Billet invité
Le score du Front national est une « tache indélébile sur les valeurs de notre démocratie, une menace pour notre République », a affirmé Eva Joly lors de sa déclaration d’hier soir, poursuivant ainsi : « Je voudrais dire à celles et ceux qui se sont laissés abuser par le Front National qu’ils se trompent de colère ». Son analyse est un bon point de départ pour comprendre le vote qui a été enregistré.
Ce score est fait – mise à part la contribution des troupes historiques de l’extrême-droite – d’un mélange de rejet, de sentiment d’abandon, de perte d’identité qui trouvent refuge dans les valeurs de toujours de la droite nationaliste qui tend ses bras pour l’accueillir en déployant ses artifices manipulateurs et sa démagogie.
À l’arrivée, près d’un cinquième du corps électoral s’étant exprimé se reconnait dans la condamnation de la mondialisation et pourquoi pas du capitalisme financier, dans l’expression du chauvinisme et du racisme. Seule nouveauté sous forme d’adaptation aux circonstances, l’accent mis sur une dénonciation de la finance, qui a toujours été au menu de l’extrême-droite mais qui est remise à profit.
Lorsqu’une telle proportion de l’électorat manifeste ainsi qu’elle est à l’abandon et qu’elle cherche un refuge, la responsabilité n’est pas seulement à trouver chez les manipulateurs qui en profitent mais aussi chez ceux qui sont ainsi rejetés après avoir été placés dans un même sac. Ils doivent reconnaître qu’ils n’apportent pas de réponse aux angoisses sociales qui se cristallisent sur le pire des terrains politiques, qu’ils ne savent pas se faire entendre parce qu’ils ne savent pas parler aux laissés pour compte de la crise.
La référence à la France d’en-bas n’est pourtant pas nouvelle, ainsi qu’à la précarisation d’une partie grandissante de la société, une coupure s’installant progressivement avec celle d’en-haut. Sans que ceux qui sont du bon côté de la vitrine – et qui pour certains craignent de ne pas y rester longtemps – contemplent ce qu’ils préfèrent ignorer. Si une raison doit être recherchée à l’angoisse collective que l’on sent roder et qui s’exprime de mille façons, il n’y en a pas d’autre à trouver que la peur du déclassement, car l’ascenseur social ne marche plus qu’à la descente.
La colère, quand elle s’exprime, emprunte les voies qu’elle peut trouver. Alimentée par les désillusions du passé. Les mêmes qui devraient s’interroger en constatant qu’ils ne sont pas entendus peuvent également se dire qu’ils héritent de leur propre passé et s’inscrivent dans sa continuité. Que pèse la promesse du changement devant le poids de celui-ci ?
Le « droit d’inventaire » qui avait été réclamé par Lionel Jospin n’a pas été exercé. Si François Hollande est élu dans quinze jours, un soupir de soulagement sera malgré tout poussé, mais aucun élan ne l’accompagnera. Quant à ceux qui en ont impulsé un à sa gauche, leur responsabilité est d’apporter une réponse autre que déclamatoire et de ne pas se réfugier sous un drapeau cocardier.
269 réponses à “LA COLÈRE EMPRUNTE LES VOIES QU’ELLE PEUT TROUVER, par François Leclerc”