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La Banque des règlements internationaux s’est donc décidée à mentionner la catastrophe imminente dans le domaine du crédit immobilier commercial américain (centres commerciaux, bureaux, hôtels, immeubles à appartements, cliniques, etc.). Je suis allé vérifier à quelle époque j’avais personnellement mentionné cette tempête à venir pour la première fois. C’est dans un billet datant de juin de l’année dernière, billet au titre prémonitoire : Vous reprendrez bien un peu de finance à l’ancienne ? et, à quelques jours près, dans une chronique pour Le Monde –Economie, au contenu cette fois prémonitoire : États-Unis : de bien curieux remboursements où je proposais une hypothèse qui passait alors pour farfelue :
Si le parallèle avec Countrywide a un sens, il s’agit alors simplement pour les dix banques ayant aujourd’hui remboursé l’argent du TARP [P. J. : le plan de sauvetage américain] de nettoyer consciencieusement la caisse avant de mettre définitivement la clé sous la porte. Lorsque les trillions à nouveau perdus seront examinés, les quelques milliards détournés in extremis par leurs dirigeants, passeront, c’est à parier, relativement inaperçus.
Mais à tout seigneur, tout honneur, Nouriel Roubini mentionnait déjà la possibilité d’un effondrement de l’immobilier commercial américain en… février 2008.
Le fait que l’immobilier commercial aille mal ne signifie évidemment pas que l’immobilier résidentiel aille bien pour autant. On s’en est amèrement souvenu aujourd’hui : aucun des économistes consultés par Bloomberg ces jours derniers n’avait imaginé la chute de 30 % qui a été constatée en mai dans la vente des logements de construction ancienne – représentant 92 % du parc immobilier résidentiel, la construction neuve constituant elle les 8 % restants. Le chiffre avancé par les économistes était d’une chute probable de 19 %. Depuis le début de la crise, l’écart entre leurs prévisions et les chiffres réellement observés est tellement large qu’on se demande pourquoi ces prévisions continuent d’être mentionnées.
Le plan de relance américain incluait une prime à l’achat d’un logement d’un montant maximum de 8.000 dollars. La promotion s’achevait au 30 avril pour la signature et le 30 juin pour le versement – échéance qui vient d’être reportée au 30 septembre – et on imaginait naïvement aux États-Unis que le marché de l’immobilier poursuivrait sur sa lancée. Las !
Autre promotion, difficile à chiffrer, et qui elle – pour une fois – vise à venir en aide aux lampistes : le prêt automatique dont bénéficient désormais les chômeurs pour le paiement des traites de leur crédit immobilier, et qui ne devra être remboursé qu’au moment où ils auront retrouvé un emploi… en espérant que ce moment vienne, ce qui ne sera pas le cas bien entendu pour un certain nombre d’entre eux. Note amusante : le coût de ce programme devait être couvert par la taxe sur les opérations financières prévue par le « financial overhaul », le projet de réglementation du secteur financier. Mais le sénateur républicain Scott Brown n’aimait pas cette taxe et son vote est indispensable… fi des esprits chagrins, on trouvera bien les sous ailleurs !
L’optimisme relatif observé récemment à propos de l’immobilier américain se nourrissait du fait que le prix du logement s’était stabilisé au cours des derniers mois. Le comportement passé de ce marché aurait cependant dû rappeler que toute subvention dont il bénéficie se trouve automatiquement répercutée dans le prix des maisons. Il en a été ainsi dans le passé de la détaxation des intérêts versés, ainsi que de toute baisse du taux d’intérêt due à l’intervention bienveillante des Government–Sponsored Entities, Fannie Mae et Freddie Mac. L’incitation étant arrivée à son terme fin avril, le prix moyen d’un logement ira inéluctablement se resituer 8.000 dollars au-dessous de son niveau à cette date.
Quant à Fannie et Freddie, affectées depuis 2008 à la fonction de puits sans fond, à savoir chargées d’absorber – aux frais du contribuable américain – toutes les pertes essuyées sur les crédits titrisés par leurs soins – on tremble à la pensée de l’année 2012, quand leur générosité prendra fin et que la vérité des prix reprendra ses droits. À moins qu’on ne leur offre à ce moment-là la rallonge d’un « trillion » de dollars qui leur sera alors nécessaire… plombant d’autant les finances d’un État fédéral déjà très profondément au-dessous de la ligne de solvabilité.
En 1962, les Américains dans leur ensemble possédaient 80 % de la valeur des maisons dont ils étaient propriétaires en titre – et ceci en moyenne, c’est-à-dire en incluant les propriétaires à part entière : dont la maison n’est pas grevée d’un crédit hypothécaire. Le chiffre est tombé aujourd’hui à 38 %, et la plongée n’est pas en passe de s’arrêter. Près des deux tiers de ces « propriétaires » sont donc en réalité locataires de leur banque – un propriétaire, comme on le sait, parmi les grippe-sous les moins tendres.
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