HUMAINCRATIE. FRAGMENT 2, par Jean-Claude Baerts

FRAGMENT 2.

Nous avons vu :

F1
  • Une interrogation sur le vivre ensemble.
  • Avant-propos où Bergson nous explique qu’une innovation est nécessaire en présence d’un écueil.
  • Une liste non exhaustive de multiples écueils où le capitalisme conduit.

Nous verrons :

  • Que l’Humanité est confrontée à son anéantissement à défaut de refondations par une évolution créatrice.
  • Qu’un nouveau paradigme propose de se focaliser sur l’humain.
  • Préambule soulignant le rôle de la fiscalité et sa mutation projetée.
  • Introduction présentant une nouvelle voie vers la richesse des nations, laquelle sera bien plus vaste que la possession de biens et d’argent ou leur opulence.

*Explicitations rencontrées :

(*) théorie du ruissellement

En anglais : « trickle down economics »

En wallon : « Cwand i ploût su l’ curè, i gote su l’ maurlî ».
(Quand il pleut sur le curé, il goutine sur le marguillier.)

Dans la théorie du ruissellement, les plus gros revenus, de préférence faiblement imposés, font bénéficier par dégoulinement les faibles revenus de leurs richesses amassées et répandues dans la société. C’est un mouvement Top-Down.

En fait le présent modèle s’oppose à la théorie du ruissellement, et devrait se nommer la théorie de la marée montante avec une résurgence du pouvoir d’achat des bas et moyens salaires qui devraient inonder de prospérité toute la société à partir du bas. C’est un mouvement Bottom-Up qui crée de la croissance, de la richesse et réduit l’inégalité.

Avec Martin Heidegger se percevait le sentiment de confrontation et de subordination d’être jeté au monde, « Geworfenheit du Dasein« [1], et celui tragique et pathétique de se résumer à ‘un-être-pour-la-mort’[2] à une échéance indéterminée, mais qui rend être signifiant[3].

Aujourd’hui au contraire avec toutes les impasses qui se dressent, le sentiment pour bon nombre d’individus devient dramatique, celui de ne pas avoir le droit à la vie comme le proclamaient John Locke et Thomas Jefferson ; celui d’être jeté sur le radeau précaire de la Méduse où un combat individuel vital s’engage aussitôt pour éviter de devoir vider les lieux sur-le-champ, soit être insignifiant.

Jacques Généreux l’exprime ainsi : « … des hommes et des femmes déjà habités par l’angoisse de vivre non plus dans une société, mais sur un champ de bataille où chacun doit gagner et défendre sa place à l’issue incertaine d’un combat inégal. »[4]

« … convaincus de vivre désormais et à jamais en plein champ de bataille, les individus se comportent en guerriers et non plus en citoyens ; au lieu de faire société, ils engendrent dès lors un monde hostile dans lequel il est toujours plus rationnel de se comporter en guerrier. »[5]

Car ainsi pour beaucoup notre monde est en train de couler, est en péril.

Aussi un nombre impressionnant d’excellents auteurs critiquent avec pertinence notre vivre ensemble tant au niveau politique qu’économique, environnemental ou social.

Ils mettent en exergue et expliquent en détail des dérives dangereuses ou inadmissibles au sein de nos organisations sociétales ou les impasses dans lesquelles nous nous sommes engagées.

Ainsi de plus en plus fréquemment est exprimé qu’il faut changer de système, de fondements, car les structures existantes, à force de correctifs et de compromissions, deviennent dans le contexte humanitaire actuel, ingérables et inadaptées à la nature humaine. L’épanouissement de celle-ci est sujette à flétrissures irréversibles.

Devant ce foisonnement de signaux d’alarme qui ont le mérite de nous extraire de notre torpeur, force nous est de constater que des propositions structurelles concrètes sont rares et font difficilement l’unanimité. Il est vrai qu’elles ont généralement une portée partielle, spécialisée et technique, péchant ainsi contre une implication générale en ne se centrant pas sur un idéal d’humanité, lequel devrait par ailleurs être dans le sens de la noosphère[6], vers un esprit de communion solidaire entre humains[7], avec une sollicitude à autrui[8].

Or quand le balisage humain comporte des sentiers battus devenus trop durs, il faut oser explorer, en s’ouvrant à ces ‘parts d’ombre’[9] qui échappent à la raison établie dans la ‘limite du pensable’[10], dans des domaines tels que la sociologie, l’économie, l’anthropologie, la psychologie et le politique, afin de dégager de sa gangue un nouveau paradigme rempli d’espérance.

Un paradigme qui devra par ailleurs respecter et intégrer en son sein les mécanismes et pratiques qui rendent une démocratie véritable, comme ‘valeur universelle’[11], notamment ‘la garantie de la libre discussion, du débat, de la critique et de la contestation’[12] ; paradigme enfin qui recherchera à engendrer dans la sphère économique[13] et plus concrètement par la transformation du capitalisme, « des « capabilités » de développer des modes de fonctionnements humains fondamentaux (human functionings), permettant de vivre une vie digne et sensée plutôt que de seulement accumuler des biens« [14].

C’est pourquoi le présent Essai tente de proposer une « évolution créatrice », collective cette fois, qui veut puiser sa force et son pouvoir dans notre humanité, d’où l’appellation nouvelle d’humaincratie.

Je vous convie donc à un voyage au long cours vers les terres inconnues d’un nouveau paradigme de vie sociétale, et, préparez-vous à affronter des assauts en raz-de-marée dans la mer tumultueuse de nos habitudes antinomiques.

Pourtant une piste de grande simplicité structurelle est défendue, mais malgré cela elle conduit à une métamorphose fondamentale de nos sociétés, une nouvelle vision du vivre ensemble, prometteuse de progrès sociétal, ce qui doit être en fait l’essentiel de notre questionnement et de notre recherche dans ce domaine.

â–²Préambule.

La fiscalité est un fondement de l’Etat[15].

Réaliser un changement de la fiscalité tel que le pouvoir d’achat des travailleurs augmentera, que les entreprises significativement diminuent leurs charges et accroissent leur rentabilité, que l’État ne soit pas amputé dans ses moyens et que la régulation de l’économie soit à nouveau à sa portée, et que même les non-travailleurs, chômeurs, pensionnés ou rentiers, augmentent leur sécurité et facilité de subsistance, voilà l’utopie réalisable et à portée de main à laquelle le présent modèle propose un accès.

â–²Introduction.

Se différenciant de la théorie du ruissellement (*Explicitations), Adam Smith expose que « dans une société bien gouvernée une opulence universelle s’étend jusqu’aux rangs les plus bas du peuple ».

Cette abondance trouve sa source dans la division du travail, dans la spécialisation et l’aide des machines et outils qui permettent d’engendrer des réductions généralisées de prix. Ceci procure à chaque individu un pouvoir d’achat suffisant, au-delà de ce dont il a lui-même besoin.

Keynes : Le niveau des prix doit s’adapter au niveau des salaires et non l’inverse.

Aussi la nouvelle voie proposée ici considère que ce qui contribue notamment à la richesse des nations, c’est de pouvoir offrir une disponibilité importante et stable de produits de qualité et peu onéreux, à une portée aisée des revenus par le travail ou des avoirs d’un nombre croissant de citoyens, et leur permettant facilement de consommer, d’économiser raisonnablement, et même d’investir ce qui augmentera leur productivité individuelle et leur bien-être par la maîtrise de leur condition.

Quand les prix sont inférieurs aux habituels, la demande des acheteurs surgit, par exemple lors des périodes de soldes.

Un marché libre avec des prix réduits qui occasionnent un pouvoir d’achat plus élevé, est plus dynamique que celui à prix élevés car les intervenants et les échanges sont plus nombreux. Le vivre ensemble en est par ailleurs plus mouvementé et intense.

Dès lors un marché dynamique à l’opposé d’un marché stagnant est source de relance économique, de croissance et de prospérité.

Une abondance universelle et une prospérité pour une disponibilité d’action commune sont visés car la croissance nécessaire aura des objectifs différents (Cf. p10), et cette voie propose un contexte pour les atteindre.

Milton Friedman in ‘Capitalisme et liberté’ : « La plus grande réussite du capitalisme a été non pas l’accumulation du capital, mais les chances qu’il a offertes aux hommes et aux femmes d’accroître, de développer et d’améliorer leurs capacités. « 

Caroline Ven in ‘Economie pérenne. Un plaidoyer intense pour le capitalisme’[16] : « le capitalisme repose sur le droit qu’ont les gens d’accroître leur prospérité« .

Mais des freins majeurs entravent ce potentiel en abusant les entrepreneurs par une bureaucratie et une fiscalité tracassières, tatillonnes et soupçonneuses, une insécurité de revenus et des charges salariales insupportables. Or pour Charles Gide : « les entrepreneurs sont les pivots de tout mécanisme économique ».

En conséquence la nouvelle voie se focalise dès lors sur la rentabilité des entreprises, le coût du travail, la concurrence acceptable, la calamité du chômage ; elle veut rendre à nouveau attractive pour les entreprises la catégorie des bas salaires, laquelle est une source principale de chômage. Ainsi un espace d’opportunité pour les travailleurs moins qualifiés peut se revaloriser dans l’éventail des jobs en y créant une répartition plus uniforme ou plus complète. Celle-ci n’en sera que plus apte à répondre à la diversité des potentialités humaines.

Et cette voie ne veut pas entraver l’initiative ni la liberté d’entreprendre ni l’ardeur à réaliser ; au contraire elle veut en augmenter la facilité et en diminuer les charges, les contraintes et les risques.

Joseph Stiglitz in ‘Quand le capitalisme perd la tête’ : « En faisant baisser le taux de chômage, nous avons permis à chacun de prendre des risques ; or le risque est l’élément clef de cet esprit d’entreprise qui est au cœur de la vraie réussite ».

Mais d’autre part cette voie poursuit une solidarité qui permette à chacun une vie digne, humaine, une atténuation des inégalités et des dominations ou des suprématies, l’accès plus aisé à la subsistance, à la culture et à la propriété. « Car l’absence de droit ou de possibilité à la propriété empêche toute chance d’y accéder. Et en l’absence de propriété il est impossible de participer à un marché libre, … et ce dernier est source d’émancipation, de liberté, de progrès et de richesse« [17] pour le plus grand nombre de personnes.

De fait la propriété permet une autonomie et d’engranger des réserves, évitant ainsi de devoir vivre au jour le jour ou de dépendre journellement d’un Etat providence étendu, voire totalitaire.

Solidarité et coopération, à l’aune de l’humanité, et qui s’accordent avec une autonomie individuelle qui ne soit pas disproportionnée et qui apprécie le vivre ensemble.

C’est soutenir enfin que la Droite et la Gauche ont chacune une dynamique spécifique, soit des composantes enrichissantes et complémentaires du vivre ensemble.

Aussi au sein du projet politique, une cohabitation synergique devrait leur être prévue, tout comme la préoccupation écologique.

Et par ailleurs une voie de travail pour tous et de tous au travail est proposée, soit une réponse collective à des besoins collectifs d’utilité générale (Dominique Méda : ’Le travail. Une valeur en voie de disparition ?’).

Et enfin la nouvelle voie s’applique à engendrer un coût du travail générateur de santé. Dans son contexte, les temps morts doivent devenir de moins en moins onéreux, ce qui éliminera stress et burn-out. (Daniel Cohen : ‘Nos temps modernes’).

Et en corollaire la stabilité d’emploi pourra réapparaître.

Afin d’atteindre ces objectifs la nouvelle voie préconise un contexte concret de synergie en fraternité, soit un nouvel esprit pour animer les activités économiques mais aussi la citoyenneté : sublimer une compétition rivale par une concertation et une coopération fortifiées par la solidarité humaine.

Si ces objectifs sont hors de portée dans le cadre actuel, il faut créer l’impasse qui amorcera la dynamique en boule de neige, qui ‘amorce la pompe’, et ce sans détruire le bien-être existant.

 

[1] Martin Heidegger : « Etre et temps »

[2] ibid.

[3] France Culture, « Les Nouveaux Chemins de la Connaissance du 17-5-2011» de Raphaël Enthoven avec Philippe Cabestan et Jean-Luc Nancy sur « Etre et temps : L’être-pour-la-mort. »

[4] Jacques Généreux : « La dissociété »

[5] ibid.

[6] Pierre Teilhard de Chardin : « Le phénomène humain »

[7] Collège des Bernardins, cours par Gérard Donnadieu sur Pierre Teilhard de Chardin

[8] France Culture, « Les Nouveaux Chemins de la Connaissance du 19-5-2011» de Raphaël Enthoven avec Philippe Cabestan et Françoise Dastur sur « Etre et temps : le souci et le care. »

[9] Georges Bataille : ‘part maudite’

[10] Georges Bataille ou ‘la ligne du Dehors’ chez Michel Foucault

[11] Amartya Sen : “Democracy as a Universal Value”, New Delhi 14-17 February 1999“

[12] Amartya Sen : « La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident »

[13] Amartya Sen : « L’économie est une science morale »

[14] Amartya Sen : « Repenser l’inégalité »

[15] France culture, La Fabrique de l’Histoire, 26/1/2012 : Une histoire de l’Etat

[16] Traduction de l’auteur de : ’duurzame economie. Een warm pleidooi voor kapitalisme’

[17] Peter De Keyzer in ‘La croissance rend heureux. Un optimiste du marché libre et du progrès’ ; (Traduction de l’auteur de ‘Groei maakt gelukkig. Een optimist over vrije markt en vooruitgang.’)

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