Catastrophe ou désastre ?

ContreInfo reproduit aujourd’hui un article de Martin Wolf, du Financial Times, intitulé Crise financière : le krach parfait, où celui–ci reprend à son compte les douze « étapes vers le désastre financier » de Nouriel Roubini, professeur à l’Université de New York. Je résume ici ces douze étapes :

1. La plus grande récession immobilière qu’aient connue les USA.
2. De nouvelles pertes, au-delà des estimations actuelles de 250 – 300 milliards, dans les emprunts subprimes.
3. Lourdes pertes sur les crédits – non garantis – à la consommation associés aux cartes de crédit, aux prêts d’acquisition de véhicules, sur les emprunts étudiants, et ainsi de suite.
4. La dégradation de la note attribuée aux assureurs monolines.
5. Krach du secteur de l’immobilier commercial.
6. Faillite d’une grande banque régionale ou nationale.
7. Grosses pertes sur les opérations de rachat d’entreprises financées par l’emprunt.
8. Vague de défaillances d’entreprises.
9. Krach des fonds d’investissement et les établissements non régulés.
10. La valeur des actions poursuivrait sa chute.
11. Assèchement des liquidités dans de nombreux marchés financiers.
12. « Un cercle vicieux de pertes, de réduction de capital, de contraction du crédit, de liquidation contraintes et de ventes en urgence d’actifs évalués en dessous de leurs fondamentaux de prix. »

Cela m’a rappelé le chapitre intitulé « Le scénario catastrophe… », d’un ouvrage rédigé en 2006 et publié en janvier 2007. Je le reproduis ici, à l’intention de ceux qui n’auraient pas un exemplaire de « Vers la crise du capitalisme américain ? » sous la main :

1. Les consommateurs parviennent par la vente à tempérament, qui n’est rien d’autre qu’un prêt consenti par le vendeur, et surtout par l’emprunt renouvelable qu’autorise la carte de crédit, à dépasser significativement le niveau de dépenses que leurs ressources leur permettraient sinon d’atteindre. La capacité des consommateurs à s’endetter est cependant contrôlée par leur cote de crédit : celle-ci baisse significativement quand le rapport de leur dette par rapport à leurs revenus augmente. Mais la norme en ces matières évolue selon le risque perçu par les bailleurs de fonds et alors qu’il y a vingt ans ils renâclaient quand 30% du revenu d’un ménage était consacrée au remboursement de ses dettes, ils considèrent aujourd’hui qu’un niveau de 50% est parfaitement tolérable.

2. L’endettement des ménages se portant prioritairement sur des biens d’importation, à défaut pour les États-Unis de pouvoir encore produire ces biens de technologie avancée, crée un déficit de la balance commerciale. Celui-ci entraîne une chute de la valeur du dollar. Pour compenser celle-ci, la dette de l’État fédéral (les obligations d’État, les Bons du Trésor qu’il émet) est forcée de présenter un rendement plus élevé. Deux cas de figure ici :

— 2.1. La Chine continue de financer la dette budgétaire américaine en achetant des Bons du Trésor et des Mortgage-Backed Securities à l’aide de son surplus de dollars et cette demande neutralise la tendance des taux à grimper.

— 2.2. La Chine cesse de financer la dette budgétaire américaine en achetant des Bons du Trésor et des Mortgage-Backed Securities à l’aide de son surplus de dollars ; les taux d’intérêt grimpent.

3. Les paiements des nouveaux contrats de vente à tempérament sont réévalués dans le cadre de la hausse des taux d’intérêt, ce rééquilibrage s’applique en particulier aux prêts hypothécaires. Les dettes qui sont indexées sur les taux variables (par exemple sur le Prime Rate, un taux sur lequel les banques s’accordent et qu’elles consentent aux consommateurs dont la cote de crédit est excellente) sont réévaluées, leur coût augmente. Ceci vaut pour les prêts hypothécaires de type ARM (Adjusted-Rate Mortgages), c’est-à-dire « prêt hypothécaire à taux ajusté (variable) » et pour les cartes de crédit.

4. Le relèvement du coût des prêts hypothécaires restreint la capacité des consommateurs à emprunter : un paiement mensuel identique n’autorise plus qu’un emprunt d’un montant plus faible. La hausse des taux affecte le marché immobilier résidentiel et le prix des maisons baisse, y compris bien sûr celui de celles qui sont grevées d’une hypothèque. Ce qui conduit les créanciers à réclamer des appels de marge, des réajustements financiers portant sur les dettes dont le logement constitue le gage. La valeur de la maison risque maintenant dans certains cas d’être inférieure au montant du prêt restant dû. Faute de réserves, les familles ne peuvent revendre une habitation dont le prix de vente ne couvrirait plus la somme à rembourser Leur mobilité en est affectée : il leur est devenu impossible de se déplacer pour s’adapter à un contexte de l’emploi devenu moins clément (les Américains sont davantage enclins que les Européens à plier armes et bagages pour répondre aux vicissitudes du marché de l’emploi).

5. Les ménages ont de plus en plus de mal à faire face à leurs engagements financiers. Leur cote de crédit s’en ressent. Leurs dettes sont réévaluées par leurs créanciers du fait de la baisse de leur cote. Cet accroissement des sommes dues aggrave leur difficulté à acquitter les échéances à venir : les consommateurs sont victimes d’une « falaise du crédit ».

6. Les ménages font d’abord défaut sur les paiements mensuels liés aux cartes de crédit. L’étape suivante est la défaillance sur les paiements mensuels de leur prêt hypothécaire. La marge de tolérance coutumière est de trois mois de retard. Après quatre-vingt dix jours, la procédure de saisie se met en route. Leur maison est remise sur le marché immobilier par leurs créanciers. Comme ils ne sont pas seuls dans leur cas, le nouvel afflux d’habitations saisies contribue à déprimer le marché immobilier encore davantage.

7. Les ménages se déclarent en faillite. Dans le cadre de la nouvelle loi, beaucoup sont obligés de se tourner vers la faillite de « chapitre 13 » avec rééchelonnement de leurs dettes. La plupart échouent rapidement à effectuer les paiements prévus. La loi devient lettre morte. L’État fédéral affligé d’un déficit budgétaire record s’avère incapable de venir à leur secours. »

(Paul Jorion, « Vers la crise du capitalisme américain ? », La Découverte 2007 : pp. 242–244)

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