Billet invité
Leur cause est entendue : en dépit des finasseries de la BCE, les banques centrales occidentales sont les financiers de dernier ressort des banques et des États. Mais elles ne le sont pas de l’économie, là s’arrête leurs grands pouvoirs ! C’est donc là que les problèmes subsistent.
La BCE a injecté 1.000 milliards d’euros dans le circuit bancaire, en espérant entre autres buts favoriser la relance. Toute la question est de savoir si elle y parviendra mieux que ses consœurs, son président n’ayant pu se prévaloir d’un tel succès lors de sa conférence de presse d’aujourd’hui, devant selon ses propres termes se contenter d’une modeste amélioration du crédit à la suite de sa première injection de décembre dernier. La Banque d’Angleterre a de son côté remis au pot 50 milliards de livres (59 milliards d’euros) le mois dernier en achetant des titres de la dette britannique, tout en relevant l’enveloppe de son programme destiné à cet usage à 325 milliards de livres (387 milliards d’euros). Avec les mêmes intentions, les injections financières précédentes n’ayant pas produit l’effet recherché.
La prochaine réunion de la Fed aura lieu le 13 mars prochain, sans qu’il soit prévu qu’elle passe à l’acte dans l’immédiat comme ses consœurs. Elle a cependant fait part de ses réflexions sur une nouvelle méthode qu’elle pourrait utiliser pour procéder à des achats de titres du Trésor et de la dette hypothécaire à long terme, en les liant à des emprunts effectués sur le marché pour des montants similaires à bas taux et à court terme. Permettant ainsi de « stériliser » ses injections monétaires et de répondre aux inquiétudes des milieux d’affaires qui craignent la relance de l’inflation.
La Fed a par ailleurs décidé de donner de la visibilité à sa politique « hautement accommodante » de taux (le taux directeur principal oscille entre 0 et 0,25 % depuis plus de trois ans) en annonçant qu’elle va durer jusqu’à 2014 au moins, afin que l’économie ne s’approche pas dangereusement de la déflation. Car cela signifierait que les États-Unis sont entrés dans la fameuse trappe dont on ne sait pas sortir. Sombre perspective qui n’est plus théorique depuis que le Japon l’illustre avec persévérance. Le comité de politique monétaire a en effet revu à la baisse ses prévisions de croissance pour les deux années à venir, et considère désormais que les prévisions de la reprise sont « modérées ». Sur un ton qui l’est tout autant d’optimisme.
Au Japon, la Banque centrale se trouve placée devant la perspective de financer, directement ou via les banques, une large part du déficit budgétaire 2012, qui ne va être qu’à moitié couvert par l’impôt et les taxes. Cela représente au total plus de 400 milliards d’euros, dans un pays où la dette publique dépasse déjà 200 %. Mais il est à remarquer, pour montrer toute l’étendue de la logique dans laquelle ce pays se trouve, que le service de sa dette (qui représente le paiement des échéances en capital plus les intérêts) absorbera le quart de son budget, soit la moitié de son déficit. Cela sans parvenir à faire sortir le Japon de la trappe à liquidité au bord de laquelle l’Europe se trouve.
Comme on peut partout le constater, la croissance économique est mal partie et ce n’est pas propre à l’Europe. Les difficultés propres à sa relance s’accumulent dans un contexte où l’endettement public semble avoir atteint ses limites. Sans conteste aux États-Unis, prochainement au Japon et moins clairement en Europe, si l’on fait la part de ce qui résulte de choix politiques.
Comme il est également loisible de le remarquer, l’implication en première ligne des banques centrales n’est pas un remède éprouvé. Les magiciens ayant vidé leur sac à malices et ne pouvant que jouer et rejouer les mêmes tours, l’économie des pays avancés est globalement encalminée. Les Japonais se sont essayés, lors d’un épisode précédent, à lancer une politique de grands travaux, comme vont l’être ceux de leur reconstruction. Mais ils ne croient plus, pour en avoir fait l’expérience, que cela va les sauver. Ils sont placés devant la perspective d’une hausse importante de la TVA, dans un pays où elle est faible, ce qui est un remède à double tranchant dont il n’est pas sur que les recettes fiscales de l’État en sortiront grandement augmentées, si la consommation intérieure continue de baisser.
Dans un contexte différent de celui que connaissent les Européens, les Japonais sont de même incités à adopter des mesures en contradiction avec les dispositions contracycliques qui s’imposeraient. Car, apprend-on dans les manuels, les périodes fastes devraient être mises à profit pour réaliser les efforts budgétaires et non pas le contraire. Une leçon qui a été oubliée au profit de l’adoption du dogme qui fait de tout temps et en toutes circonstances une priorité absolue de la réduction de la dette, et qui prétend même faire inscrire dans la constitution une « règle d’or », aboutissant de fait à donner aux marchés un pouvoir supplémentaire, retirant par là-même aux États la maîtrise de leur politique économique. Ce n’est plus un paradoxe, c’est une forfaiture !
Mario Draghi, le président de la BCE, vient d’annoncer des prévisions de croissance en baisse pour l’Europe, admettant une récession qui ne l’était pas précédemment. Voyant dans la situation économique « des signes de stabilisation », bien qu’elle soit « toujours sujette à des risques de baisse ». Les anglophones disent avoir acheté du temps et les francophones l’avoir gagné, les premiers sont plus prêts de la vérité, vu le contexte.
Il ne suffit pas de faire fonctionner la planche à billet ou de chercher la croissance avec les dents pour trouver une croissance insaisissable et qui doit être repensée. Le nouveau désordre mondial a-t-il une autre promesse possible à offrir que d’accroître la répartition inégale de la richesse, tel qu’il s’obstine à imposer ses recettes ?
91 réponses à “L’actualité de la crise : LA PROMESSE DU NOUVEAU DÉSORDRE MONDIAL, par François Leclerc”