Billet invité.
Annoncé au doigt mouillé comme allant durer quarante ans et nécessiter la résolution de problèmes jamais rencontrés, le démantèlement de la centrale de Fukushima n’est pas seulement un défi à l’imagination dont on se serait bien passé, il est aussi un pari contraint sur la capacité de son opérateur à les résoudre, comme l’industrie électro-nucléaire en est coutumière. Vu la durée de vie de certains déchets longue durée de l’exploitation des centrales, cela laisse effectivement du temps pour leur trouver un stockage définitif ! L’électronucléaire, avons-nous déjà remarqué, n’est pas à notre échelle de nombreux points de vue, et c’est bien là le problème.
Alors qu’une chape que l’on voudrait de plomb continue de peser sur la question la plus épineuse – celle des trois coriums, de leur localisation et de comment s’en débarrasser – les préparatifs du démantèlement de la centrale donnent une idée de l’immensité des tâches à régler. D’ores et déjà, cela suggère qu’il ne pourra pas être conduit à son terme – rendre un terrain vierge de toute contamination – et qu’une solution de type sarcophage de Tchernobyl devra être à un moment donné adoptée, en plus pharaonique encore. Difficile de le reconnaître au moment même où le gouvernement tente de rendre crédible une autre tâche herculéenne : la décontamination d’immenses étendues autour de la centrale, prélude au retour d’une partie des habitants évacués. Avec comme problème non résolu le stockage des masses de terre et de végétaux contaminés, dont personne ne veut dans sa proximité.
Toutefois, il sera impossible de s’y engager tant que le refroidissement des réacteurs et piscines sera indispensable au maintien de l’ »arrêt à froid » officiel. En théorie, celui-ci ne prévoit d’ailleurs pas la présence de coriums que l’on préfère taire : Fukushima est sous soins palliatifs qui ne peuvent même pas être débranchés.
En dépit des travaux déjà effectués, la centrale continue de fuir par tous les bouts, dans l’atmosphère, dans les sous-sols et dans la mer. Elle est devenue une machine à produire de l’eau contaminée en très grandes quantités, une fois celle-ci utilisée pour refroidir trois réacteurs, qui de bouilloires sont devenus passoires. On est très loin du circuit fermé. Des forages ont été effectués afin de sonder et surveiller les sous-sols dans le périmètre de la centrale et une digue a été construite devant elle dans la mer pour contenir la pollution, mais le containement est délimité par des pointillés. La géologie du sous-sol permet de penser que, tel un égout, des couches imperméables et en pente dirigent l’eau contaminée dans la mer.
Les capacités de stockage de cette eau, une fois partiellement décontaminée, s’étendent désormais à perte de vue autour de la centrale (228.000 tonnes d’eau sont déjà stockés dans des réservoirs) et la tentation est grande pour l’opérateur, après plusieurs demandes d’autorisation refusées, de la déverser dans la mer. Une nouvelle usine de décontamination est présentée comme allant le permettre, une affaire à suivre. Mais il est apparu que les installations de traitement elles-mêmes, à force de fonctionnement, sont devenues radioactives et qu’il est de plus en plus dangereux de s’en approcher, bien qu’elles réclament une maintenance constante…
Ces masses d’eau servent à refroidir les installations et leur débit est réglé grâce aux thermomètres qui mesurent l’élévation de la température à des endroits inaccessibles. Il a déjà été constaté des mesures aberrantes, signe que certains d’entre eux étaient devenus défectueux : il semble que les câbles qui les connectent aux salles de contrôle connaissent une corrosion qui n’est pas sans rapport avec le sel de l’eau de mer injectée en désespoir de cause dans un premier temps. Les paramètres de température sont indispensables à la surveillance et au pilotage des installations de refroidissement improvisées ; dans le réacteur n°2, seulement à peine plus de la moitié des 36 thermomètres existants donnent des mesures considérées comme fiables. Les remplacer est hors de portée.
S’agissant des mesures, une autre et non des moindres vient de faire scandale. Une entreprise sous-traitante qui fournit des bras à Tepco, l’exploitant de la centrale, a donné comme consigne à ses ouvriers d’enfermer dans un boitier de plomb leurs dosimètres, afin de pouvoir travailler plus longtemps et ne pas dépasser trop rapidement la limite de l’exposition cumulée autorisée (100 mSv/an). Cette révélation de la presse renvoie à la sous-traitance généralisée et à ses dangers, au suivi médical très approximatif des travailleurs qui se sont succédés au fil des semaines et des mois dans la centrale, ainsi qu’aux problèmes posés par leur renouvellement. Car les salaires ne sont pas si mirobolants, une fois que la chaîne des intermédiaires s’est servie au passage.
Il n’est pourtant pas question de s’affranchir de leur présence. Spectaculaire, la solution des robots permet de belles images abondamment diffusées. Petit à petit, ceux-ci sont perfectionnés et peuvent s’aventurer dans certaines zones des réacteurs, là où les humains ne peuvent pas pénétrer. Mais, capables de gravir des escaliers et même d’ouvrir certaines portes, pas toutes, ils sont en dépit de leur agilité incapables de franchir les obstacles résultant des destructions occasionnées par les explosions d’hydrogène. Et même eux ne peuvent affronter la radioactivité par trop intense dans certaines zones, malgré le blindage de leur électronique.
Cela n’a pas manqué, l’un de ces robots n’est pas revenu de l’une de ses explorations dans le réacteurs n°3 ! Il est possible que le câble qui le reliait à l’extérieur (seul moyen de télécommande possible dans un environnement hautement contaminé) ait été rompu lors d’une manœuvre intempestive. Cet aléa est certes secondaire bien qu’inquiétant pour la suite, car si le robot peut toujours être remplacé, il ne peut pas être récupéré, étant devenu trop contaminé. Par contre, ces engins sont lilliputiens par rapport aux installations et strictement incapables d’opérer les travaux de démantèlement proprement dit, restant cantonnés à des mesures et à des explorations, qui plus est hasardeuses.
La simple exploration de l’intérieur des réacteurs se heurte à d’autres difficultés insurmontables. Leur bas est inondé par plusieurs mètres d’eau hautement contaminée qui rendent l’accès et même l’observation impossibles. Là où l’on s’approche des coriums. Pomper cette eau pour la transvaser, à condition encore que cela soit possible, aurait comme conséquence de supprimer la source contribuant à leur refroidissement, pouvant aboutir à la hausse de leur température et à des dégagements radioactifs encore plus intenses…
Il n’est certes pas besoin de forcer la dose. Des niveaux records de radioactivité ont été enregistrés dans le sous-sol du réacteur n°1, dix fois supérieurs à ceux des réacteurs n°2 et 3. Des instruments de mesure y ont été introduits par un trou et indiquent jusqu’à 10.300 millisieverts/heure, une contamination qui dépasse les limites annuelles permises aux ouvriers en vingt secondes d’exposition.
Une opération-test de démantèlement a été effectuée par Tepco, qui a consisté à extraire de la piscine n°4, ou elles sont entreposées et maintenues à faible température, 2 des 1.231 barres de combustibles. Utilisant des moyens de fortune, puisque le système d’extraction a été détruit, Tepco a choisi deux assemblages de combustible neuf, c’est à dire non irradié, pour effectuer une opération de propagande télévisée, devant l’ampleur de la réaction internationale suscitée par la contamination monstrueuse qui résulterait de l’écroulement de cette piscine et de l’exposition du combustible qu’elle contient à l’air libre. Les images diffusées montrent toutefois que des ouvriers ont du manipuler à la main les paniers, une fois ceux-ci soulevés par une grue, ce qui serait exclu s’ils avaient contenu du combustible auparavant extrait du réacteur.
L’attention s’est à juste titre déplacée vers les protestations inédites et massives de la population japonaise, ainsi que vers toutes les questions soulevées par une contamination de l’environnement et de la nourriture dont les mesures officielles continuent de soulever inquiétudes et interrogations. Les détecteurs et l’affichage de leurs mesures sont devenus partie intégrante de la vie courante de nombreux Japonais. Deux réacteurs ont finalement été remis en service, tout le parc nucléaire ayant été auparavant arrêté, et le gouvernement tente d’autoriser la relance d’autres, en dépit des manifestations qui s’enchaînent. Cette obstination vaut à elle seule condamnation de l’électronucléaire, en ce sens qu’elle souligne la toute-puissance de son lobby.
La violence du rejet de l’électronucléaire qui anime dorénavant les Japonais ne fait pas mystère. L’ignorer c’est pour les dirigeants du pays s’exposer à un autre danger que celui dont ils persistent de les menacer.
Toutes les semaines, un rendez-vous de mobilisation est reconduit et rassemble des dizaines de milliers de personnes à Tokyo, souvent venues de tout le pays. Dimanche soir, le Parlement japonais a été symboliquement encerclé par une chaîne humaine, tandis que les mêmes slogans retentissaient dans la foule : « Rendez-nous Fukushima ! », « Arrêtons l’énergie nucléaire » et « Protégeons les enfants! ».
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