LA TRANSMISSION DU SAVOIR A CHANGÉ DE NATURE, par Nicolas Lapétina

Billet invité. La confrontation immédiate du savoir transmis par l’enseignant à celui présent sur l’internet, modifie-t-elle radicalement la nature de l’enseignement ?

Dans cette période de turbulence stratosphérique, il serait bon de se pencher sur l’Après. Tant il est de plus en plus évident, hormis pour nos édiles et Alain Minc, que le vent du boulet va en décoiffer plus d’un.

Une fois avérée la fin du système dans lequel nous évoluons, ou plus précisément nous claudiquons depuis déjà trop longtemps, il conviendra de se pencher sur une refonte générale de la société et pas seulement sur le plan monétaire. Oui, il y a bien plus que le système financier à réformer.

Enseignant vacataire à l’Université Montpellier II, il m’est donné depuis maintenant 8 années, outre le principe d’enseigner, d’observer et d’échanger avec une population étudiante en profonde mutation.

Mes étudiants ne sont plus ce qu’ils étaient. Point de nostalgie, juste un constat.

Je ne peux m’empêcher à l’instant où j’écris ces lignes, de faire référence au récent discours que déclama Michel Serres sous la coupole à propos des « nouveaux défis de l’éducation ».  « Ils n’ont plus la même tête » nous dit l’Académicien éclairé.

Force est de constater que nous, enseignants, n’avons plus la même résonance. Car de fait, le monopole de l’information ne nous appartient plus. L’information est partout, elle s’immisce dans le moindre ordinateur portable, s’embarque sur nos téléphones cellulaires. Et via Internet, se consulte, se vérifie dans l’immédiateté.

Il y a 8 ans, il y avait tout au plus 10% des étudiants qui prenaient leurs notes de cours sur un ordinateur portable. Aujourd’hui, cette proportion s’est implacablement amplifiée. Celui ou celle qui use encore de son stylo pour « prendre le cours » fait office de résistant, tel Le Dernier des Mohicans.

Non seulement, tout s’apprend, tout se consulte, sans nous. Mais bien plus important, tout se vérifie sans nous. Je parlais tout à l’heure d’immédiateté. La vraie révolution est là.

Si Internet n’a pas aboli l’espace, il lui confère une autre dimension. Le contenant est en open source, le contenu aussi. Et donc, un nouveau contenu se fait jour, plus riche, plus dense, fort de nouvelles interprétations.

Combien de fois ai-je vu des étudiants derrière leurs claviers, tout en m’écoutant, tout en saisissant le cours, ouvrir la fenêtre Google afin de constater par eux-mêmes si ce que je proclamais, était vrai, tout simplement. Alors quel rôle peut tenir un enseignant dans cette profusion d’informations ?

Celui de facilitateur d’accession à l’information. Ce sera plus sage, et plus modeste. Et là, le vrai travail commence, celui de direction et de redirection. Accompagner l’étudiant dans ce dédale, en s’adossant à nos propres expériences, celles que nous confère l’âge. Il y a des sujets sur lesquels nous n’avons – nous les profs – plus la main. J’ai personnellement renoncé à faire cours sur : L’Internet.

Je suis né en 1964. Ils sont nés pour la plupart entre 1991 et 1993. Presque vingt ans nous séparent. Pour ma grand-mère c’était déjà beaucoup, pour eux c’est colossal.

Si Internet fut pour moi, un chambardement, pour eux l’outil s’inscrit dans une logique d’ores et déjà banalisée. Ils le connaissent mieux que moi, le manipulent plus aisément que moi, et ils osent s’impatienter toujours et encore de la relative lenteur du système. Ils sont nés avec. Notre modestie dût-elle en souffrir, il faudra bien s’y faire.

Nous ne devons plus nous imposer comme ceux qui savent, les seuls qui savent. Mais bel et bien comme ceux avec qui l’on peut, avec qui l’on doit échanger. Pour que chacun d’entre nous grandisse à l’autre.

Je suis pour sûr, le seul professeur de mon département et peut être de toute la Faculté à faire noter de façon anonyme mes modules de cours par les étudiants en fin de session, et ce depuis 8 ans. Aucun de mes collègues ne m’a jamais emboîté le pas. La confrontation n’est certes pas une sinécure. Le refus par l’absence, d’une confrontation constructive, est une lâcheté.

Il faudra à certains enseignants une sacrée dose d’abnégation pour faire le chemin. Beaucoup n’y sont ni prêts, ni préparés. Qu’importe, c’est dans la nécessité évolutive que s’inscrira le changement ; comme toujours, et c’est commun à toutes les espèces. Et le pré-carré de l’enseignement, tout comme le monde de la finance n’y échappera pas.

Partager :

119 réponses à “LA TRANSMISSION DU SAVOIR A CHANGÉ DE NATURE, par Nicolas Lapétina”

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. Vincent Hugeux, je me souviens qu’il m’était parfois sympatique quand je regardais Rochebin & co. On pourrait le prendre à…

  2. En fait, je n’arrive plus à écouter une radio main stream. Souvent moins de dix secondes avant que quelque chose…

  3. Oui, Mais on assisté à un petit tournant hier, Gaza plus comme sujet en passant, mais à part entière, après…

  4. Arkao Vous pouvez y aller, il fait trop chaud pour s’engueuler! 😊 Si le réchauffement climatique est un complot contre-intuitif…

  5. Quelle est la température actuelle en Europe ? Une grenouille, même sans canadienne et sans béret, nous dirait peut être…

  6. La Dati est la honte des classes populaires et des quartiers du même nom. Directement issue de la mafia du…

  7. Que Sartre et Beauvoir n’aient pas été parfaits durant cette période n’éxonère pas automatiquement ceux qui n’ont pas essayé de…

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx LLM pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés Singularité spéculation Thomas Piketty Ukraine Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta