Les sept raisons européennes d’un cri de colère, par Jean-Michel Naulot

Billet invité. Également ici.

Le résultat des élections européennes promettait d’être sévère pour les partis traditionnels dans l’ensemble de l’Europe. Il est au-delà de tout ce qui avait été anticipé. C’est un vrai cri de colère qu’ont exprimé les peuples européens. Ici même, ce vote protestataire n’est pas celui d’une France peureuse et conservatrice, il est celui de la France des ouvriers, des agriculteurs, des artisans, des jeunes de moins de trente-cinq ans, de la France qui veut travailler et qui souffre. La campagne qui vient de se dérouler a mis en évidence au moins sept raisons pour lesquelles les dirigeants européens doivent de toute urgence corriger la trajectoire de leur politique :

1/ L’austérité pour seul horizon. Depuis le printemps 2010, les dirigeants européens ont décrété que la zone euro faisait face à une crise de la dette publique de grande ampleur alors même que dans tous les pays en difficulté, sauf en Grèce, la crise est venue d’un excès de dette privée. En faisant une erreur de diagnostic et donc de thérapie, les dirigeants européens conduisent l’Europe dans une impasse, celle de la croissance zéro et d’un chômage des jeunes absolument indigne.

2/ Le corset de l’euro. La campagne électorale a permis de sortir du débat stérile autour de l’affirmation traditionnelle « être contre l’euro, c’est être contre l’Europe ». Le débat est enfin venu sur le terrain économique. Il va se poursuivre. Si l’on veut que l’euro cesse d’attiser les divisions, il faudra réformer son système monétaire, introduire de la flexibilité, autoriser une révision des parités nationales tout en maintenant l’euro comme monnaie d’échange à l’extérieur.

3/ L’Union, zone de dumping social. En pleine campagne du référendum de 2005 avait été évoquée la menace du plombier polonais… Véritable fantasme, avait-on dit ! L’histoire des dix dernières années a montré que nos concitoyens voient décidément plus clair que leurs dirigeants. Élargir l’Union de quinze États à vingt-huit n’aurait dû se faire qu’en imposant le respect d’un socle social, non en organisant une confrontation généralisée.

4/ Un traité pour les multinationales. Le silence des gouvernements devant l’initiative de la Commission et du Parlement européen consistant à engager une grande négociation transatlantique afin de pousser les feux vers le libéralisme mondialisé, au moment même où celui-ci parait discrédité par la crise financière, a quelque chose de surréaliste. En 1997, Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient courageusement mis fin à la négociation de l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement), qui était pourtant sur le point d’aboutir. À cette époque, il était déjà question d’autoriser les multinationales à attaquer juridiquement les États.

5/ Le fiasco écologique. Le marché des droits à polluer, instauré il y a une dizaine d’années par l’Union européenne pour faire face au réchauffement climatique, est le symbole d’une politique totalement inefficace car reposant sur des mécanismes de marché et non sur une taxe carbone européenne. Rien n’a été fait pour corriger ces errements alors même que les rapports alarmants se multiplient.

6/ Schengen. Des libéraux aux progressistes, tout le monde s’accorde sur le fait que la politique européenne d’immigration ne peut se réduire à la suppression des frontières nationales. Qu’attend l’Union européenne pour définir enfin une politique commune en matière d’immigration ?

7/ L’engrenage ukrainien. Même si cet élément n’a pas joué de manière significative dans le scrutin, il y a un décalage incontestable entre l’activisme des dirigeants européens et l’aspiration pacifique de nos concitoyens. En 2013, la Commission a agité au dessus de l’Ukraine le hochet des aides financières pour des montants très supérieurs à ceux que proposait la Russie et la diplomatie de la surenchère a continué avec les sanctions et la mise à l’index de Poutine. Il est urgent de prendre des initiatives pour apaiser les tensions.

Sur tous ces sujets, nos concitoyens ont le sentiment de ne pas avoir été entendus. D’où leur cri de colère. Et voilà que certains proposent de remédier aux dysfonctionnements actuels en faisant un saut fédéral, en prenant un pari plein de risques, source de nouveaux conflits. La réponse au malaise actuel réside dans une profonde réorientation de la politique européenne, pas dans une fuite en avant.

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