LE MARIAGE POUR TOUS, CHOIX ANXIOGÈNE DU GOUVERNEMENT, par Lisztfr

Billet invité. Ayant dit ce que je viens de dire sur l’adoption ce soir du projet de loi Taubira, il m’a semblé équitable d’accorder une sorte de « droit de réponse » à ceux qui ne partagent pas mon point de vue sur la question. Malgré ma sympathie pour la psychanalyse, je ne cautionne pas ce qui est dit dans le billet qui suit.

Le sujet de l’ouverture du mariage pour les couples de même sexe à été abordé sur le blog de Paul Jorion il y a quelques mois (voir le billet « Le loulou de Poméranie »). J’étais à l’époque, loin du compte.

Très récemment seulement, à l’occasion de l’examen du projet de loi au Sénat (du 4 au 12 avril 2013), toute sa dimension symbolique et psychologique m’est apparue. Le sujet étant émotionnellement chargé, mes propos se veulent surtout techniques, la théorie analytique constituant ma boîte à outils. Bref, Il m’est apparu soudainement qu’il était question d’une sorte de parricide symbolique (parricide et matricide), avec passage à l’acte au niveau de la Loi, ce qui le différencie de la simple tendance œdipenne ambivalente d’amour/haine envers les parents. Le poids symbolique avec passage dans le réel, de la « ringuardisation » des parents, est lourd de conséquences.

1) Attaque psychotique sur l’Å’dipe

Je parle d’attaque psychotique sur l’Å’dipe, parce que comme le disait Yves Thoret, si vous avez un problème avec votre père ça va, si vous en avez un avec votre mère, c’est plus grave. De plus le matricide est toujours le fait de la psychose. Et là, les attaques portées au niveau symbolique, actées dans la réalité et dans le fantasme, sont multiples :

– Au niveau lexical, dans le Code Civil ainsi que dans les cérémonies de mariage, sur certains formulaires également, par souci de conformité, les mots « père » et « mère » sont remplacés par « parents », parent 1 et 2. Remplacer le mot père par parent, est une destitution. « Mari » et « femme » ne pouvant décrire l’homoparentalité doivent faire place à époux. Il a même été question d’inventer un neutre, sorte de Jocker linguistique ad hoc.

– Au niveau de la remise en question de l’identité sexuelle du couple parental, par la confrontation avec l’image du couple homosexuel qui leur renvoie un  autre d’eux-mêmes.

– Au niveau de l’acte même de l’État, qui donne une force énorme à ces attaques en les élevant à la puissance de la norme sociale. Du point de vue analytique, la puissance de l’État correspond à ce qui met en œuvre, et garantit, soutient la pérennité du symbolique, pourrait-on dire.

– Au niveau de la filiation, donc du lien imaginaire parent enfant, on virtualise ce lien en le considérant comme identique à celui fictif, résultant de l’adoption plénière du couple homoparental.

Le mot mariage se trouve maintenant chargé de dissonance cognitive, émotionnelle et sexuelle puisqu’il tend à renvoyer à des sexualités différentes, et à les assimiler, ce à quoi le psychisme se refuse.

Tout ceci est générateur d’angoisses et de remises en cause profondes.

2) Erreurs du gouvernement et de LGBT

Le gouvernement s’est sans doute laissé entraîner sur la pente d’un culturalisme excessif, selon lequel la nature est malléable car « elle obéit aux impulsions que lui communique le corps social » (M. Mead). Si la nature est malléable, à quoi correspond le désir d’enfant de ceux qui se prétendent si détachés de la nature ?

Erreurs et maladresses tactiques ont été dévastatrices. D’abord LGBT s’est constitué en groupe retranché dans un camp idéologique, accusant d’emblée toute opposition d’homophobie, rendant toute discussion impossible. La non-violence des propos n’est pas du côté d’LGBT, ni de ses militants qui trollent sur les réseaux. Sa propagande est dure à vivre.

Dans les Assemblées, la tactique du groupe PS et de ses alliés à consisté à se retrancher dans le silence, Mme Taubira et sa ministre Bertinotti assumant seules la défense du texte ! Le PCF se cantonnant à l’argument de l’égalité, non négociable, les Verts récitant la leçon bien apprise, l’UMP eut le champ libre à la fois au Sénat et à l’Assemblée, pour déployer une argumentation de grande qualité, disposant notamment du seul député psychiatre, M. Dhuicq. Celui-ci rappela à juste titre l’importance des questions relatives à la scène primitive, au roman familial, à la quête des origines, et stigmatisant le fantasme d’immortalité relayé par le projet. La ministre de la famille, Mme Bertinotti, ajouta à la consternation en employant des mots tels que « géniteur » et « génitrice », et en affirmant qu’il ne suffisait pas d’accoucher pour être mère.

3) Failles du projet

Ce projet n’étant qu’une étape, il laisse plusieurs questions ouvertes qui sont pourtant inquiétantes. Juridiquement, il est connecté à d’autres textes qui ne seront votés que plus tard, constituant un projet de loi sur la famille, ainsi qu’à une suite d’ordonnances portant sur de nombreux points. Certaines questions relatives à la légalisation d’adoption d’enfants provenant de l’étranger sont laissées à l’appréciation des juges. Ainsi il n’a jamais été possible au gouvernement de démontrer que ce projet de loi fermait définitivement la porte aux techniques de procréation médicalement assistées.

4) Psychanalyse et homosexualité

On rencontre l’homosexualité dans la littérature analytique principalement grâce au « Souvenir d’enfance de Léonard de Vinci », texte de Freud autour de l’analyse d’un rêve de Léonard de Vinci, ainsi que dans « Dostoïevski et le parricide ». Othello constitue la figure de l’homosexuel refoulé. Je passe sur le déni de castration, etc.

Le plus notable dans le texte sur Dostoïevski, est l’insistance de Freud sur la construction du surmoi de l’écrivain. Pour autant que l’on accepte la psychanalyse comme théorie, ce que je suis contraint de faire, et que l’on reprenne la topologie freudienne, sans prétendre détenir la vérité dernière sur l’être humain, ce que l’on dit n’est que vraisemblable : donc si l’on suit Freud, le surmoi de Dostoïevski reprend les traits de caractère de son père, d’une implacable sévérité. Il en souffrira toute se vie, et sa liberté en sera entravée. Ceci est un exemple de l’importance pour le psychisme des instances parentales et partant, de leurs identités sociales.

J’en reste là, pour poser la question, de quoi sommes-nous faits ?

Reprenant la notion d’animal politique (qui condense le naturel et le culturel), l’enveloppe sociologique globale, les institutions nous constituent autant que la biographie. Dans les hospices, par exemple, le moi des patients est étayé par l’institution. L’Etat communique ce qu’il en est du père et de la mère, de la filiation, et ceci entraîne une modification de l’imaginaire, des fantasmes, de nos liens familiaux, de la perception de l’Etat, etc.

L’État est un lieu symbolique de pouvoir dans la trame des représentations sociales, qui constituent des repères psychiques. Elias a pu formuler cela.

5) Dépassement de prérogatives

La psychanalyse ne connaît que père et mère. Les parents étayent les pulsions primitives jusqu’à la génitalité. Au passage se constitue, comme legs, le surmoi, appuyé sur les imago parentales et l’histoire de nos rapports interpersonnels. Par le jeu des affects et des identifications, se résout l’Å’dipe et chacun prend sa place dans la succession des générations.

L’Etat, en plaçant un signe égal entre le couple parental et un autre très différent, bouleverse l’identité sociale et imaginaire des parents, l’image de leur unicité. Cela dépasse largement le cadre institutionnel. Ces images nous construisent, et constituent la famille intérieure, introjectée à partir d’éléments diverses.

6) Inquiétante homosexualité

À mon sens, la visibilité de l’homosexualité ravive d’abord les angoisses de castration. Ainsi une certaine dose d’homophobie ne pourra pas être éliminée, au moins en pensée.

L’autre inquiétude provient du thème du double, qui est chargé d’angoisse car le double signifie perte d’identité du moi. Le même, figure de répétition menace l’unicité du moi.

Conclusion :

A mon sens il s’agit d’un traumatisme institutionnel (anthropologique…), que l’on pouvait éviter. Il s’agit d’un point sensible où le général rejoint l’intime. L’illimité du désir que promeut ce projet, tend vers le nihilisme, quand le désir n’a plus de sens. Concernant l’adoption, si l’on s’en réfère à la psychanalyse, l’on devrait pour le moins être réticent vis-à-vis de ce projet.

 

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