« Comment la vérité et la réalité furent inventées », le 21 avril 2020 – Retranscription

Retranscription de « Comment la vérité et la réalité furent inventées », le 21 avril 2020.

Bonjour, nous sommes le 21 avril 2020, et aujourd’hui, je voudrais vous parler d’un de mes livres : « Comment la vérité et la réalité furent inventées », qui a été publié chez Gallimard dans la Bibliothèque des sciences humaines en 2009, il y a 11 ans.

Pourquoi parler d’un de mes livres qui date d’il y a onze ans ? Eh bien la raison c’est que je suis en train de le relire et pas pour le plaisir parce que j’aurais beaucoup de loisirs, c’est parce que je prépare un cours d’anthropologie interculturelle à l’Université catholique de Lille, c’est mon vrai métier : j’ai enseigné l’anthropologie en particulier pendant cinq ans à l’Université de Cambridge toute une série de cours sur l’histoire de l’anthropologie, sur des écoles particulières, sur mes travaux de terrain et ainsi de suite.  

Je ne relis pas tout le livre, je relis la partie qui peut servir à un cours d’anthropologie interculturelle. Toute la partie sur l’histoire des mathématiques, sur le rôle de la modélisation mathématique dans l’histoire des sciences, tout ce qui relève à proprement parler plutôt de la philosophie des sciences et de l’histoire des sciences, ça n’apparaîtra pas (je dirai peut-être un mot incidemment sur le scandale que j’ai ravivé de considérer que la démonstration par M. Kurt Gödel de son théorème sur l’indétermination de l’arithmétique c’est de la – j’allais dire un mot pas poli ça ne tient pas debout  je vais le dire de manière sous forme de paraphrase, qu’à la lecture de la démonstration de son théorème par M. Aristote, il se serait tenu les côtes d’un bout à l’autre en disant : « Ce n’est pas possible qu’on ait oublié à ce point-là ce que j’avais quand même eu le sentiment de débrouiller ! ».Pourquoi ? Parce qu’Aristote, bien entendu, c’est la personne qui nous a décrit pour la première fois un système qui est le système de la logique sous trois formes différentes bien entendu : celle de l’analytique qui est devenue le discours scientifique, celle de la dialectique qui est le discours des hommes et des femmes politiques et de ce qu’on dit dans les cours, devant les tribunaux et la rhétorique qui nous sert à faire des « démonstrations » dans la vie quotidienne, à la manière de ce qu’on fait sur Facebook ou dans la presse de caniveau. De ça, je ne parle pas.

Mais je voulais dire un mot à propos de ce livre. Ce livre fait à proprement parler ce qu’il annonce dans le titre. Les éditeurs (et là je voudrais quand même remercier au passage les personnes qui ont compris l’importance de ce manuscrit, qui ont tenu à le publier et qui ont fait un travail d’édition au sens où de me conseiller de mettre certains passages à un autre endroit, de faire des introductions et des conclusions plus explicites aux chapitres et ainsi de suite), trois personnes qui ont compris ce qui était écrit dans ce livre et qui ont compris son importance : ce sont MM. Pierre Nora [historien français, membre de l’Académie française], Marcel Gauchet [philosophe et historien français] et  Olivier Salvatori [éditeur chez Gallimard], qui ont joué des rôles différents dans la production de ce livre mais qui ont chacun joué un rôle essentiel.

Ce livre a été écrit sur une période de 12 ans : entre 1985 et 1997. Je n’ai pas fait d’efforts considérables pour essayer de le publier entre 1997 et 2009 parce que je savais en fait que c’était un livre essentiellement impubliable. Pourquoi ? Parce que je prends les problèmes d’une manière à ce point différente des auteurs qui m’ont précédé. Même si j’ai le sentiment que je résous des problèmes de type classique en anthropologie, mais je les ai résolus d’une manière tellement inattendue, tellement « out of the box », hors du cadre, que je savais que c’est assez difficile à – comment dire – à voir même que c’est la solution de problèmes essentiels, par exemple le problème de la… ce qu’on a appelé la « mentalité primitive » dans les années 1920 et 1930, et ce que les Anglais appellent dans les années 1970 : « the rationality question », la question de la rationalité,  et celle du rapport entre les mathématiques et le monde réel, toutes « solutions » de problèmes qui demandent un changement de paradigme, c’est-à-dire qu’on commence à regarder les choses d’une manière tout à fait différente.

De manière tout à fait typique, le livre n’a produit qu’un seul compte-rendu, dont on a discuté sur le blog et la mécompréhension du lecteur pour ce qui était dit était à ce point abyssale que je résume ça par un exemple. Quand le commentateur dit : « Mais pourquoi Jorion parle-t-il à ce moment-là de comptabilité ? » et qu’allant voir dans le passage pourquoi je parle effectivement de comptabilité, je vois que le mot qui est écrit c’est le mot compatibilité ce qui trahit quand même – comment dire ? – le fait que le lecteur était tout à fait ailleurs par rapport à ce qui était écrit.

Le problème se repose récemment parce qu’il est question de traduire le livre en anglais après tant d’années, et là aussi – en regardant la traduction faite par un traducteur de formation philosophique dans la tradition anglo-saxonne je m’aperçois que la traduction est inutilisable. Pourquoi ? Parce que ce philosophe se convainc phrase après phrase que je me trompe et essaie de corriger. Or – je vous donne un exemple – de dire « l’ensemble de tous les… » là où j’ai écrit « chacun des… ». Ce n’est pas par hasard que j’ai écrit « chacun » au lieu de « tous les…’’, « l’ensemble de tous les », parce que l’approche classique c’est en termes de « l’ensemble de tous les », et mon approche à moi c’est en termes de « chacun ».

Alors quand, involontairement sans doute ou, je dirais animé du bon sentiment de corriger ce qui est écrit, cette personne écrit autre chose que ce que j’ai écrit, le projet échoue.

On a fait une tentative parallèle d’utiliser la dernière version de DeepL pour traduire le même passage et c’est beaucoup plus concluant. Pourquoi ? Parce que DeepL ne va pas s’amuser à écrire « l’ensemble de tous les » là où est écrit « chacun », DeepL va traduire par « chacun » et du coup une traduction, je dirais littérale… – mais littérale à la manière dont le fait DeepL c’est-à-dire quand même une grande compréhension : quand il y a une expression,  DeepL traduit l’expression d’une langue dans l’autre, il ne fait pas du mot à mot en ne comprenant pas que s’il s’agit d ‘un proverbe, d’un dicton, etc. : le travail est beaucoup mieux fait.  Alors que faudrait-il faire ? Il faudrait soit que je relise entièrement ce qu’a fait DeepL ,et c’est un gros livre en texte serré : il y a pratiquement 400 pages donc c’est énormément de boulot pour moi ou de manière beaucoup plus simple, il suffirait de vérifier que DeepL ne s’est pas trompé dans ce qu’il a fait en traduisant tout simplement : qu’il n’y a pas eu de malentendu majeur. Mais ça demanderait un effort tout à fait minime par rapport à une traduction de type classique.

Alors voilà : quelques mots sur un ouvrage qui est passé tout à fait à côté de son public,  qui n’a pas de descendance : je n’ai jamais vu personne écrire un article ou un livre dans la filiation de ça. Ce que j’ai vu c’est des choses isolées comme par exemple un philosophe des sciences parmi les meilleurs en France, qui était notre invité à l’Université catholique de Lille, et dont je ne comprends pas trop le comportement après le cours, si ce n’est que quelqu’un le comprend et s’arrange pour que nous dînions ensemble lui et moi, et je comprends que cette personne voulait… espérait que j’allais pouvoir passer une heure avec lui à discuter de ce qu’il y avait dans ce livre.

Vous voyez c’est des choses isolées comme ça : des gens qui, ici et là, disent que c’est une météorite : c’est la solution des problèmes, mais il faudra encore 50 ans pour que quelqu’un le voie…

Voilà, donc quelques mots sur ce livre à l’occasion, comme je viens de vous le dire, du fait que moi je suis obligé… mais enfin bon ce n’est jamais – comment dire ? – ce n’est jamais un pensum de relire ce qu’on a pu écrire, à moins que voilà, qu’on doive le relire entièrement, quelques mots sur ce livre à l’occasion d’une relecture partielle, quelques mots sur quel est cet objet : ce que c’est, où peut-on plus ou moins le situer ? 

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Une réponse à “« Comment la vérité et la réalité furent inventées », le 21 avril 2020 – Retranscription”

  1. Avatar de timiota
    timiota

    Si un francophone comme moi relit la traduc DeepL,
    ça sera pour l’orienter vers du « globish ».

    Ca plaira moins à Oxford et à Cambridge,
    mais ça sera peut-être lu à Tokyo, à Jakarta,
    A Harare et à Arequipa.

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