Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Guillaume Sommerer : Même si Cantona n’est pas suivi, sa proposition est-elle extrémiste et dangereuse ?
Paul Jorion : La proposition d’Éric Cantona : que les particuliers retirent leur argent des banques est certainement dangereuse puisqu’elle peut déboucher sur une panique bancaire, or les paniques bancaires constituent le talon d’Achille des banques commerciales : l’argent des dépôts est prêté pour sa plus grande part et le retrouver dans l’instant est extrêmement difficile pour une banque.
Je ne dirais pas nécessairement que la proposition est « extrémiste » parce que le mot « extrémiste » implique un jugement de valeur, mais elle est certainement « extrême » ou, mieux encore, « radicale ». Elle est radicale au sens où il s’agit d’un moyen « non-conventionnel » d’obtenir un résultat. Cantona dit, je résume : « Les moyens conventionnels ne marchent pas : voyez la contestation de la réforme des retraites, il faut utiliser des moyens « non-conventionnels » ». Et c’est vrai, les moyens conventionnels de protester deviennent rapidement impopulaires : le manque de carburant empêche les gens de se déplacer, de prendre leurs vacances, etc.
GS : L’image des banques est, il faut le reconnaître, dégradée. Peuvent-elles y remédier ?
PJ : Il est toujours possible de remédier, mais les banques veulent-elles remédier à leur image dégradée ? Il semble bien que non. Elles ne l’ont pas fait au cours des trois années récentes : elles ont repris les comportements anciens et condamnés par le public aussitôt que l’occasion leur en a été offerte – il faut le souligner, à grand renfort d’aide des États, c’est-à-dire en fin de compte du contribuable. On a même vu aux États-Unis, des banques investir l’argent de l’aide publique dans du lobbying visant à contrer toute mesure visant à modifier leurs habitudes.
La réponse est donc : oui, elles peuvent y remédier. Mais l’autre question qui vient immédiatement est : ont-elles manifesté depuis trois ans la moindre velléité d’y remédier, et là, la réponse est clairement non.
GS : Y a-t-il des alternatives aux banques commerciales pour le consommateur ?
PJ : Oui, bien sûr, il existe un secteur bancaire coopératif.
Ceci dit, je propose personnellement une mesure qui, si elle était appliquée : l’interdiction des paris sur les fluctuations de prix, une façon d’interdire la spéculation pure, cantonnerait les banques à leurs fonctions utiles : l’intermédiation qui met en contact prêteur et emprunteur, et la fonction assurantielle, qui permet de maîtriser le risque en le partageant. Il ne serait pas nécessaire alors de se tourner vers d’autres établissements. Ces fonctions d’intermédiation et d’assurance ne doivent d’ailleurs pas nécessairement être exercées par des firmes privées : elles pourraient tout aussi bien l’être par des établissements de droit public, comme ça a été le cas en France en particulier.
L’introduction – ou la réintroduction – de l’équivalent du Glass-Steagall Act, constituerait une version faible de mon interdiction des paris sur les fluctuations de prix, puisque cet ensemble de lois américain implique non pas une interdiction des activités nuisibles de la finance mais simplement l’obligation que ces activités nuisibles soient réservées à des établissements financiers séparés. Ceci permettrait certainement que l’argent des dépôts des particuliers ne soit pas utilisé à des activités de casino mais la prédation de la finance sur l’économie resterait intacte.
GS : L’économie et la finance sont de plus en plus complexes. Cela signifie-t-il qu’une critique de leur fonctionnement passe par des réponses caricaturales et extrémistes ?
PJ : La finance ne fait certainement rien pour simplifier son message, l’opacité soutient ici le pouvoir et les avantages acquis. Il faut ajouter aussi que sous prétexte d’assurer l’indépendance des banques centrales et des institutions financières internationales, on en a fait des forteresses sur lesquelles la classe politique n’a pratiquement plus aucune prise. Ces forteresses sont servies par des « experts ». Malheureusement, leur expertise est dans cette prétendue « science » économique dont la vacuité et l’impuissance a été mise en évidence par la crise, parce qu’elle n’est en réalité qu’une idéologie complaisante dont la finance a encouragé le développement pour servir de justification théorique à sa pratique effective. Dire que ces banques centrales et institutions financières internationales sont composées d’« experts » veut donc simplement dire : composées de gens qui sont tous d’accord entre eux parce qu’ils partagent la même idéologie.
La critique du fonctionnement de l’économie et de la finance doit être faite en expliquant leurs mécanismes dans un langage clair – ce à quoi je me consacre depuis plusieurs années –, et également en mettant sur pied une véritable science économique, ce qui est possible et a d’ailleurs été fait jusqu’au milieu du XIXe siècle – effort auquel j’essaie de contribuer également dans des ouvrages comme L’argent, mode d’emploi (Fayard 2009) ou Le prix (Le Croquant 2010).
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