L’actualité de la crise : L’Europe rattrapée, par François Leclerc

Billet invité.

L’EUROPE RATTRAPEE

Le FMI, qui était entouré de toute la considération voulue tant qu’il intervenait à propos de pays lointains, en Asie ou en Amérique Latine, va finir par agacer sérieusement les puissances occidentales. Il vient de lancer un nouveau pavé dans la mare, jouant en cela le rôle que lui a attribué le dernier G20. Après avoir rendu publiques des estimations impressionnantes des dépréciations et des recapitalisations encore nécessaires dans les systèmes financiers américains et européens, en totale contradiction avec ce que les autorités de ces pays veulent bien reconnaître, pour ne pas parler des banques de leurs pays, qui se font encore plus tirer l’oreille, le FMI vient en effet d’allumer la mèche d’un nouveau pétard.

En Europe, « les pouvoirs publics doivent (…) soumettre les institutions financières à des tests de résistance réguliers et les forcer à reconnaître leurs pertes et à se recapitaliser le cas échéant », a déclaré mardi à Paris Marek Belka, directeur du département Europe du FMI, appelant à un « nettoyage de printemps urgent et minutieux ».

Analysant les conditions devant être remplies pour qu’une relance puisse intervenir, il a considéré en premier lieu nécessaire « la poursuite des apports » permettant de desserrer le crédit (les liquidités déversées par la BCE), la reconnaissance « crédible » des pertes du système financier et la recapitalisation des institutions financières, avec soutien public si nécessaire. « La politique budgétaire doit continuer à soutenir la demande », a également déclaré Marek Belka, souhaitant une « action concertée » européenne et pas seulement « au niveau national ». Il a enfin estimé que les actions « non-conventionnelles » (les mesures financées par la création monétaire) devenaient « plus essentielles ».

Il n’est pas certain que ces déclarations aient été du goût du président de la BCE, Jean-Claude Trichet, qui, tout à sa langue de bois habituelle, avait déclaré lundi : « Nous nous approchons, en ce qui concerne la croissance, d’un point d’inflexion (…) nous observons un ralentissement de la baisse du PIB », ajoutant que « la situation sur les marchés s’est considérablement améliorée (…) depuis septembre 2008 », reconnaissant toutefois que les marchés financiers étaient toujours soumis à la « correction d’un certain nombre de déséquilibres ».

Les nouvelles du secteur bancaire qui se sont accumulées ces jours derniers, venant aussi bien d’Allemagne que d’Espagne et de France ne justifient pourtant pas cet absurde optimisme de façade.

Illustrant la gravité de la situation que connaissent les banques en RFA, un projet de loi vient d’y être présenté, donnant la possibilité aux sociétés financières et aux instituts de crédit de transférer dans des structures ad hoc des actifs toxiques (il en existerait des centaines de milliards d’euros), une solution décentralisée finalement préférée à la création d’une unique « bad bank ». Peer Steinbrück, le ministre fédéral des finances, n’a pas totalement dévoilé le mécanisme proposé, qui repose sur l’idée que les banques recevront des titres de créance couverts par des garanties publiques d’un montant équivalent à 90% de la valeur comptable de leurs actifs transférés, qui seront porteurs d’intérêts. A l’échéance de ces actifs, dans une limite fixée à 20 ans, la différence entre leur valeur réelle et la valeur à laquelle ils ont été initialement inscrits sera calculée et, en cas de moins-value, l’Etat couvrira partiellement les pertes. Il n’est pas précisé à quelle hauteur, une question pourtant fondamentale, mais ce n’est pas étonnant. Parallèlement, le gouvernement étudie un autre projet de bad bank destiné aux Landesbanken, les banques publiques régionales, qui, d’après le ministre lui-même, n’ont plus de modèle économique viable. Neeli Kroes, la commissaire à la concurrence de la Commission, a pour sa part reconnu « … le besoin d’une restructuration profonde du secteur des banques régionales allemandes afin d’assurer sa viabilité à long terme ».

En Espagne, un rapport de la Banque d’Espagne vient également de jeter un froid. Les crédits douteux consentis par le secteur bancaire, souvent dans un secteur immobilier très sinistré, atteignent en effet à la fin avril, 73,9 milliards d’euros. Un montant qui serait susceptible de doubler d’ici à la fin de l’année. Les deux grandes banques espagnoles, Santander et BBVA semblent tenir le choc, mais il n’en est pas de même du réseau des 45 caisses d’épargne, ainsi qu’en général du tissu des banques de petites et moyennes importances, qui s’effondrent. Partout, les ratios de solvabilités sont très détériorés et il est urgent de procéder à des apports en fonds propres. La somme de 60 milliards d’euros est évoquée, pour les deux ans à venir. Un plan de restructuration des banques est à l’étude et devrait être rendu public après les élections européennes du 7 juin prochain.

Il se confirme en France, aux dires mêmes du nouveau PDG de la Société Générale, Frédéric Oudéa, qu’il est « prématuré de dire que c’est la fin des dépréciations », laissant clairement entendre que de nouveaux ajustements pourraient prochainement intervenir dans sa banque. Les agences de notation ont abaissé à A+ la note de sa dette à long terme, rappelant que son portefeuille de titres illiquides d’origine américaine s’élève à 43 milliards d’euros et que son exposition en Russie ainsi qu’en Europe centrale et orientale, une zone où les défauts de payement s’accroissent de manière importante, représente 11% de ses actifs.

Mais c’est autre pan du système financier qui a retenu particulièrement l’attention du gouvernement ces derniers jours, celui du secteur de l’assurance-crédit. Un quart des entreprises fait en France appel à lui pour se couvrir contre les risques d’impayés de ses clients. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CGPME) s’est plainte ces derniers mois des remises en cause des garanties accordée par les assureurs-crédit, qui, selon elle, mettent en péril de nombreuses entreprises. Cela concernerait plus de la moitié de celles qui font appel à ce dispositif. Le gouvernement envisage de lancer un dispositif de « complément d’assurance-crédit public », qui apporterait une garantie publique aux risques non couverts par les assureurs-crédit. Ce qui représenterait une enveloppe de 5 milliards d’euros.

Christine Lagarde a commencé à infléchir son discours sur la reprise et déclare maintenant croire dans « une reprise graduelle ». Tout en reconnaissant, vu la nature de la crise, ne pas pouvoir faire de pronostic pour l’année prochaine.

La question est désormais de savoir si les gouvernements européens vont continuer à agir en ordre dispersé, comme cela semble devoir être le cas, si la Commission de Bruxelles va continuer à être aussi inexistante, ce qui est bien parti, et si la BCE va continuer à jouer au fleuret moucheté là où il faudrait une hache d’abordage. Rien ne permet pour l’instant de croire au contraire. Il restera alors à tout ce beau monde la possibilité de se retourner, outré, contre l’audace du FMI. Avant de rentrer la tête dans les épaules en attendant le choc inévitable.

Un pari a été fait, une spéculation de plus, sans doute une de trop, qui a consisté à vouloir croire que la reprise américaine interviendrait assez vite pour que la crise « glisse » sur l’Europe. Qu’il pourrait ainsi être fait l’économie d’un grand ménage, une fois réglées les situations les plus criantes, à coup de mécanos bancaire et d’interventions plus ou moins déguisées de l’Etat. Cela n’en prend pas le chemin, alors qu’il devient impossible de différer plus longtemps un sauvetage à grande échelle. Alors qu’est enclenchée une boucle interactive entre la crise financière et sa consœur économique, l’une alimentant l’autre.

La demande du FMI est que des stress tests soient organisés en Europe, mais régulièrement, afin qu’il ne soit pas possible, comme les Américains viennent de le faire, de balayer en mettant les actifs toxiques sous le tapis, afin de pouvoir proclamer un solde de tout compte après quelques ajustements. Celui-ci ne sera pas tenable, s’il se confirme que la crise du crédit hypothécaire va bientôt rebondir aux USA et que celles des cartes de crédit va s’y approfondir. Alors, dans une Europe déjà très atteinte, notamment par la situation en Grande-Bretagne, il serait nécessaire de prendre les devants. Nous en sommes loin.

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