle me prouva être un fidèle parmi les fidèles – m’a ainsi dit lors d’une de ces conversations rapides : « Je suis étonné que vous soyez arrivé à ne jamais rater un seul de vos rendez-vous vidéo du vendredi ! ». Rentré chez moi, j’ai voulu en avoir le cœur net : quelle constance lui avait-il fallu pour être si sûr de son fait ? La réponse : fidèle au poste depuis quatre-vingt-trois semaines. Chapeau !
Je sais comment vont réagir à ce que je rapporte ici certains d’entre vous : un peu d’agacement à découvrir que le petit club n’est pas aussi sélect qu’ils ou elles l’imaginent. J’y vois moi un énorme encouragement : que les idées que nous discutons ici font leur chemin, aussi bien au niveau d’un évêché ou d’un club Rotary que des banques coopératives ou des syndicats.
La question que je me pose en ce moment, c’est celle-ci : toutes ces personnes qui me disent en catimini, « Ne le dites surtout pas aux autres ! », que se passerait-il si elles se rendaient compte soudain que tous ces fameux « autres », me disent en réalité exactement la même chose qu’eux ?
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.