L’actualité de la crise : Une crise toujours sans fonds, par François Leclerc

Billet invité.

UNE CRISE TOUJOURS SANS FONDS

Au fil des jours, les éclairages successifs que l’on recueille de cette crise concourent pour mettre en évidence que l’on n’en voit toujours pas le fond. Mais avant d’en énumérer quelques aspects, il peut être utile de planter le décor du nouvel acte qui s’annonce et de citer Paul Krugman. Estimant que deux ans seraient encore nécessaires afin d’en sortir, il a assorti ses nouveaux propos, qui pourraient apparaître optimistes, de considérations qui le sont nettement moins.

« Comment s’en sort-on (de la crise) ? La réponse technique est : Dieu seul le sait. Nous manquons terriblement de modèles », a-t-il en effet reconnu. Poursuivant : « Dans le passé, des pays pouvaient se redresser rapidement grâce à leurs exportations, mais à moins de trouver une autre planète pour y exporter, nous ne pouvons pas avoir un redressement économique porté par les exportations dans ce contexte de crise financière mondiale, ce qui signifie que nous sommes dans une situation grave ». Ni la consommation, ni les investissements des entreprises et dans l’immobilier ne vont non plus pouvoir tenir ce rôle, remarque-t-il. Son propos prenant toute sa saveur lorsqu’il explique : « Nous ne savons pas quelles mesures pourraient fonctionner, nous devons donc toutes les essayer ». Puis, lorsqu’il conclut : « D’une certaine façon, la manière dont nous avons agi pour éviter une complète répétition de la Grande dépression a eu un inconvénient : nous avons probablement sauvé l’économie trop tôt, avant qu’une volonté politique en faveur d’une réforme fondamentale ait été suffisamment forte pour susciter des changements. En d’autres termes, je crains bien que tout recommence dans un avenir pas très lointain ».

Faisons un rapide tour d’horizon. Il a dernièrement été relevé que si les méga-banques pouvaient se prévaloir de résultats financiers impressionnants, la situation du secteur bancaire américain était des plus disparate, les banques régionales tombant comme des mouches (72 à ce jour depuis le début de l’année). Standard and Poor’s, dans son dernier rapport sectoriel, vient de bousculer cette analyse, annonçant « des pressions persistantes dans le cycle du crédit » pour les grandes banques américaines, précisant que « les pertes associés aux non remboursements pourraient continuer de grimper au cours des prochains trimestres », chiffrant même en dizaines de milliards de dollars le montant des provisions à venir. De nombreux analystes continuent en effet de craindre l’explosion des taux de défaut dans deux secteurs très importants du crédit, celui des cartes ainsi que celui de l’immobilier commercial. Les résultats de la banque d’investissement vont-ils pouvoir, à ce compte-là, continuer à contrebalancer si facilement les déficits de la banque de crédit ? Laissons provisoirement le mot de la fin à ce sujet à Cesare de Novellis, analyste chez Meeschaert New York, qui remarquait dernièrement : « l’Administration Obama est partie avec l’idée de réformer le système financier, mais pour l’instant elle a seulement réussi à éponger les pertes des grandes banques »…

De New York à Tokyo et de Londres à Francfort et à Paris, les marchés boursiers ont retrouvé leurs niveaux de l’automne dernier, après la faillite en septembre de Lehman Brothers. Mais les professionnels ne chantent pas victoire pour autant. Christian Parisot, courtier chez Aurel, exprime la prudence dont font preuve nombre de ses collègues, en remarquant que « la reprise, c’est un vrai enclenchement de croissance qu’on n’a pas dans les statistiques. On va un peu vite, parce qu’il y a des signes encourageants, mais il reste la question de la consommation ». D’autres courtiers considèrent que ce que l’on va connaître l’année prochaine reste une totale inconnue, soit prolongement de la dynamique actuelle, soit brutal arrêt de celle-ci, en raison du renchérissement prévisible des cours des matières premières, de la baisse du dollar, de l’accroissement des déficits publics et, surtout, de la préoccupante bulle du marché boursier chinois qui continue d’enfler. Même la finance n’est pas assurée de son sort. Tout au plus, le scénario de l’effondrement du système est désormais écarté dans les milieux boursiers.

Si l’on en vient à la situation économique, la situation est dans certains secteurs clé souvent très difficile, lorsque l’on ne s’en tient plus à des indices généraux qui le masquent, ou bien à des anticipations qui reflètent plus des souhaits que des réalités. En voici deux exemples précis. Dans l’un des pays européens les plus touchés par la crise, l’Espagne, qu’en est-il de son fleuron, l’immobilier ? 997.000 logements vides, aux deux tiers achevés, étaient invendus fin 2008. Selon une étude de BBVA, le stock est désormais de 1,2 million d’unités (pour 46 millions d’habitants). Les promoteurs vendent, quand ils le peuvent, à prix coûtant pour arrêter de payer les intérêts aux banques. Il est prévu que les prix de l’immobilier baissent en moyenne de 30%, rendant comme aux Etats-Unis encore plus difficile la renégociation des emprunts bancaires par les particuliers, alors que le chômage a atteint des sommets. Second exemple : aux Etats-Unis, la « prime à la casse » favorisant l’achat d’une nouvelle voiture a connu un tel succès que le Sénat a du, dans l’urgence, voter deux milliards de dollars de crédit supplémentaires afin de poursuivre ce programme. L’industrie automobile en profite, l’indice de la consommation va en bénéficier au troisième trimestre. Mais les analystes expriment leur scepticisme sur les effets de cette mesure, en faveur de l’industrie automobile, car elle ne fait qu’accélérer le rythme des ventes qui auraient eu lieu de toute façon et sera sans lendemain.

Lorsque l’on considère non plus des secteurs mais des pays particulièrement atteints, le même constat préoccupant peut être opéré. Neuf grandes banques européennes ayant des filiales en Roumanie (des banques nationales précédemment rachetées), qui représentent 70% du marché bancaire du pays, viennent ainsi de prendre l’engagement de ne pas s’en désengager et de reconstituer leurs fonds propres, afin qu’ils atteignent 10% du montant des prêts qu’elles ont consenti. Cet engagement des banques a été la condition mise par le FMI, l’Union européenne, la Banque Mondiale et la BERD au déblocage de la seconde tranche d’un prêt conjoint de 20 milliards d’euros. On observe les montages financiers complexes qui doivent être mis sur pied pour éviter la faillite des Etats les plus faibles de l’Europe de l’Est, ainsi que les conséquences en chaîne que celle-ci aurait. Autre exemple mais à l’Ouest, celui de l’Irlande, dont il a été calculé que la bulle immobilière représente un tiers du PIB du pays. Le gouvernement irlandais vient de décider la création d’une bad bank, intitulée NAMA (National Asset Management Agency). Les fonds publics vont être mis à contribution pour acheter aux banques leurs actifs toxiques, et l’on attend avec un grand intérêt la valeur à laquelle ils vont être acquis, la décote qui va être décidée, puisque c’est sur cette question que tous les dispositifs de ce genre butent, à commenter par celui du PPIP (partenariat public-privé) du Trésor américain, désormais enterré. Selon Brian Lenihan, le ministre des finances irlandais, qui pour l’instant tourne autour du pot, la NAMA ne prendra pas comme référence « les prix immobiliers et les attentes de leur évolution sur lesquels étaient fondées les décisions d’octroyer les prêts ». Elle fixera « un prix raisonnable en tenant compte d’une perspective à plus long terme du marché immobilier ». Selon le Irish Times, qui commente ces propos, la décision finale sera « un acte d’équilibriste, afin de valoriser les prêts de manière réaliste, sans acculer pour autant les banques à des pertes telles qu’elles n’auraient d’autre choix que d’être nationalisées, une issue que le gouvernement est déterminé à éviter ». A suivre.

Pour poursuivre avec une histoire édifiante relative à la situation bancaire, au Royaume-Uni, on suit en attendant avec intérêt comment LBG (Lloyds Banking Group), nationalisée à hauteur de 43%, est à la manœuvre et cherche à tirer son épingle du jeu sans régler ses gigantesques problèmes. La banque a l’intention de lever sur le marché quelques 15 milliards de livres, afin de réduire sa participation au plan gouvernemental de protection contre les actifs toxiques. Il était en effet prévu que l’Etat allait monter sa couverture contre les pertes potentielles de la banque à hauteur de 90% de 260 milliards de livres de ces actifs, en échange d’une progression au capital, pour atteindre 60% de celui-ci (le mécanisme prévoyant qu’une franchise de 25 milliards de livres restait supportée par la banque). LBG cherche désormais à ce que la participation de l’Etat reste en dessous de la barre des 50%, en réduisant de moitié le montant des actifs devant être couverts par l’Etat grâce à une augmentation de ses fonds propres résultant d’une levée de capitaux privés. Le beurre et l’argent du beurre !

Dans ce contexte pour le moins contrasté et incertain, quel va être le moteur de la relance dont le retour nous est annoncé ? Il n’y a en réalité pas de réponse à cette question, les regards continuant de se tourner faute de mieux, et à tort, vers la Chine. Car c’est elle qui, seule ou presque, sort du rouge la croissance mondiale globale, affichant selon des statistiques à la fiabilité non démontrée des ventes de détail en hausse, des records de prêts bancaires qui sont par contre eux établis, ainsi qu’un marché boursier en plein spectaculaire emballement. De nombreuses voix s’élèvent de plus en plus pour mettre en garde ceux qui espèrent dans un nouveau miracle. Nouriel Roubini a résumé en une phrase lapidaire sa longue récente analyse: « La Chine ne peut pas être la locomotive de la croissance mondiale ». Car, quand bien même le gouvernement chinois parviendrait-il à accroître très rapidement la consommation intérieure, ce qui reste à voir, le grand gagnant en serait la Chine elle-même, car les biens de consommation ne représentent que 12,5% des importations du pays. Ce sont pour l’essentiel les pays d’Amérique latine, ainsi que l’Australie, qui en profiteraient, selon les économistes familiers avec la situation économique chinoise, ces pays étant exportateurs de ressources brutes vers la Chine. Mais, pire encore, les fonds gouvernementaux du plan de relance, ainsi que les prêts accordés par les banques, servent en fait surtout à stimuler le marché boursier et à nourrir le marché immobilier, plutôt que de soutenir l’économie réelle. D’inquiétantes bulles sont en train de se créer, montrant que les élèves capitalistes chinois ont appris la leçon de leurs maîtres américains, et que, peut-être, ils sont même en train de les dépasser. De nombreux éléments existent en effet, qui montrent que non seulement la croissance chinoise n’est pas le remède attendu, mais qu’elle porte en elle les germes d’une crise financière et économique de plus.

A qui ou à quoi se vouer, dans ces conditions ? Leszek Balcerowicz, le gourou polonais de l’économie de marché, persiste et signe. Il préconise un « conservatisme budgétaire », venant de déclarer à l’AFP que seules des coupes drastiques dans les dépenses publiques permettront de sortir de la crise. « Si vous choisissez la stratégie politiquement plus difficile consistant à accélérer les réformes de l’Etat providence, alors vous avez une chance d’éviter un ralentissement ». Poursuivant sur sa lancée, « Il y a une idée largement répandue selon laquelle la raison de la crise actuelle provient du libre marché, je pense que cela est dans l’ensemble faux ». Comme il est réconfortant d’entendre ceux qui conservent dans cette crise leurs certitudes, envers et contre tout !

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