« LA FAUTE À BRUXELLES », par Steve

Billet invité

C’est à qui le joli dessin là ? Moi ! M’dame ! Moi !
Et la vilaine pelure là ? C’est Bruxelles M’dame ! C’est Bruxelles !

Les élections en cours mettent en évidence un profond rejet de la construction européenne, telle qu’elle est, pour de nombreux Français. L’Europe qui fut longtemps présentée a minima comme LA solution aux conflits séculaires entre Européens qui débouchaient régulièrement sur des massacres et causaient la ruine de nos  tribus – pardon des Nations –  devient une bonne candidate pour remplacer la peste et le choléra dans l’imaginaire calamiteux collectif !

Que l’on discute avec un consommateur, un artisan, un agriculteur, un éleveur ou un petit industriel, « lafauteàBruxelles » est un des termes qui apparait le plus vite dans la litanie des afflictions qui nous gâchent la vie en général ! Et force est de constater que je ne suis hélas pas exempt de cette facilité !

« Bruxelles » ! Commence par un  B comme Belzébuth ! Baal-Zebub en version originale. D’ailleurs, diront les conspirationnistes, ce n’est certainement pas un hasard si l’initiale du nom de ce méta-pouvoir qui nous harasse est la même que celle du Seigneur des Mouches étant donné que la plupart des normes qui nous font ch… si vous voulez mon avis mon cher Monsieur, semblent bien élaborées par et pour le plaisir des  enc… des dites mouches !

Voilà à peu près où nous en sommes dans l’esprit de pas mal de gens ! Et cela devient un vrai filon pour certains ! (Si on y ajoute les Ploutocrates, ou les Cosmopolites, les Capitalistes, les Hedge Funds, nous ne sommes plus loin des dix plaies d’Égypte…) Comme c’est commode ces exutoires !

Il faut tout de même le dire « LafauteàBruxelles » « Lesmarchés » « Lafinance » sont de fort belles marottes pour bien des tartuffes qui, lorsque l’on regarde d’un peu trop près leurs agissements, les agitent frénétiquement devant nos nez afin de nous détourner de leurs  responsabilités !

Comment peut on oublier que « Bruxelles », réellement, consiste en un ensemble d’administrations faisant travailler des gens intelligents et compétents de tous les pays d’Europe, neutres par statut, aux fins de nous permettre de vivre ensemble sans trop de heurts en notre péninsule eurasiatique et obéissant aux ordres des chefs des 27 tribus d’Europe !

Il n’est pas une directive européenne, pas une norme, qui ne soit édictée sans l’accord de nos gouvernants et des parlements ! Que ces décisions intéressant l’avenir de 450 millions de personnes en gênent quelques-unes, c’est assez inévitable. Que certaines soient le fruit de compromis parfois boiteux des administrations entre elles et/ou représentants de différentes tribus ou groupes d’intérêts économiques, c’est certain.

Qu’il y ait des cas de corruption étant donné l’importance des enjeux c’est aussi probable : comme je l’ai déjà dit, il est devenu plus efficace et moins coûteux, pour faire vendre un produit, de créer une obligation légale ou règlementaire à l’achat que de financer une gigantesque campagne publicitaire aux résultats incertains et éphémères !

Il est aussi vrai qu’une norme ISO9000 ou autre garantit une qualité de produit au consommateur et aussi une qualité de travail aux ouvriers ! Pour avoir travaillé à la chaîne, il y a longtemps, dans un atelier de presses dans un vieux bâtiment en briques, je ne puis que m’en réjouir ! Personne ne va se plaindre de ces efforts accomplis pour les biens industriels.

Mais il en va autrement, du moins en ce qui concerne la France, pour tous les biens ayant une connotation culturelle – notamment tous les produits alimentaires. Il est vrai qu’un fromage industriel, même fabriqué selon la norme la plus exigeante, n’aura pas le même goût qu’un fromage fermier ! Et que le jeune diplômé de Sciences Po, issu d’une famille de cadres, fraîchement nommé « à Bruxelles » à l’agro-alimentaire n’aura que peu de compétences pratiques en  matière de cave et  d’affinage, ce qui fera sans doute que le fermier soumis à sa directive sera persuadé d’être victime d’un crétin …

Il est aussi vrai que la mise en application de ces directives et normes rend le travail impossible à certains, soit parce que l’investissement nécessaire à la conformité « normesque » est trop lourd, ou plombe la rentabilité, ou fait disparaître le produit ou rend la tâche administrative insupportable – par exemple, un agriculteur moyen passe désormais environ la moitié de son temps de travail à remplir des formulaires  adressé à diverses administrations…

S’il y a progrès, il y a bien aussi destruction de valeur induite par l’avalanche de directives et normes ! Par exemple : la « madeleine de Proust » fabriquée artisanalement à Illiers-Combray a une valeur objective, qui peut être énoncée en langage chimique et économique mais aussi une valeur subjective liant et l’esprit singulier de notre langue et les gestes traditionnels élaborés par des générations de pâtissiers : cette madeleine ne peut en aucun cas être  remplacée par une madeleine industrielle ISO9009 CEE !

Car elle participe de notre « identité narrative » de Français. Cette identité narrative qui nous constitue comprend les gestes des métiers qui nous entourent ; qu’un avionneur se déplace n’a pas le même impact sur le « tissu » de nos  jours que la fermeture à jamais de la  boulangerie, de  la poste ou de  l’école communale !

Détruire cette identité narrative, c’est, si l’on se réfère à « Bâtir, habiter, penser » de Heidegger, rendre notre monde littéralement inhabitable, détruire ce mode d’être au monde qui nous est spécifique et que toutes les générations qui nous ont précédé ont lentement élaboré.

Lorsque l’ouvrier Chaplin au début des Temps Modernes s’applique avec peine à suivre le rythme de la chaîne sur laquelle il travaille, il y arrive parce qu’il participe d’une culture ! Lorsque sa culture est détruite symboliquement par la machine à manger détraquée qu’on le force à expérimenter pour améliorer sa productivité, il perd, de ce fait, tous ses repères spatiaux et temporels et alors ne peut plus s’adapter au nouveau monde dans lequel on le force : il retourne à la barbarie, aux pulsions primitives comme le montre la scène où il signifie le rut de l’âne…

Pour une partie de nos concitoyens, il se pourrait que nous en arrivions là ! Nous connaissons désormais ce que vivent certains peuples des forêts, certains aborigènes déracinés, jetés en des bidonvilles et saoulés pour oublier !

Et pourtant, si l’on interrogeait chacun des agents de « Bruxelles » il nierait farouchement, avec raison, que tel soit leur objectif : ils ne font qu’appliquer la politique décidée par les gouvernants !

Il faut aussi bien comprendre que pour certains Européens, le problème n’est pas « Bruxelles » mais la dictature exercée par le couple franco-allemand qui décide de tout ! Merkozy ou bientôt peut-être Horkel, voilà  leur  problème !

Que nos gouvernants, qui entérinent toutes les décisions de l’entité « Bruxelles » après les avoir suscitées, rappelons-le encore et encore, se défaussent ainsi de leur responsabilités et de leurs devoirs envers les plus vulnérables au changement est d’une indignité sans nom.

Il ne serait pourtant pas impossible de créer un statut de « trésor national vivant » pour certains métiers forgés depuis des siècles, à l’instar des Japonais, et de les classer ainsi parmi les éléments identitaires fondamentaux de la France.

Mais il y a une idolâtrie de la technique qui aveugle nos élites : productif, efficace, rentable sont des adjectifs pouvant justement s’appliquer à des machines, à des appareils, à des processus industriels mais en aucun cas à des êtres humains. Un tel point de vue mécaniste et financier sur l’humain contient en filigrane la notion de déclassé si non conforme  et donc  de rebut.  Et c’est là  le premier pas, le plus important, sur le chemin du crime contre l’humanité.

Alors, Auschwitz ne serait pas une des pages les plus noires du passé de notre société industrielle occidentale mais le sacrifice premier, fondateur selon René Girard, d’une société criminelle, terrifiante, cruelle et impitoyable à venir dont la pérennité serait assurée par les drones, les nanotechnologies et les écoutes totalitaires de la N.S.A.

Les responsables ne sont pas à Bruxelles, ils ne sont pas seulement parmi nous mais aussi en nous, en chacun de nous dans la mesure où nous élisons les représentants qui auront à décider des politiques menées.

Je m’aperçois ici que ce billet qui au départ voulait attirer l’attention sur un faux problème de régulations est intimement lié à la notion d’identité qui a tellement ravagé le débat en France ces dernières années…

Ceux qui, comme moi, ont eu le bonheur d’écouter la dernière émission de Jean-Claude Ameisen, « Sur les Épaules de Darwin » (France Inter tous les samedis à 11h), consacrée à l’émergence du processus démocratique par débat contradictoire et décision majoritaire chez les abeilles à miel l’ont trouvée fort à propos. On peut partir de cet exemple pour penser un peu plus le processus identitaire car au milieu de ces débats, les abeilles ont une reine qui n’intervient pas. Son seul rôle est de pondre de futures abeilles porteuses de la culture de la ruche, porteuse du même ADN…

En quelque sorte sa seule charge est de maintenir l’identité de la ruche tandis que toute la population s’adapte aux changements. Si elle meurt, la ruche meurt ! Si les prémices d’un processus démocratique dans une société d’abeilles peuvent nous dire quelque chose de notre propre société, que pourrait bien nous dire la reine des abeilles ? Une reine et un environnement floral aux alentours nous mènent tout droit à la reine d’Angleterre avec ses chapeaux en forme de jardin kitsch ! Honni soit qui mal y pense…

Ayant terminé mes études en Angleterre, j’ai mis du temps à comprendre le rapport des Britanniques à leur souveraine et en fait j’ai compris après bien des discussions que tout ce que les Britanniques attendent d’elle, c’est qu’elle soit et demeure objectivement anglaise au premier coup d’œil, comme les bus ou les pubs ! Sa très gracieuse majesté britannique a en fait comme seul mais indispensable rôle d’être un « ancrage » culturel, une « prise » au sens montagnard du terme, permettant ainsi à chacun de ses sujets de vaquer à ses affaires en s’adaptant au changement sans trop de problèmes : au moindre doute, il leur suffit de lever les yeux vers Buckingham pour vérifier que leur reine est bien anglaise et toujours là, qu’il neige ou qu’il vente des normes ou des directives émanant des Kraut ou des Froggies pour être sûrs d’être là, chez eux, bien en Angleterre ! Alors l’avenir n’inspire pas de peur insurmontable !

En adoptant dès son élection une attitude de parvenu américain, Nicolas Sarkozy n’a ni compris ni su incarner « l’éternel français » comme ont su le faire ses prédécesseurs, chacun à leur manière. Et lorsqu’il a fallu adopter des mesures assez étrangères dans leur conception à la culture de notre pays, ni lui ni aucun homme politique n’a pu procurer à nos concitoyens les « ancrages » culturels nécessaires pour amortir les effets du changement. Pour rassurer et accompagner les plus inquiets de voir leur monde ancien, constitutif de leur identité,  disparaître. C’est peut être là la faute majeure de Nicolas Sarkozy qui lui vaut d’être si rejeté !

Mais cela est difficile à concevoir, encore plus à formuler ! Alors accuser une entité « Bruxelles » ainsi fantasmée, chimérique, d’être responsable de notre diminution devient une facilité presque inévitable, confortable pour les exploiteurs, mais trompeuse et létale à terme !

Pour notre survie, nous devons désormais refuser absolument à nos politiciens, comme à nous-mêmes, de cacher  lâchetés, erreurs et combines à subventions derrière « Bruxelles » ! Et que notre prochain président incarne dans tous ses faits gestes et paroles notre « identité narrative » en progrès vivante et vivace.

Oui M’dame !

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