L’actualité de la crise : BEAU COMME UN CAMION… À LA CASSE ! par François Leclerc

Billet invité

Ils sont provisoirement sauvés ! Les dirigeants politiques européens ont trouvé un nouveau thème pour leurs prochains discours : « la crise n’est pas terminée, mais une page est tournée ! ». Confirmé dans ses fonctions de président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy a donné le « la » en déclarant au lendemain du sommet européen : « Je ne dis pas qu’on est sorti de l’ornière, mais il y a un tournant dans la crise ».

À peine tempéré par une élémentaire prudence, ce soupir de soulagement s’appuie d’abord sur la constatation que le sommet ne s’est pour une fois pas tenu au coeur d’une crise et dans l’improvisation ! Il repose ensuite sur trois convictions : la crise grecque est désormais cantonnée, un pare-feu efficace va être prochainement disponible, et la BCE a repoussé le spectre d’une crise bancaire tout en soulageant le marché obligataire. Le risque de l’éclatement de la zone euro est désormais écarté, en est-il tiré comme conséquence.

L’adoption de ce nouveau langage vient à point nommé pour aider à enfoncer un nouveau clou, comme a commencé à le faire Angela Merkel en déclarant que venait d’être franchi « un pas très important vers une Union de stabilité », préparant selon elle le terrain à la réalisation de nouveaux éléments d’« Union politique ». Une suite naturelle à l’adoption du nouveau pacte budgétaire renforcé et au renouveau de la confiance qui devrait en résulter.

Curieusement, pas un mot n’a été prononcé à propos de l’Espagne, à l’exception des dures paroles destinées à Mariano Rajoy, comme si l’on tentait de faire de sa quasi-rébellion un non-événement. Pourtant, à peine l’adoption des nouvelles règles budgétaires communes avait-elle été engagée qu’un pays y circonvenait, qui plus est dirigé par la droite libérale !

Tentons de partager les pensées des dirigeants européens. En cherchant à minimiser l’affaire, ils doivent se dire qu’il sera prochainement possible de soustraire le pays aux tensions du marché obligataire grâce au pare-feu qu’ils bâtissent, si un raidissement devait intervenir en dépit de nouveaux achats des titres de dette espagnols par des banques abondamment financées par la BCE. Et qu’il va également être possible de reculer le moment où l’Irlande et le Portugal vont devoir se représenter sur le marché, en puisant dans les mêmes ressources afin de leur accorder des prolongations, une fois les dispositifs ad hoc opérationnels. Car il ne faut pas l’oublier : la détente sur les marchés obligataires n’a que partiellement fait baisser la tension et les taux restent très élevés, pour ne pas parler de ceux du Portugal, qui sont inabordables. C’est valable également pour l’Espagne et l’Italie, dont le refinancement de leur dette sur le marché reste très coûteux.

Que faut-il en penser ? Après avoir traversé une crise aiguë à répétition, l’Europe va dans le meilleur des cas s’installer très inconfortablement dans une situation similaire à celle que les Etats-Unis connaissent aujourd’hui, la récession en plus. Puissamment soutenue par leur banque centrale, et en ce qui concerne le vieux continent, par un dispositif à vocation internationale de mutualisation de sa dette publique. Les uns et les autres vont devoir affronter la double tâche contradictoire de réduire leur déficit et leur dette tout en cherchant à relancer la machine économique, ne pouvant pas trouver chez les Japonais le moindre exemple réconfortant, tout au contraire. Le tout sous le poids d’un chômage massif, se développant au fur et mesure que l’austérité régnera et la récession s’affirmera, dans le contexte d’une crise sociale profonde, plus ou moins menaçante suivant les pays et les moments.

C’est devant celle-ci que Mariano Rajoy a préféré reculer, pour tenter de contenir son débordement. C’est elle que Mario Monti tente d’éviter en cherchant également des marges de manœuvre. La crise sociale devient progressivement une composante redoutée d’une crise devenue globale.

Du temps a été gagné, aux inévitables accidents de parcours près qui s’annoncent, mais rien n’est réglé. Le désendettement va rester chaotique, que se soit celui des États ou celui du système bancaire. Ceux qui préconisaient à l’intention des premiers une épreuve brutale, et espéraient-ils de courte durée, vont en être pour leurs frais. Une forte incitation est donnée à revoir cette stratégie et à en adopter une variante moins précipitée À ceci près que les banques vont devoir dans trois ans rembourser la BCE et que le temps est donc compté.

Comme les États, elles vont avoir désormais la tentation d’obtenir des assouplissements, pour elles, aux règles de renforcement de leurs fonds propres et de leurs liquidités. Elles sont vent debout contre les mesures de régulation made in USA, car elles mettent en cause le concept de banque universelle qui est leur modèle. Si elles ne pouvaient pas rembourser leurs emprunts, elles s’installeraient dans cette assistance qui est de plus en plus chichement comptée quand elle est destinée à des salariés, que l’on tance de produire des efforts supplémentaires pour ne même pas mériter le maintien de leur sort.

La nécessité de poursuivre la restructuration de la dette publique va être aussi un des facteurs de déstabilisation. Car il est illusoire de penser que les réformes libérales qui sont préconisées – et qui ne font d’ailleurs pas l’unanimité, car les réactions qu’elles pourraient susciter sont redoutées – vont contribuer à la relance et permettre aux États de dégager des marges de manoeuvre fiscales. Tout ceci va à nouveau buter sur l’obstacle d’un endettement qui a été trop creusé.

La question qui se pose, alors et dès à présent, est toute simple : sommes-nous oui ou non entrés dans une nouvelle période du capitalisme financier, caractérisée par une très faible croissance, ou même une récession de longue durée, un accroissement des inégalités sociales et de la tiers-mondisation des sociétés occidentales ? Seule, pourrait-il sembler, la dynamique même de la crise financière et de ses rebonds imprévus serait susceptible de précipiter les évènements, si la révolte sociale ne trouvait pas de débouché politique permettant de sortir du cadre. Or cette dynamique s’est révélée très puissante.

Il est donc prématuré de se précipiter pour conclure. Non seulement parce que Mario Draghi et Angela Merkel ont eux-mêmes tempéré l’optimisme de certaines déclarations de fin du dernier sommet – certes afin de mieux réaffirmer la nécessité de réaliser des réformes libérales et de poursuivre le désendettement public – mais parce qu’il ne faut pas garder les yeux rivés sur l’Europe. Les États-Unis vont prendre le relais à propos du désendettement public, et la Chine est en passe de revoir ses prévisions de croissance, dont il était tant attendu pour tirer celle de l’Occident. On retrouve à l’échelle planétaire l’effet de ciseaux rencontré en Europe entre les impératifs contradictoires du désendettement et du retour à la croissance qui seule le permettra. La crise va redevenir ce qu’elle était, mondiale, et tous ses imprévus se combiner.

Enfin, ses leçons n’ont pas été tirées et l’on s’en préoccupe peu, les bonnes intentions réformatrices du début sont oubliées sous la pression de l’industrie financière et de ses relais. On attend toujours de celle-là même qui a été à l’origine de la catastrophe de la dépasser : quelle créativité ! quelle audace !

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