Le scandale du LIBOR, c’était en 2008
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Quand l’affaire du LIBOR éclata en avril 2008, les commentaires de la presse furent pour le moins laconiques. Quand le feu qui couvait reprit le mois dernier avec la condamnation de la Barclays pour avoir manipulé ces taux réglant les prêts en dollars que les banques se consentent entre elles, on assista au contraire à un feu d’artifice médiatique. La Barclays était alors l’une des seize banques (18 aujourd’hui) en charge de communiquer les données qui permettent le calcul de ces taux.
Un événement qui n’avait provoqué qu’un froncement de sourcils en 2008 fait trembler aujourd’hui sur ses bases non seulement la City mais la finance toute entière. Il faut s’interroger sur le principe qui règle la dynamique de l’indignation qui fait qu’à deux moments du temps les réactions du public au même événement peuvent être d’un autre ordre de grandeur.
Pourquoi une telle indifférence de l’opinion au moment des faits et pourquoi la secousse sismique des semaines récentes, conduisant à la démission des trois principaux dirigeants de la Barclays, jetant également la suspicion sur le candidat pressenti à la tête de la Banque d’Angleterre et, par son truchement, sur le gouvernement britannique à l’époque des faits. George Osborne, Chancelier de l’Échiquier, déclare que les faits révélés « sont symptomatiques d’un système financier qui a élevé la cupidité par-dessus toute autre considération et a mis notre économie à genoux », pour ajouter que « La fraude est un crime quand il s’agit des affaires ordinaires – pourquoi devrait-il en être autrement quand il s’agit de la banque ? ».
Le paiement par la Barclays d’une amende d’un montant considérable (365 millions d’euros) n’aurait dû être qu’une façon de tourner la page sur des événements datant de plusieurs années déjà. D’autant qu’il est clair que dans l’affaire du LIBOR, la Barclays était parmi les seize banques, l’une des moins coupables certainement, et ayant fait preuve de bonne volonté en coopérant avec les autorités, ceci expliquant d’ailleurs le rabais de 30% dont elle bénéficie en Grande-Bretagne sur le montant de l’amende.
Il serait caricatural de n’évoquer qu’un « simple exercice de com ayant mal tourné » puisqu’il s’agit quand même de décisions de justice, mais les régulateurs auraient pu espérer que le point final mis à l’affaire serait reçu par le public avec la même indifférence que celui-ci avait témoignée lorsqu’elle éclata en avril 2008. Il n’en a rien été. Comment expliquer alors ce retard à l’allumage de quatre ans dans l’indignation du public ?
L’explication nécessite ce que le physicien appelle un effet « non-linéaire » : le passage d’un seuil faisant qu’une situation change soudain de nature. On pense au Magicien d’Oz (1900) de Frank Baum, où l’ouverture accidentelle d’un rideau fait découvrir que le monde enchanté (métaphore du système monétaire américain) n’est qu’un artifice mis en scène par un vieillard poussant des manettes.
Ce qui a brutalement levé le rideau pour les Britanniques et leur a indiqué sous quelle lumière l’affaire du LIBOR devait être vue, c’est bien sûr l’affaire Murdoch.
Les Britanniques découvriraient en 2011 que 4.000 d’entre eux avaient leur boîte vocale piratée par News of the World, organe de presse « de caniveau » appartenant à l’empire de presse de Rupert Murdoch, Australien d’origine devenu Américain. Parmi les victimes : des vedettes, des membres de la famille royale, mais aussi des sans-grade : soldats de retour d’Afghanistan, rescapés d’attentats londoniens.
L’affaire était apparue en surface quand le téléphone d’une adolescente assassinée avait été piraté et certains messages effacés par un journaliste de News of the World, faisant espérer à ses proches qu’elle soit encore en vie. Les plaintes des victimes n’aboutissaient jamais parce que Murdoch corrompait parallèlement les services de police qui étouffaient alors les affaires. La colère éclaterait dans l’opinion et les projecteurs se dirigeraient vers la porte tournante à grande vitesse existant entre sbires de l’empire Murdoch et membres du gouvernement britannique. L’étroitesse des relations entre David Cameron, premier ministre et Rupert Murdoch lui-même, se situait sans aucun doute dans la zone d’inconfort.
Sous le nouvel éclairage, la fraude à la petite semaine chez Barclays, révélée dans les attendus du FSA (Financial Services Authority), le régulateur britannique, cessait d’être de la malhonnêteté ordinaire, pour apparaître comme l’un des révélateurs parmi d’autres d’une classe dirigeante arrogante, ne s’embarrassant pas de règles et arrangeant les affaires selon son bon plaisir, tout en ne maintenant que le minimum d’apparences nécessaires.
L’affaire du LIBOR, c’est l’histoire du dévot qui a toujours accepté comme parole d’évangile les prêches de son prêtre, mais qui cesse soudainement de croire à tout ce qu’il a entendu parce qu’il découvre accidentellement que la barbe que celui-ci porte est fausse.
La question qui se pose maintenant est celle-ci : si la chute de la moins coupable des banques responsables du LIBOR a déjà provoqué un tel effondrement, à quoi faut-il s’attendre quand sera révélé le châtiment qui est promis aux autres ?