QUELLE UTOPIE POUR AUJOURD’HUI ?, le vendredi 31 janvier de 20h à 22h

C’EST TERMINÉ !

Billet invité, par Michel Leis. Le billet ci-dessous, ainsi que la réponse de Jean-Luce Morlie, seront mis en débat ici-même vendredi 31 janvier entre 20h et 22h

Quelques réflexions autour des utopies, par Michel Leis

Devant l’ampleur d’une crise dont on ne voit pas la sortie, les utopies font leur retour dans le débat politique et trouvent d’autant plus d’échos qu’elles sont comme une bulle d’oxygène face à la montée des extrêmes. Extension de la gratuité, sortie de la marchandisation, remise en cause de la propriété privée, les directions évoquées sont nombreuses et renvoient pour l’essentiel aux thématiques déjà présentes dans les utopies du XIXe siècle. Le retour des utopies montre combien il est nécessaire de renouveler le débat politique, elles soulignent l’ampleur des changements qui seront nécessaires, mais elles soulèvent aussi la question de leur viabilité dans le temps. Je ne parle pas ici des idées, mais bien des différentes tentatives de concrétisation dont elles ont fait l’objet. À l’heure où trouver des solutions viables devient une impérieuse nécessité, il me semble nécessaire de porter un regard lucide sur l’écart entre la théorie et la pratique. Sans faire œuvre d’historien ou de sociologue (je ne suis ni l’un ni l’autre), je voudrais tenter ici de dresser une typologie simplifiée de ces différentes tentatives et surtout partager quelques questionnements sur ces expériences.

Un premier groupe, un peu en marge de cette réflexion, est celui des utopies de fait. Des individus se rassemblent ou rejoignent une communauté sur la base d’une vérité transcendante partagée. L’utopie sociale existe de facto parce que l’organisation en vue de la satisfaction des besoins matériels n’est qu’une contingence matérielle, indispensable pour organiser la survie, mais totalement accessoire dans la motivation qui rassemble les individus dans cette communauté. Ce cadre spécifique explique pourquoi la répartition des fruits de ce travail se fait le plus souvent sur des bases égalitaires : ce n’est pas un enjeu important de la vie collective. On y trouve principalement des communautés religieuses, en particulier celles qui vivent sur un idéal de pauvreté et de simplicité comme les franciscains. Il est vrai que dans certains ordres religieux, l’accumulation de richesses créées a pris une tout autre ampleur et la hiérarchie cléricale a imposé parfois une répartition beaucoup moins égalitaire des fruits du travail collectif. La hiérarchie cléricale ne s’arrêtait pas aux murs de l’ordre monastique, elle était à même d’exclure de la communauté des croyants celui qui se serait risqué à quitter la congrégation. Ceci explique pourquoi des individus ont pu rejoindre au fil de l’histoire des ordres religieux, non de leur plein gré, mais sous contrainte sociale et familiale, sans pour autant constituer une réelle menace. Pour l’essentiel, ce cadre est peut ouvert aux laïcs, sauf peut-être dans les missions jésuites du Paraguay des XVIe et XVIIe Siècles qui créent une véritable utopie sociale ouverte aux paysans indigènes, mais dont le but premier reste l’évangélisation. Beaucoup d’ordres religieux (quelle que soit la religion) existent toujours aujourd’hui. D’une certaine manière, ces communautés sont des modèles de durée par rapport aux autres utopies sociales, mais la croyance en la vérité révélée (sinon l’acceptation de la foi et des rites) est la principale garantie de cette durée.

Deuxième groupe d’utopies sociales, celles où un entrepreneur décide de mettre en œuvre une vision sociale plus radicale sur la base de ses propres convictions. Les filatures de coton reprises par Robert Owen à New Lanark ou les familistères créés par Jean-Baptiste André Godin à Guise et à Laeken relèvent sans aucun doute d’une telle démarche. Dans tous ces cas de figure, on trouve une entreprise industrielle qui veille à une répartition plus égalitaire de la valeur ajoutée et qui d’autre part se substitue à l’État dans nombre de domaines comme le logement, l’éducation ou les activités sportives et culturelles. L’architecture du palais social du familistère de Guise est une référence directe au phalanstère fouriériste, tandis que les préoccupations en matière d’éducation de Owen imprègnent le site de New Lanark. Ces deux exemples sont à bien des égards des réalisations exceptionnelles. La survie dans le temps de telles utopies repose sur plusieurs facteurs : le succès industriel et commercial, une structure de décision hiérarchique qui veille à l’efficacité de la production et la volonté du dirigeant et de ses successeurs. Si ces expériences survécurent à leurs pères fondateurs, aucune ne parvint à passer le cap de 1968, date de la fermeture des usines de Lanark et de la revente de la maison Godin à une entreprise industrielle traditionnelle. La contrainte posée par un environnement concurrentiel de plus en plus dur laisse peu de place aux expérimentations sociales.

Robert Owen participa aussi à d’autres expériences utopiques comme New Harmony, communauté montée aux États-Unis, non sur la base d’un projet industriel, mais sur une pure vision utopique. C’est notre troisième groupe, celui constitué par des individus qui décident de tout mettre en commun, que ce soit les ressources ou les fruits du travail, dans le but explicite de créer une utopie sociale. L’éventail est très large, depuis les expériences de phalanstères influencées par les écrits de Fourier ou les Icaries sous l’impulsion d’Étienne Cabet, jusqu’au « revival » des années 60 avec les communautés hippies. Leur durée de vie est inversement proportionnelle aux nombres de communautés. La déliquescence de ces tentatives tient à de nombreux facteurs, mais deux d’entre eux me semblent essentiels. Tout d’abord, la croyance collective de départ ne se transforme pas en norme sociale à même d’orienter le comportement des individus, à la différence des communautés religieuses évoquées plus haut. Souvent incapable d’organiser sa propre survie, la répartition du travail et de ses fruits devient à un moment ou à un autre un enjeu majeur, la plupart de ces expériences s’achevant avec l’épuisement du capital de départ des membres ou des mécènes. La deuxième limite est liée aux luttes de pouvoir, luttes que l’on retrouve dans deux cas de figure opposée : les rares cas de figure où la communauté s’est révélée être prospère (l’Icarie installée en Iowa) et celui où la survie de l’expérience est menacée, et un ou plusieurs membres de la communauté essayent d’imposer leur point de vue pour combattre le naufrage qui s’amorce.

Il reste un modèle à mi-chemin entre les utopies par construction autour d’un modèle économique et les utopies construites sur une aspiration purement sociale, ce sont les kibboutz(i), expériences d’autant plus intéressantes qu’elles perdurent aujourd’hui. Ce mode d’organisation a longtemps survécu à la marge d’un système capitaliste par le jeu des subventions d’État, tout en étant parfois un modèle d’efficacité, en particulier dans le domaine agricole. Pourtant l’accès au pouvoir de la droite israélienne à compter de la fin des années 70 a failli signer leur arrêt de mort. La productivité étant assez faible, les subventions étaient l’une des conditions indispensables à leur survie. Les kibboutz ont alors choisi de se privatiser et beaucoup sont passés près de la fermeture. Les trois quarts d’entre eux ont introduit des salaires différenciés pour augmenter la productivité, une part de propriété privée a été autorisée dans certains d’entre eux, des industries se sont montées avec des salariés extérieurs à la communauté. Un quart d’entre eux sont restés totalement fidèles aux modèles d’origine sans propriété privée, souvent au prix d’une réorganisation douloureuse. Cependant, même dans les kibboutz qui ont abandonné totalement le modèle d’origine, les salaires restent très égalitaires, de l’ordre de 1 à 3, et les services sociaux offerts à leurs habitants sont sans commune mesure avec ce qui se pratique dans le reste de la société, le plus souvent sur un modèle qui reste celui de la gratuité. L’efficacité accrue des kibboutz se retrouve aujourd’hui dans la contribution au PIB d’Israël (1.5 % de la population, 6 % du PIB, 40 % de l’agriculture et 10 % de l’industrie du pays), ce qui tord le cou par ailleurs à la soi-disant inefficacité d’une organisation autogérée du travail. Certes, la transition a été décidée démocratiquement, la distribution du revenu reste égalitaire, le niveau et la qualité des services offerts sont excellents, mais il se trouve que l’élargissement du champ d’activité s’est accompagné du recrutement de salariés pas toujours bien payés pour des raisons de compétitivité (!), souvent originaires de Palestine ou immigrés des Philippines, l’exploitation de l’individu par la communauté en quelque sorte.

On ne peut terminer cette typologie rapide sans évoquer les différents épisodes révolutionnaires destinés à mettre en place le communisme en tant qu’utopie sociale ultime. Même portées par un idéal fort, ces tentatives sortent très vite du champ des utopies. L’accession au pouvoir s’est en général doublée de la mise en place d’une réplique du capitalisme, non plus fondée sur la plus-value monétaire, mais tout entière orientée vers l’appropriation d’une plus-value de pouvoir. L’extraction de cette plus-value de pouvoir s’élabore de la même manière que dans le capitalisme le plus brutal : l’asservissement de l’individu. La dictature du prolétariat porteuse du rêve communiste ne se révèle être qu’une bien grise dictature de la bureaucratie et de son élite, la nomenklatura. Ce mode de fonctionnement spécifique coupe les bénéficiaires du système de la masse de la population dont le niveau de vie ne s’améliore pas ; cet aspect des choses n’étant pas dans les préoccupations immédiates de l’appareil de régime. Les utopies sociales sur une grande échelle semblent solubles dans la structure de l’État et cette conclusion est en soi un peu inquiétante : elle semble invalider l’idée d’un changement organisé au niveau d’un État, sauf si ce changement bénéficiait d’un soutien très large. Dans une société où la croyance dans l’utopie ne serait pas partagée par tous, le recours à la dictature serait inévitable et les enjeux de pouvoir prendraient le pas sur toute autre considération.

Il est toujours délicat de tirer des conclusions sur ce panorama rapide des utopies, mais il pose quelques questions intéressantes en particulier pour les communautés qui ne reposent pas sur la foi. Quelques questions fondamentales se font jour : le partage du travail, la prise en compte du bien-être des individus et la question de la forme et de l’exercice du pouvoir dans le contexte particulier de l’utopie.

« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », telle est l’expression du châtiment de Dieu après le péché originel. Le propre de toutes les communautés qui s’inscrivent dans la durée est bien de mettre en place une répartition du travail dont l’originalité tient au fait que tout le monde occupe un emploi. Elle tient compte pour les communautés les plus avancées des capacités de chacun ou de la pénibilité du travail (une rotation est organisée dans les usines Godin pour éviter que les emplois les plus pénibles soient toujours occupés par les mêmes personnes). Pas de sur-travail, pas de sous-travail, le travail est réparti en fonction d’une nécessité collective.

Deuxième aspect fondamental de l’inscription dans la durée : le bien-être matériel. Là encore si l’on exclut les ordres monastiques, les succès observés prennent en compte cette dimension. Le palais social de Godin, les logements autour de New Lanark constituaient sans aucun doute un progrès par rapport à ce qui se faisait et se pratiquait à l’époque. Les kibboutz veillent à l’amélioration des conditions de vie individuelle, au détriment parfois de la vie collective qui était la règle dans le concept d’origine. Il reste que ces utopies poussent vers une consommation raisonnable et souvent plus diversifiée que celle qui prévaut dans le reste de la société. Entre autres la dimension culturelle et l’épanouissement personnel jouent un rôle important. La prise en compte de cette dimension semble indispensable pour obtenir l’adhésion de ces membres : faute d’avoir pris en compte cet aspect des choses, la structure de pouvoir se délégitime dans les pays communistes. À l’inverse, trop d’importance accordée à l’amélioration des conditions matérielles conduit à une sortie du paradigme initial, surtout quand cette amélioration est très inégalement répartie, ce que refléterait la situation chinoise d’aujourd’hui.

Ce qui conduit tout naturellement à la question de l’exercice et de la forme du pouvoir dans les utopies. C’est bien là où le bât blesse. À l’exception notable des kibboutz, la plupart des utopies sociales finissent par buter sur le problème du pouvoir, problème d’autant plus aigu que le fonctionnement réel s’écarte de l’idée initiale. L’autogestion n’est présente qu’à la marge dans les tentatives de Owen et Godin. Même aujourd’hui, les SCOP et autres sociétés détenues par leurs salariés font rarement l’impasse sur une hiérarchie formelle ou informelle liée aux compétences (au mieux). Les autres expériences se heurtent toujours à la non-adhésion d’une partie des individus ou à l’érosion du modèle de départ, ce qui conduit à des prises de pouvoir de fait qui ne laissent d’autre choix aux autres membres que de se soumettre ou de s’exclure de la communauté.

Reste à savoir si les contraintes qui pèsent sur le travail et la répartition de ses fruits naissent de l’environnement ou sont inhérentes au mode utopique. Si l’on met de côté les ordres religieux ou les tentatives d’établissement d’un régime communiste dans certains pays, il est difficile de trancher. La survie tient-elle au mode de production capitaliste où la contrainte posée par le capitalisme est telle que seule une communauté qui s’inscrit dans ce cadre peut survivre ? Cette question est fondamentale si l’on regarde l’aventure des kibboutz ou plus loin en arrière celle de New Lanark ou de Godin. La contrainte posée par le système finit par faire rentrer les expériences dans le rang ou conduit à en modifier radicalement le cadre pour les rapprocher d’un système capitaliste plus conventionnel. Un épanouissement dans le temps d’un mode d’organisation alternatif réclame un univers moins concurrentiel ou moins marqué par la quête du profit.

Les utopies ne font que poser en des termes différents un problème vieux comme le monde, celui du partage du travail et des revenus, mais il reste un point fondamental qu’elles ne peuvent évacuer celui de l’exercice du pouvoir. Sans un soutien inconditionnel de ses membres, la croyance partagée ou l’enthousiasme d’une personnalité charismatique, l’utopie ne finit souvent qu’en lutte de pouvoir stérile ou en régime totalitaire. L’analogie qui me vient à l’esprit est celle de la boussole : précieuse pour tracer la route des voyageurs, elle indique ce repère essentiel qu’est le nord magnétique. Les explorateurs qui s’y aventurèrent n’y découvrirent qu’un amas de glace flottante et inhospitalière, impropre à l’établissement d’une vie humaine. Il en va de même pour les utopies sociales, leur principal mérite est de questionner d’une façon radicale le modèle existant, elles indiquent une direction, mais ne représentent pas forcément un idéal à atteindre.

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(i) Sujet éminemment délicat dans la mesure où certains n’ont pas acheté leur terre ou se sont installés en territoire occupé

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100 réflexions au sujet de « QUELLE UTOPIE POUR AUJOURD’HUI ?, le vendredi 31 janvier de 20h à 22h »

    • 1) Ton texte est très bien rédigé : facile à lire, construit, pas trop de références inconnues des lecteurs, etc. Mais comme la très grand majorité des texte de ce genre (!), il est abstrait : les mots s’enchaînent, les phrases glissent, mais on ne saisit pas quelle est leur signification pratique ou réelle. Ce qui cloche c’est le rapport entre les mots (de langues différentes, dans les expériences évoquées) et les choses auxquelles ils se réfèrent. Dès lors on reste condamné au débat d’idées, sans qu’ils soit concrètement possible d’apprécier leur véritable portée; autrement dit leur « vérité ». Il existe donc un problème de langage qui n’est jamais envisagé par les théoriciens, sinon justement de manière « théorique », c’est-à-dire abstraite. Penser les utopies devrait donc être fait dans un autre langage qui tienne compte des cadres historiques et des conditions sociales permettant de penser l’utopie. Par exemple on peut être certain qu’avant la chute du mur, le terme même d’utopie ne signifiait pas la même chose concrètement pour un citoyen soviétique ou pour un habitant de l’Europe occidentale. Autrement dit écrire n’est pas la même chose que « vivre », et une des premières préoccupations des penseurs d’utopie devrait être d’imaginer comment réduire pratiquement ce fossé.
      2) Il est difficile d’imaginer des utopies qui ne soient pas des tentatives de construction de modes de vie alternatifs communautaires. Dès lors le contexte (socio-historique) et la dimension de la communauté est une donnée cruciale. Par exemple beaucoup de communautés utopiques des années ’70s ont fini par échouer parce qu’elles s’étaient constituées comme de petites communautés, ou série de communautés, de moins de 50 personnes. A ce niveau les problèmes affectifs et les dimensions émotionnelles et sexuelles prennent une importance irrésistible et démesurée; par exemple les couples se font et se défont, mettant en péril jusqu’à l’existence même de la communauté. Un problème qui est moins prégnant dans les grandes communautés. (Par ailleurs la question du langage –cf. point 1– subsiste).
      3) Les ethnologues connaissent un grand nombre de « sociétés » (?) qui peuvent nous apparaître –de loin– comme utopiques (et qui sont quelques fois citées comme telles par des militants idéalistes). Après avoir vécu de longs mois dans une de ces « sociétés », je peux dire que pour ses participants, le vrai problème de l’inégalité, etc. n’est pas celui du « pouvoir » (au sens abstrait), mais de la division du travail : à partir de la division sexuelle des tâches, qui semble universelle, les hommes font très attention à ce qu’aucune division du travail n’apparaisse, en sorte que tout participant doué pour certaines tâches (construction de bateaux, chasse, pêche, chamanisme, etc.) ne puisse pas vivre en ne faisant que cela; par exemple le chamane peu recevoir des cadeaux pour ses services, mais ceux-ci ne lui permettront certainement pas de faire survivre sa famille. La communauté se perpétue ainsi grâce à des rapports sociaux en équilibre subtile dans tous les domaines. Ainsi ce que nous, « étrangers », reconnaissons comme « le chef » en apparence, n’a pas véritablement de pouvoir, sinon celui de convaincre pour préserver la paix dans la communauté, et entre communauté (la « société » n’a même pas besoin d’être contre l’État, comme le pensait Clastres).

    • Dont on a tenté la mise en pratique… Une uchronie possible aurait été l’histoire d’une société où l’utopie s’est généralisée

      • Je blaguais…
        En continuant à manipuler l’étymologie du terme, l’uchronie pourrait avoir deux enfants réels, l’euchronie et la dyschronie. La dyschronie, en général, c’est le présent. L’euchronie, au sens propre, c’est le bon temps, celui qui est évidemment passé. Mais curieusement, c’est aussi celui des lendemains qui chantent… Par exemple, l’an 2000 que l’on me racontait dans mon enfance, et qui est devenu dyschronique en devenant présent, comme il se doit.

        Je plaisante, mais en redevenant sérieux, les représentations de l’espace et du temps ne sont pas sans importance dans ce débat.

      • Vous avez raison, c’est l’importance du temps qui m’a poussé à écrire ce billet. J’ai le sentiment (ou la crainte) que le retour des utopies met à l’arrière-plan la nécessité d’une approche immédiate, juste commencer à marcher dans le bon sens

      • @ Michel
        Tu as raison avec cet accent que tu mets sur « le temps ».
        Souvent l’utopie a comme fonction d’empêcher d’agir dans le présent.
        Soit qu’elle se prévale d’un âge d’or ancien et définitivement révolu,
        soit qu’elle promette un avenir radieux (mais bon en attendant les mecs faut suer !)

      • +1 pour l’urgence!

        Amusons-nous avec ces préfixes grecs.
        L’utopie est quelquefois opposée à la dystopie. Mais alors, pourquoi pas l’eutopie ?

        Elle existe, et elle est même un pilier de l’imaginaire de l’occident, qui, comme son nom l’indique, regarde le soleil se coucher, en imaginant toujours qu’il va éclairer le paradis : de Christophe Colomb aux pionniers américains, c’est toujours « Go West! ».

        Aujourd’hui, c’est les étoiles… A mon avis, l’espace « est complètement à l’Ouest », comme beaucoup d’entre nous!

  1. Dans son billet – la contribution la plus récente au débat sur les utopies, Jean-Claude Balbot se pose la question de ces sociétés néolithiques qui préviennent le différenciation sociale. J’en ai connu : dans l’Ile de Houat en 1973 et au Bénin en 1984.

    • Que l’utopie se développe à la marge d’une société et qu’elle perdure ne me parait pas impossible, c’est même dans ces interstices qu’elles jouent leur rôle de vallées heureuses selon Jean-Luce ou de boussole. La question est de savoir pourquoi le modèle ne s’étend pas…

    • Le moyen, c’est une religion qui utilise la terreur, la coercition, voire l’empoisonnement, pour faire rentrer dans le rang celui qui voudrait émerger. Le prix est assez lourd à payer : la religion vaudoun au Bénin (dont chacun sait qu’elle est brutale) et une théocratie d’un autre âge dans l’Ile de Houat que j’ai connue.

      • Celui ou celle, qui voulait faire fortune dans ce Bénin traditionnel trouvait le moyen d’échapper aux pressions de la tradition dans le contact de culture : en se convertissant à l’islam, c’est-à-dire dans le basculement vers une autre culture.

      • Oui Paul, dans beaucoup de cas, mais même si le modèle religieux n’est par définition pas généralisable (puisqu’il nécessite de facto une adhésion religieuse à un modèle de « vérité non vérifiable » et une grande motivation), il peut permettre une grande liberté de pensée et d’action, cfr certaines communautés jésuites ou dominicaines. Le modèle religieux n’est pas brutal par définition !

      • La « coercition » n’est même pas nécessaire, même si elle est fréquente.
        Deux autres moyens existent (au moins) :
        – la ridiculisation,
        – la récupération.

        Exemples :
        Ridiculiser : le traitement qu’ont subi les communautés genre hippie dans les 70’s
        Récupérer : pour les gens de mon âge, le mot « familistère » désignait une sorte d’épicerie.

      • Ce que je pense c’est qu’en appelant « utopie » nos aspirations nous nous privions d’analyse des moyens concrets mis en œuvre auparavant pour contenir l’hubris de quelques uns en entravant à minima la liberté de tous. Je n’ai pas ni entendu dire ni vu que le clergé ait été un moyen de coercition dans les circonstances que j’évoque. Cette région est depuis longtemps considérée comme une terre de mission pour l’église. Je me demande par contre si la division sexuée du travail, bien présente elle, est une condition pour le maintien de tel rapports sociaux. Et aussi si c’est la pauvreté qui fait vertu et qui incite à la précaution. L’abondance serait-elle une condition à l’accumulation et à l’inégalité ? Il me semble que la vertu que St Just demandait que l’on protège était ici protégée dans les éléments concrets de l’existence. Comment ?

      • @ jc balbot
        J’ai trouvé votre billet très intéressant pour un exemple que je ne connaissais pas, mais qui reste dans le mode interstitiel. Reste la question de la pauvreté et de l’abondance. Pour le faire sous forme de cliché : la solidarité et la vertu seraient-elles inversement proportionnelles à l’abondance ?

      • Jean-Claude Balbot, j’ai survolé le bouquin de Le Coadic et il me semble que les choses sont devenues beaucoup plus compliquées pour les quévaises au XIVe dès que les guerres de succession en Bretagne ont éclaté… Ça n’a plus cessé de se dégrader ensuite, de conflits en désaccords et en procès permanents. Mais bon, l’utopie c’est sans doute simplement le conflit ouvert obligatoire, la désobéissance civile, le refus de l’unité, la « démocratie contre l’État » comme disait l’autre.

    • Oui il y a même un petit livre d’un sociologue de l’école de Le Play à la fin du XIXe siècle intitulé quelque chose comme « Deux théocraties : Houat et Hoëdic », je vais essayer de retrouver le titre exact.

      • On peut lire aussi avec profit la description de Guernesey par V. Hugo dans « Les travailleurs de la mer ».
        (Là ce sont même DES théocraties)

      • Le dieu qui sous-tend cette théocratie est-il celui auquel on pense, ou bien un autre, plus ancien, et cornu ?

        Yvonne Lanco, « La sorcellerie à Belle-Isle-En-Mer », Nouvelles éditions Debresse

      • Le « dieu » qui sous-tend cette théocratie, même si je n’ai pas eu l’heur de faire sa connaissance, je sais déjà que c’est un dieu théocrate. « Celui auquel on pense » n’existe pas, je pense, puisque derrière ce « on », il y a des modes de pensée multiples, et donc autant de dieux. En tout état de cause, celui auquel je pense moi, eh bien, il n’est pas théocrate.

  2. Je dois vous avouer que les billets d’Un Belge (je le salut au passage) m’ont bien remis les idées en place, notamment celui-ci : « Comment j’ai été vacciné contre l’extrême-droite ».
    http://www.pauljorion.com/blog/?p=60423

    L’école nous a peut-être appris beaucoup de choses mais elle n’apprend pas à vivre. Oh comme nous sommes intelligents.
    Aujourd’hui nous voilà sans tendresse et sans pitié, plus démunis que jamais. Notre regard découpe l’espace au laser, nous choisissons le bon morceau comme chez le boucher.
    L’oreille absolue ça existe, l’œil absolu ça n’existe pas à ma connaissance.

    Et enfin, Cavanna, ce brave homme, il disait que le mot le plus con de la langue Française était le mot « bisous ».
    C’est vrai, ça pleut de toute part en ce moment et quand ça vient de la famille, ou du travail, alors vous imaginez l’énormité et la honte et les dégats psychique.

  3. Hans fut désigné pour gérer un groupe de travail qui, sur les instructions d’Eva, avait pour tâche de préparer le terrain pour une refonte des nouvelles nations unies du monde dès que les institutions planétaires le permettraient. En attendant une assemblée générale constituante dont les modalités restaient à définir ce projet faisait partie d’une batterie de groupes similaires, certains porté en sous-main par des organismes comme l’ONU, le CIO, une des trois grands blocs mondiaux, etc… Elle enjoignit Hans d’en discuter avec Alex. L’un sur la côte est des USA l’autre au Brésil. Ce fut rapidement mis sur pied, par skype.
    – Elle veut quoi ta sœur
    – Elle-même ne le discerne pas vraiment, c’est pourquoi nous voilà chacun devant notre ordinateur. Si elle t’a demandé de me contacter c’est que j’ai des idées.
    – Lesquelles ?
    – Beaucoup Hans, beaucoup… Mais pour avancer nous devons d’abord imaginer des utopies Hans, penser l’impossible… Ça s’est toujours passé comme ça dans l’histoire.
    – D’accord Alex, je te suis, mais ne devrions nous pas déjà nous mettre d’accord sur une forme de chronologie des communautés humaines dans l’histoire avant de prévoir un système planétaire global ?
    – Tout à fait Hans
    – Seras-tu dès lors d’accord pour reconnaître que la cohésion d’un groupe dépend d’un moteur, d’une motivation.
    – Absolument. A l’origine la survie, le combat contre les éléments, ont joué et jouent ce rôle.
    – On est OK. La survie est la roche mère de tout. Le moteur le plus fort…
    – Porté en général par les femmes au jour le jour et par les hommes lors des conflits bêtes et brutaux…
    – Pour qui aime à penser bêtement de façon bipolaire. 😉
    Alex était déjà au-delà. Il voyait où Hans voulait en venir au-delà de cette pique.
    – Vinrent les intellos, ces déséquilibrés qui construisent des idées.
    – Tout à fait. Parce qu’en ce qui concerne la cohésion des communautés humaines, on a comme la certitude que la notion de foi religieuse s’est imposée dès lors que les problématiques urgentes de survie étaient résolues. Les religions ont été alors les premières utopies construites par les penseurs. Ils avaient cette une volonté de se représenter le monde de manière stable, définitive parfois, afin de construire dans la prévoyance, d’anticiper. Et bien souvent d’asseoir et de conforter leur pouvoir.
    – Tout à fait, c’est d’ailleurs ce que nous allons tenter de faire Hans.
    Il rit de bon cœur avant d’enchaîner.
    – Toujours ce désir insatiable, quasi divin et présomptueux des hommes afin d’affermir leur prise sur le réel pour assurer la progression dans le temps de leur fourmilière/civilisation.
    – Oui… tout à fait Alex… c’est aussi reconnaître que beaucoup d’utopies sont imaginables dès lors que les événements « extérieurs » les justifient. J’ai lu un jour une nouvelle de Science-fiction qui usait de cette idée. Lors d’établissement de colonies sur d’autres planètes, on organisait toujours – dans le secret des dirigeants – une ou plusieurs fonctions extérieures à la colonie : en général un danger inconnu et imprévisible » afin de conforter la solidarité dans la colonie qui faisait corps pour se protéger.
    Alex levait le bras pour prendre la parole.
    – Moralité : pas de problèmes, gros problème.
    – Exactement. La résilience étant, vu de l’autre bout de la lorgnette, le phénomène inverse. Pense aux québécois d’Amérique du nord ou aux juifs en occident. Plus on leur a tapé dessus, plus ils sont devenus forts.
    – Nous sommes sur la même longueur mon gars.
    – Cool. Alors, on commence par quel bout Alex ?
    – Je crois que nous devons conserver une idée centrale, celle que les hommes doivent se sentir concernés les uns par les autres… Ils faut qu’ils conservent cette manière de fonctionner en groupe comme cela se fait assez naturellement chez les enfants dans les écoles, mais aussi dans les petites communautés.
    – Continue
    – Je pense à la phrase de ce géant que fut Peete Seger « Je veux faire tourner l’horloge en sens inverse pour retrouver ce temps où les gens vivaient dans de petits villages et prenaient soin les uns des autres. »…
    Hans le coupa
    – Ça, c’est très amusant. Il se trouve que mon papa, qui n’était pas un gauchiste comme Seeger, mais plutôt un libéral à l’ancienne, se plaisait à expliquer la même chose. Il disait que le modèle social du « village » restait le meilleur puisqu’il avait démontré son efficience au cours des âges. Papa parlait du bon fonctionnement de ce troisième étage, les deux premiers étant l’individu et la famille.
    Alex le regardait intensément sur l’écran.
    – Mon père le présentait comme une triade tribale. 1) Ceux qui savent; chef, toubib, instituteur, sorcier, curé, juge, etc… 2) Ceux qui vivent et travaillent normalement : facteur, chasseur, paysan, menuisier, etc… 3) Les personnes diminuées (le crétin, heureux ou pas, le fou, l’invalide, etc…). Dans ce cadre les individus de la troisième catégorie sont très appréciés et aimés. Ils ont quasi toujours cette fonction importante : celle de rassurer le quidam lambda en lui restituant par effet miroir sa normalité. En bref : « quelle chance j’ai d’être tel que je suis ».
    – Magnifique démonstration
    – Hein dis
    – Ceci étant Hans, cet équilibre est beaucoup plus difficile à conserver pour de plus grands ensembles. La preuve en a été donnée par nos utopies humaines à grande échelle : socialisme, libéralisme, anarchie, communisme… Qui pour les principales ont montré deux faiblesses.
    Primo l’éloignement du terrain des gens du pouvoir avec en parallèle la création de castes oligarchiques qui se perpétuent en général par l’héritage et la spéculation.
    Secundo par manque de garde-fous, contre-pouvoirs et autres régulateurs… du à leurs assujettissement au premier groupe.
    – Bon, ça c’est en bonne voie puisqu’un belge francophone, un dénommé Paul Jorion, est en train de faire passer deux idées centrales qui vont dans ce sens. Interdire la spéculation et donner plus de pouvoir aux régulateurs.
    – Il faudra que je prenne contact avec lui.
    – Bonne idée
    – Bon, il nous reste maintenant à construire une utopie qui prenne en compte progrès technologique, régulation du nombre des humains et exiguïté de la planète.
    – C’est comme si c’était fait. Attends.. je plaisante
    – …
    – Mais j’ai quelques bonne idées
    – Je t’écoute
    Entre Boston et Bahia le courant passait.

    • Mais justement les deux idées de Paul que vous évoquez-là ne sont pas des utopies, juste une question de courage politique !

      • Histoire de sourire :
        « courage politique » n’est-ce pas un oxymore ?

        Une sorte d’utopie, quoi…

      • Reste qu’aujourd’hui pour mettre en place une forme de société basée sur les échanges et le partage au niveau local, sans avoir sinon l’aide du moins le soutien des conseils généraux et des municipalités, est une tache difficile…
        Pour déformater le logiciel, il faut un certain courage philosophique…

      • Sans doute, mais ce sont déjà des combats d’arrière garde dans mon propos, déjà acquises dans mon histoire. Je m’amuse, dans ce texte, à établir une sorte de rampe de lancement. Ce qui est intéressant c’est l’utopie qu’annoncent les dernières phrases. Je suis en train de la rédiger pour terminer un bouquin….
        Mais ça va encore prendre du temps pour tout séquencer…

        Allez. Pour alimenter le débat je vous sors quelques trucs de mon cerveau neuronal PHP perso (50 000 entrées ) sur ce thème. Vous noterez que le terme utopie n’apparaît jamais.

        xxx

        Si les princes savaient parler, et les femmes se taire,
        Les courtisans dire ce qu’ils pensent
        Et les domestiques le cacher,
        Tout l’univers serait en paix. Proverbe chinois

        C’est de tout coeur que je souscris à la maxime selon laquelle « le meilleur des gouvernements est celui qui gouverne le moins », maxime que j’aimerais voir suivie d’effet de manière plus rapide et plus systématique. Si on pousse le raisonnement à l’extrême, on finit par en arriver à l’idée suivante, à laquelle je crois aussi, que « le meilleur des gouvernements est celui qui ne gouverne pas du tout ». D’ailleurs, lorsque les hommes y seront prêts, ils connaîtront une telle forme de gouvernement. Thoreau Henry D., Résistance au gouvernement civil, 1848, Désobéir, Bibliothèques 10/18 Éd. de L’Herne 1994

        Le bonheur n’existe pas ; nous ne pouvons que le désirer. Tchekhov Anton

        Quand l’homme essaie d’imaginer le Paradis sur terre, ça fait tout de suite un enfer très convenable. Claudel Paul

        Ce n’est pas la réalité qui est vulgaire, c’est l’idéal. Montherlant

        Un état totalitaire vraiment « efficient » serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parce qu’ils auraient l’amour de leur servitude. Huxley Aldous

        […] dès l’instant où l’on devient capable d’habiter le monde virtuel – qu’on invente avec nos récits – on peut très bien se haïr et désirer logiquement se tuer, pour l’idée qu’on se fait de l’autre et non pas pour la connaissance que l’on en a. À cet instant, on échappe aux mécanismes régulateurs de la nature et l’on devient complètement soumis au monde qu’on crée. Et c’est alors le plus moralement et le plus logiquement du monde, qu’on fabrique et constitue des génocides. Cyrulnik Boris, Dialogue sur la nature humaine, avec E. Morin, p.27, Éd. de l’Aube, 2000

        A quoi ressemblerait la société idéale de Chuck Palahniuk ?
        – Chacun aurait le loisir de pratiquer une forme d’expression personnelle qui permettrait de se divertir les uns les autres (et non d’engager des professionnels pour le faire). Cette forme de théâtre serait notre religion. Palahniuk Chuck, interview

        Le génie du bonheur est vraiment très rare. Le plus rare. Le posséder signifie savoir approcher la vie avec l’humilité d’un mendiant, mais aussi avec la fière générosité d’un prince. Apporter à sa totalité la compréhension profonde d’un grand poète et avoir chaque instant l’abandon et l’ingénuité d’un enfant. Beattie Melody

        Ceux qui rêvent ici-bas l’égalité des biens se trompent non seulement de date, mais de monde ; l’égalité ne s’établira que négativement, par l’absence même des biens matériels, dans la vie future. Pictet Adolphe, Une course à Chamonix, p.176, Benjamin Duprat, 1838

        […] La liberté et la prospérité collectives ne sont réelles que lorsqu’elles représentent la somme des libertés et des prospérités individuelles. Bakounine Mikhaïl, Dieu et l’État, p.70, Mille et une nuits, n°121, 2000

        Les seules personnes qui devraient gouverner sont celles qui s’intéressent plus aux gens qu’au pouvoir. Fenwick Millicent

        L’adolescence est un âge de candeur, de courage et de dévouement souvent déraisonnable, toujours sincère et spontané ; ce que l’âge nous fait acquérir d’expérience et de jugement est au détriment de cette ingénuité première, qui ferait de nous des êtres parfaits si nous la conservions tout en acquérant la maturité. Sand George, Histoire de ma vie

        Ce qui, sur cette terre, a toujours fait de l’état un enfer sur terre, c’est que les hommes ont toujours essayé de le transformer en paradis. Hölderlin Johann Christian Friederich

        Nous attendons avec intérêt le moment où la puissance d’aimer remplacera l’amour de la puissance. Alors seulement notre monde connaîtra la bénédiction de la paix. Gladstone William Ewart 1898

        Le seul moyen de vaincre définitivement, c’est de faire alliance avec tout ce qu’il y a de meilleur chez votre ennemi. Ceresole Pierre

        Naïve, elle faisait pour la Suisse des rêves de domination universelle, élaborait un empire mondial suisse. Elle disait qu’on devrait mettre de bons Suisses, bien raisonnables, bien consciencieux, un peu sévères, à la tête des gouvernements de tous les pays. Alors, tout irait bien. Les agents de police et les facteurs seraient bien rasés et leurs souliers bien cirés. Les bureaux de poste deviendraient propres, les maisons fleuries, les douaniers aimables, les gares astiquées et vernies, et il n’y aurait plus de guerre. Cohen Albert, Le Livre de ma mère

        L’ignorance a été notre reine. Depuis la mort des empires, elle est assise sur le trône de l’Homme de façon indiscutable. […] Demain régnera une ère nouvelle. Les hommes intelligents, les hommes de science se tiendront derrière son trône, et l’univers en viendra à connaître son pouvoir. Son nom est la Vérité. Son empire sera la Terre entière. Miller Walter Michael Jr, Un cantique pour Leibowitz 1960

        Justice ? – tu obtiendras la justice dans un autre monde, en ce monde ci il y a la loi. Gaddis William

        En nous efforçant d’atteindre l’inaccessible, nous rendons impossible ce qui serait réalisable. Robert Ardrey

        Si vous voulez régner, faites régner l’amour. Aristote, repris par Corneille entre autres

        Chaque époque rêve de la suivante. Benjamin Walter

      • Déconnez pas avec le « courage politique », les petits français. Allez en causer aux Ukrainiens ou aux Syriens… Quant à « l’utopie »…

    • « La survie est la roche mère de tout. Le moteur le plus fort… »

      Je pense pour ma part (ça vaut ce que ça vaut !) que la pulsion de survie, si elle est nécessaire, n’est pas suffisante. Je ne pense pas qu’on puisse construire une société viable si la survie est la seule motivation. Il en faut d’autres. Nous voyons par exemple que l’égocentrisme qui a donné le modèle capitaliste est un échec complet : 85 personnes qui possèdent autant que la moitié de l’humanité… c’est un échec complet, ça n’a pas d’autre nom. Tant que les motivations ne s’élèveront pas, on va continuer à tourner en rond.

      • Sans compter qu’il est plus aisé de se mettre d’accord à 85 qu’à 3 milliards et demi… 😉

      • Comment peut-on construire quelque chose de collectif sur une quête de sens par définition individuelle ? Autrement dit, le collectif n’a-t-il pas le devoir d’intervenir dans la question du matériel (répartition du travail et des revenus) pour permettre aux individus de chercher une réponse par essence individuelle, tout en garantissant un minimum d’interaction sociale (un des rôles du travail) ?

  4. Bon, je trouve que ça démarre mollement.
    Jeanne tu es là ?
    Si oui, j’aimerais bien que tu nous redises les trucs sur les utopies communistes.
    Car, je pense, que toutes les utopies, même celles qui ont mené au pire, laissent quand elles disparaissent ou s’effondrent des regrets à ceux qui y participèrent.

    • Je ferais une différence entre la situation russe et la situation chinoise. J’ai beaucoup voyagé en Russie et dans les ex-pays du bloc de l’est, le plus souvent dans un contexte professionnel qui permet à la longue d’échanger plus en profondeur avec les interlocuteurs. Il est vrai que la nostalgie de l’URSS s’y exprime très souvent, à part peut-être dans une petite classe urbaine privilégiée. Ce n’est pas le régime lui-même qui a implosé, c’est le fait d’entrouvrir le couvercle pour résorber des pénuries que les citoyens supportaient de plus en plus mal qui s’est révélé plus destructrice que prévue. Il se trouve qu’ils ont découvert deux des avantages du régime après, le partage de l’emploi (pour le coup je n’ai pas dit le travail) et des services sociaux gratuits et accessibles. Pour ceux qui ne sont pas rentrés ou sont rentrés par le bas dans la nouvelle sphère capitaliste, le réveil est brutal.
      Il me semble que la conversion au pragmatisme des élites chinoises est d’une autre nature et je pense que la forme actuelle du régime convient au plus grand nombre en Chine, voire les succès chinois réveillent le nationalisme, mais la corruption et la compétition de fait entre les élites pose un problème au régime lui-même, pas aux citoyens (à part pour les problèmes de corruption).

      • Sans aller aussi loin géographiquement, intéressant de comparer les länder de l’ex-RDA avec le reste de l’Allemagne.
        Sur les crèches par exemple.

      • Si je ne me trompe pas (merci de me corriger Leoned), il n’y a pas un système de crèches en Allemagne (je crois que des lois sont passées cette année pour améliorer la situation) sauf dans les anciens Lander de l’Est, héritage du communisme

  5. j’arrive sur le blog pour ma piqure de colère quotidienne et je vois qu’un débat est en cours. Après lecture rapide des textes, je me permets de vous soumettre une condition de réalisation d’utopie. Je me demandais en ce moment s’il ne serait pas plus intelligent de remplacer députés et sénateurs par des programmeurs informatiques.

    • hum, Thierry, n’oubliez pas les poètes, il nous faut de la poésie, et la poésie n’est pas un programme.

      • N’oublions pas d’expérimenter l’alternance également, en complément ou remplacement de la parité (car l’égalité n’est pas suffisante pour arrêter la domination) ; durant un an, seules les députées femmes décident. L’année suivante, seuls les hommes…

  6. l’utopie est le moteur du changement, elle est le carburant du rêve qui engendre les nouveaux concepts civilisateurs. Les nouveaux utopistes devront tenir compte du monde vivant dans sa globalité, et pas uniquement l’humanité. Michel Serres parle du jeu à 3 en remplacement du jeu à 2, faire avec un tiers : le monde.
    Sinon désolé, je tombe à l’instant sur ce débat, et je n’ai pas lu…

    • Comme je l’ai dit plus haut, méfiance : les utopies fonctionnent parfois en sens inverse, sur le mode « à ce vieux passé qui était si bien, jamais il ne reviendra ».

      « Les contrefaçons du passé prennent de faux noms et s’appellent volontiers l’avenir » (Je sais je suis un obsédé de Victor Hugo).

      • il ne s’agit pas de nostalgie, mais bien d’un renouveau d’idées ; comme les socialistes utopistes finirent par transformer notre société par la seule force de leur pensée. Et de leur joie créatrice.

  7. Pour faire vite, si l’empire financier s’écroule un jour « sous le poids de ses contradictions », devant l’ampleur des défis à relever sur le plan de la ressources sur la planète, de l’energie, de l’eau, des risques (centrales nucléaires et autres). Il faut un objectif clair et un fonctionnement simple, pour que agir dans le cadre de l’objectif soit facile. Un logiciel évolutif et quasi open source ou du moins sous contrôle citoyen, ne pourrait-il pas simplifier la vie sur tous les plans?

    • Vous avez raison pour la simplicité mais je ne crois pas en la technique pour créer cette simplicité. C’est à nous de rétablir la cohérence, de redéfinir la simplicité il n’y a personne à qui « refiler la patate chaude ».

  8. Un talk sur ted, Hazan et d’autres évoquent un système où le maximum de pouvoir est tenu au niveau local puis délégué au fur et à mesure en fonction de l’échelle du territoire. Cela permettrait plus d’audace dans les projets locaux et peut-être la réalisation d’une multitude de projets inscrits dans une utopie. L’utopie pourrait être atteindre l’équilibre en terme de gestion des ressources de l’énergie, etc… Bref que l’ensemble de la population mondiale se débrouille avec ce que une planète peut fournir à la fin du siècle…

  9. A propos d’utopie communiste, justement, il me semble que l’utopie a fréquemment été utilisée par les pouvoirs en place pour obtenir l’adhésion et la participation des peuples.
    Pour les chrétiens, c’était le paradis après la mort,
    pour les communistes, le paradis sur terre dans une société égalitaire,
    pour les libéraux, la richesse pour tous grâce à la liberté de commerce et l’effet « trickle-down ».

    Le pouvoir vacille quand les gens cessent de croire à sa promesse d’utopie.

    L’utopie est un mensonge, mais un mensonge qui pousse à l’action en donnant de l’espoir. Si nous voulons un monde plus juste et plus équilibré, pouvons-nous nous passer d’utopie ? Mais quelle utopie voulons-nous ? Parions qu’elle sera différente selon chacun. Parions que même si le petit groupe du blog arrive à déterminer une possibilité d’utopie, elle ne conviendra pas à toute la population.

    Et finalement, même si un mensonge peut être utile et beau, ne vaut-il pas mieux lutter et travailler sur la réalité, ici et maintenant, de façon concrète ? (même si nos désirs sont, par définition, utopiques).

    • Ben c’est ce que j’essaie de faire. Je suis artisan, j’isole des maisons avec des produits écologiques, on a tenu un scop pendant plus de trois ans mais le système n’est profondément pas adapaté à des manières alternatives de faire concret

    • l’utopie permet aussi de vaincre les systèmes sclérosés, Paul Jorion, malgré son pessimisme, est un utopiste qui courbe le temps… le commissaire Barnier se met à reprendre ses thèses, partiellement du moins.

    • Nous y sommes dans le mensonge de toute façon. Et de savoir que tout en haut du système qui nous fait courir comme des crétins, il y a des financiers et des banquiers n’obéissent à aucune morale, ça n’encourage pas à travailler et payer ses taxes bien sagement

      • L’utopiste s’en prend à un système, pas à des personnes ou groupes de personnes. Commencez donc par cesser de courir.

      • Je suis d’accord. Je parlais du mensonge du système actuel. On nous parle à longueur de journée de respect des valeurs, de république, de démocratie pour que l’on obéisse à tout et n’importe quoi. Alors que tout en haut, plus de règles morales, plus rien, l’impunité et c’est tout. Ça peut pas marcher plus longtemps. Les gens commencent à s’en rendre compte.

    • En parlant d’utopie, est-ce que nous parlons bien tous de la même chose ? Selon moi, une utopie qui aurait besoin pour fonctionner d’un pouvoir totalitaire et centralisé, une « utopie totalitaire », c’est un contre-sens total. Ça peut éventuellement fonctionner quelque temps, mais pas sur le long terme. Un modèle de société viable (je préfère l’expression « modèle de société viable » à « utopie », terme qui porte toujours en lui le fait que ce n’est « pas vraiment possible ») nécessite certainement l’adhésion de tous ou presque. Et un modèle qui emporterait l’adhésion de tous ou presque, c’est un modèle ou tous peuvent, non seulement vivre au jour le jour, mais aussi exprimer leur créativité : c’est à dire qu’ils en ont les moyens, à tous points de vue.

      • @Olivier
        On en revient peut-être à des choses très basiques, ce que moi j’appelle la social-démocratie (pas le vocable dévoyé de son sens par quelques hommes politiques à commencer par un président girouette). Une démocratie qui s’occupe d’économie politique : la formation de la richesse et sa répartition

  10. Je dirais que notre identité est d’abord planétaire, puis locale puis départementale, puis régionale, puis nationale. Y a que les Parisiens qui confondent 🙂
    Pourquoi le pouvoir ne serait-il pas réparti selon cette hiérarchie pour faire vite?

  11. Du premier paragraphe de M. Leis, je reste interrogatif… sur la question posée. Les « utopies » (au sens propre) sont-elles motivées par l’ampleur d’une crise, ou par le blocage ou pourrissement d’une situation ? Thomas More écrit en 1505, Erasme un peu plus tard, mais la crise religieuse explose après 1550.Les innovations qui apparaissent dans le débat politique sont-elles au sens propre des utopies, quand on questionne leur sens pratique ou leur réalisme ? Faire une typologie des « concrétisations d’idées », est-ce encore parler d’utopie ?
    L’inventaire est rapidement fait, et nombre d’expériences sont manquantes (Auroville, Longo Maï, les monnaies fondantes…), d’autant qu’on écarte d’un trait les expériences révolutionnaires d’Etat communiste du fait que « L’accession au pouvoir s’est en général doublée de la mise en place d’une réplique du capitalisme, non plus fondée sur la plus-value monétaire, mais tout entière orientée vers l’appropriation d’une plus-value de pouvoir. » Finalement, l’impression prévaut qu’on a tordu quelques expériences isolées, présentées comme des concrétisations autonomes ou pures, pour distinguer les concepts qu’on voulait poser en conclusion. Je ne vois pas l’intérêt de l’exercice…
    Si je prends le versant évoqué par L. Morlie,  » L’imagination sociologique part du jeu de cubes social, y repère les tensions sur le plan de la gratuité, de la marchandisation, de la propriété et des modalités opératoires de la domination d’un groupe sur un autre. », je vois mieux une grille d’analyse qu’on peut appliquer aussi à l’échelle d’un état communiste. Les réformes à Cuba et, je connais moins, en Chine, peuvent être lues comme des déplacements de ces tensions (privatisations, introduction de l’impôt, maintien des gratuités…) et regardées avec intérêt. Même si elles sont problématiques. Les caricaturer pour les disqualifier parait futile.

    • Oui mais dans le billet de Jean-Luce, le réaménagement des cubes doit se faire en vue d’un objectif qui est déjà inscrit dans le réagencement de départ. C’est là qu’à mon sens on dérive dangereusement sur des problématiques de pouvoir (ma vision du monde est la meilleure et elle doit s’imposer à tous). Mon propos est double: je pense que l’utopie détourne en partie d’une problématique plus concrète, et je pense qu’elle ne peut être penser sans la problématique du pouvoir (et de ses dérives)

      • Ainsi c’est votre phrase « il me semble nécessaire de porter un regard lucide sur l’écart entre la théorie et la pratique » qui explicite votre questionnement. Il y a une utopie pour avancer, mais bien des mensonges dans la concrétisation.. Il faut une forme de consensus au projet, qui trouve souvent sa force dans l’état de besoin et dans le « plus rien à perdre » des peuples après une guerre (14/18…) ou une dictature (Batista à Cuba) ou une colonisation. Avec six survivants de son débarquement, Castro ne rallie pas autour d’une promesse utopique pour réussir, mais d’une réalité noire qui doit cesser. Et les réformes social-démocrates de 1918 ou de 1944 cherchent à replâtrer un consensus déconsidéré par la guerre ou par la crise qui l’a précédé. Et ce sont les avancées concrètes (droit de vote, sécurité sociale, alphabétisation et scolarisation, santé et alimentation, sécurité et paix) qui solidifient le consensus ; et leur recul ou l’injustice qui le brisent.
        L’utopie est-elle un leurre, une source d’inspiration ? une religion, un ensemble de principe ? Elle ne parait pas « à l’oeuvre » en tous cas.

  12. Je réponds à Karluss (21h15) :
    Les socialistes utopistes n’ont justement rien changé !
    Soit qu’ils aient été récupéré par le système marchand (exemple des coopératives).
    Soit qu’ils aient été ridiculisés par le marxisme.

    Ne reste qu’un regret.

    • on leur doit beaucoup, comme des flèches projetées dans les airs et retombant les siècles suivants. Même les droits de l’homme paraissaient comme une folie (bon Deleuze dirait qu’il nous faut une jurisprudence et des lois), il faut maintenant des droits pour les animaux, les arbres, les plantes…

  13. Sans vouloir décourager Paul, je répondrais à Karluss :
    Que Barnier reprenne « dans son discours » des propositions jorionniennes me parait plus inquiétant que rassurant !
    Ils en sont réduits à faire risette à ceux qu’ils craignent irrécupérables mais qu’ils espèrent encore neutralisables.

    • J’ai déjà répondu à cela dans un billet : « Si je convertis mon adversaire à mes positions, mon ennemi dira que je me suis rallié à son camp ».

      • Si je convaincs mon adversaire, mon ennemi dira : « Maintenant vous êtes les mêmes, et je le savais déjà ! »

        Mais ça ne change rien : mon adversaire était loyal, mon ennemi, pas.

      • Sérieusement : tu crois vraiment que Barnier membre du groupe Amato (= Traité de Lisbonne) n’est qu’un « adversaire » ?

    • nous ne sommes plus vraiment sur de l’utopie, car en effet, interdire la spéculation, ce fut fait dans le passé, et pas pour le pire. C’est rétablir une situation plus saine, pour éviter l’implosion totale, et ouvrir le champ aux utopies.

      • Faudra que j’en reparle avec Paul, mais j’ai peur qu’il y ait ici confusion lexicale.
        Ce que la loi de 1885 a permis (en France) ce n’est pas la « spéculation », c’est la « spéculation boursière ».
        Supprimer cette horreur sera(it) un acte de salubrité publique, mais ça n’empêchera(it) pas des tas d’autres spéculations : foncières, marchandes (marché noir), etc.

      • L’interdiction des paris à la hausse ou à la baisse sur les titres financiers cela dépasse de beaucoup l’activité de la Bourse.

  14. Que l’on nomme des travaux de recherches utopie ou pas. Ne pouvons-nous pas considérer que contrairement au passé, malgré la menace d’un effondrement du système, nous avons encore un niveau de vie qui nous permet de nous informer, de communiquer et de réfléchir au solution. L’idéal serait d’avoir un projet prêt et largement soutenu pour le jour où…
    Non?

  15. Bonjour, et merci pour cette discussion fort intéressante.

    J’aimerais attirer l’attention sur différents points:

    1) Je crois qu’il serait préférable de qualifier les « différents épisodes révolutionnaires » que sont des pays comme l’URSS, Cuba, la Corée du Nord, le Viet-Nam, etc. comme des capitalismes d’État et non des communismes. Au sens original, le « communisme » est la mise en commun de la propriété et du pouvoir. Or, cette mise en commun est loin d’avoir été concrète et complète dans ce type de régime, qui d’ailleurs ne se qualifient pas eux-mêmes de communistes, mais bien de « phases transitoires » vers le communisme. On y avait tout simplement remplacé les conseils d’administration par des représentants officiels du parti. En URSS, ce ne sont pas tous les biens qui furent collectivisés, et lorsqu’ils le furent, ce fut au niveau national et non pas local comme une certaine lecture de Marx peut le vouloir (je vous renvoie aux écrits de l’économiste Richard D. Wolff pour une démonstration complète).
    2) Bien que je trouve la typologie de M. Leis instructive, elle me paraît faire silence sur les écovillages, qui n’entrent dans aucune des catégories identifiées. Au Québec, d’où je viens, il y a des écovillages qui ont près de trente ans, et la structure du pouvoir n’est ni théocratique, ni totalitaire. Il y a un partage des tâches selon une sorte de « constitution », une rotation du travail et un certain confort matériel. Chaque village est donc une micro-société avec ses principes fondamentaux, qui eux, restent stables. Le reste est décidé lors d’assemblées régulières.
    3) Je pense que la cause de la non-prolifération de ces modes de fonctionnement est assez simple à identifier: nous vivons, depuis le néolithique, dans un monde où certains individus en veulent plus que les autres. Cela est notamment dû à la taille de nos villes et États (eux-mêmes apparus avec l’agriculture et la sédentarisation massives), où toute réciprocité et sentiment de collectivité tend à disparaître, pour laisser la place au « chacun pour soi ». Il faut réhabiliter le concept de luttes des classes, car c’est bien de cela dont il s’agit: certaines personnes refusent de collaborer, refusent de soumettre leur revenu ou leur travail à l’assentiment de leur collectivité (ils préféreront alors s’associer à un roi qui en décidera, où s’en remettre au marché, qui les favorisera tôt ou tard). Il s’ensuit un désir de profiter de la société sans avoir à lui rendre des comptes. Je simplifie beaucoup, mais je crois que c’est la meilleure explication. Si l’on veut enfin se sortir de cette terrible dynamique, il va falloir s’y prendre au niveau national et international, en renversant les pouvoirs en place, comme nous y sommaient tous les grands révolutionnaires, mais non pas en répétant les erreurs commises par les régimes léninistes, communards ou maoistes, mais bien en restructurant l’ensemble des paliers décisionnels du monde et en les organisant de manière à les faire cohabiter avec un maximum de concorde possible. Il ne faut nier aucun niveau. Il faut simplement répartir le pouvoir de juste manière entre chaque niveau; c’était un peu le problème posé par la politique d’Aristote. C’est ce que tente de développer depuis quelques années.
    4) Le « dieu » rassembleur dont il est question (et que Machiavel et Robespierre, notamment, avaient d’ailleurs identifié comme garant de la stabilité des peuples), ce doit être une idéologie: celle du Bien commun. Tout projet qui fonctionne est celui où chacun se soumet au Bien commun plus qu’à ses intérêts propres. Certainement, il y aura toujours des mécontents, mais ce n’est pas le bien de tous qu’il faut légitimement atteindre, mais bien le bien de la majorité, de chacun au maximum. J’identifie des principes qui selon moi sont inévitables au Bien commun: l’environnementalisme et le rejet de tout productivisme (bref, la simplicité volontaire ou, pour reprendre un terme cher à Pierre Rabhi, la « sobriété heureuse »), l’égalité des chances, la fraternité, la liberté de conscience, la démocratie.
    5) Je crois qu’il est plus que temps de réunir tous les « révolutionnaires » que nous sommes, tous les chercheurs de solutions autour d’espaces de discussion et d’échanges communs. Ce blog en est partie prenante, mais il faudra plus dans les prochaines années pour qu’une réelle force de basculement prenne vie. Je pense à des gens comme ceux que j’ai précédemment cités, mais aussi à tous les partis progressistes, les politiciens et autres philosophes du changement social. Bref, la pédagogie et l’éducation sont déjà en elles-mêmes des utopies qu’il est impératif de réaliser.

    • Amen.
      Pour ma part, ni l’école, ni le travail n’ont réussi à me faire changer. Je n’arrive pas à me faire à ce système, j’ai 35 ans, je changerai plus sur ce point. C’est donc au système de s’adapter.
      Et si il veut pas tout seul, on l’aidera. Et pis c’est tout 🙂

  16. Les monothéismes ont vécu. Je considère le Bouddhisme (circulations plutôt que diffusion des choses) plus proche de notre compréhension (scientifique) du monde. Je reviens d’un voyage au Laos et en Thaïlande qui subissent de plein fouet nos modèles « à la con » et suis resté ébahi par la résilience de leur mode vie traditionnel. Je plaide pour une utopie « religieuse » entendu structurante dans les modes fondamentaux d’organisation et par un repositionnement de l’humanité dans le grandissant catalogue de planète extrasolaire. Il est bon d’avoir des racines bien ancrées avant de se lancer dans l’inconnu.

  17. il ne s’agit pas de sauter comme un cabri en réclamant de l’utopie, mais de reprendre les idées des nombreux intellectuels qui planchent sur le sujet. Une société peut se transformer et des lignes d’influences finissent par faire boule de neige, parcourir le vaste monde.

    • Bien d’accord avec vous! On pourrait dire qu’il faut être scientifique, et non utopique, justement, comme le dirait Marx. D’ailleurs, le mot « utopie » veut dire « en aucun lieu »… ce n’est pas avec ce genre de mentalité défaitiste que l’on commence du bon pied à changer le monde, n’est-ce pas?

      • Je ne suis pas d’accord avec vous. Je ne crois pas qu’il ait été question de changer le monde en refaisant des utopies. La typologie de Michel Leis permet justement de clarifier ce concept en explicitant des modalités différentes. Des expériences ont été faites, tentées, ont échoués. Il faut les étudier, tirer des leçons que l’on a voulu nous faire oublier (par la dérision comme . Je prends exemple sur la Commune de Paris qui a l’idée d’instaurer la révocation des représentants…

    • Je suis d’accord. Aux penseurs, revient la tâche d’élaborer les critiques les plus pertinentes du système actuel et de définir les bases ou le cadre à l’intérieur duquel on pourra explorer et expérimenter un maximum d possible

  18. L’utopie a mauvaise presse, fait pas sérieux, parce qu’elle renvoie à l’idée d’une société basée sur des principes qui ne sont pas ceux actuellement en vigueur. Sous entendu, les principes actuels appartiennent à une nature humaine intangible, il ne serait donc pas possible de leur substituer d’autres principes à partir desquels on peut faire fonctionner une société, sauf de façon locale ou pendant une période brève.

    Mais on peut renverser la proposition et considérer que l’actuellement en vigueur c’est l’idéologie. Ce qui s’instaure par le rapport de force, celui imposé par la classe dominante. Selon cette perspective l’utopie devient alors ce qui critique, conteste l’idéologie. Un philosophe peu soupçonnable d’être un révolutionnaire, Paul Ricoeur a même écrit tout un livre sur le sujet, idéologie et utopie. Ainsi pour Marx, l’utopie c’est la société sans classes avec un rôle central dévolu à l’Etat avec la dictature du prolétariat.

    Mais c’est aussi un paradigme car avant d’être un nouveau stade historique de l’évolution de l’humanité, c’est une certaine conception des choses, un ensemble de vérités qui expliquent de nouvelles réalités en constituant de nouveaux objets de connaissance. Et nous avons là le livre de Paul Jorion « Comment la réalité et la vérité furent inventés ».
    Avec Jorion le nouvel objet de connaissance c’est l’économie comme production sociale. L’économie perd de sa naturalité. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il suffirait de conceptualiser abstraitement un nouveau type de société pour que tôt ou tard celle-ci se mette à exister.
    Il faut encore qu’une dynamique d’affects substitue au coeur des croyances ( les vérités relatives) logé aux tréfonds de nos cerveaux un nouveau coeur de croyances. On peut ainsi raisonnablement envisager qu’au complexe des affects relatif à l’agressivité et la compétition associé à un ensemble de significations (ou représentations) se substitue le nouveau complexe affectif relatif à l’entraide, ce que Aristote nommait la philia. Les principes des systèmes intelligents expliquent tout cela de manière très pédagogique. Tout se passe au niveau de la mémoire, dans ce que Jorion nomme le réseau mnésique. Il s’agira alors, par exemple, que se trace dans notre mémoire un nouveau raccourci vers le complexe d’affects porteur de significations relatives à la philia, entendu que la signification que nous donnons aux choses (matérielles et immatérielles) est ancrée dans les traces mnésiques à la faveur des liens qui s’établissent entres elles selon l’axe irréversible du temps, motivées qu’elles sont par le souci, c’est à dire les impulsions affectives venues de l’extérieur — c’est à dire des autres avec lesquels nous entrons en contact — qui relancent constamment de nouvelles séquences de conversation, lesquelles entretiennent et corrigent constamment nos réseaux de significations compte tenu de la pertinence affective préformée par les précédentes conversations … Bref, la réalité, la vérité procèdent de l’incessante conversation que nous entretenons avec avec les autres et en nous-mêmes dans nos dialogues intérieurs, ces derniers étant bien entendu toujours en contact d’une façon ou d’une autre avec le monde extérieur.
    Selon cette perspective, la vérité négociée se substitue au concept d’idéologie.

  19. L’utopie vient sans doute quand on a touché le fond, ou quand on est sous la contrainte (directe ou indirecte), ‘suffisante’.
    Est-ce notre cas ?
    Et dans le même temps, dans une société laminée comme l’est actuellement la société grecque, quelle utopie en vue ?

  20. Hello!
    Je passe juste pour dire que je crois avec ferveur en la capacité de résilience de « La Vie ».
    @+ 🙂

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