Fukushima : L’ART DE DIRE LES CHOSES À SA CONVENANCE, par François Leclerc

Billet invité

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© Matthieu Ferrand

« Rendre le monde plus sûr ! », c’est sur ses paroles apaisantes et sans crainte de manier les paradoxes que Yukiya Amano, le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a conclu hier sa conférence de presse de Tokyo. Il faut dire que l’organisation est née en 1957 sous l’égide de l’ONU, en pleine guerre froide, sous le slogan « Atom for Peace » (L’atome pour la paix) et n’a cessé depuis de promouvoir les applications civiles du nucléaire (tout en ayant comme mandat d’en limiter les développements militaires).

Prenant le taureau par les cornes devant son auditoire japonais, le haut fonctionnaire international venait auparavant d’aborder le sujet pour lequel il était venu, dans un pays où les centrales sont arrêtées avec comme enjeu leur relance. « La sécurité à 100 % n’existe pas », a-t-il expliqué pour appuyer le lobby de l’électronucléaire, en prenant pour preuve qu’une « catastrophe naturelle peut arriver n’importe où dans le monde », sans s’arrêter à un petit détail : dans le cas de l’électronucléaire, ce risque est créé de toutes pièces !

Par cette assimilation abusive, il a implicitement renvoyé aux anciennes croyances qui conduisaient à subir passivement le châtiment des dieux. En déclarant « ce qui est important dans la sûreté, c’est que le processus soit évolutif », il a apporté un autre argument à la relance, bien que cela revienne à reconnaître qu’en matière de sécurité, on est toujours pris en défaut là où on ne s’y attend pas ! L’art de dire les choses à sa convenance !

Yukiya Amano est ensuite venu au second volet de sa mission. Tchernobyl avait le défaut d’être derrière le rideau de fer à l’époque de la catastrophe, tandis que Fukushima est un champ d’expériences accessible, afin de préparer la prochaine catastrophe, puisqu’elle est inévitable (un phénomène mystérieux, du même ordre que la formation des bulles financières). Une excellente occasion d’apprendre à gérer les catastrophes au mieux, c’est à dire au moindre mal, en étudiant les effets de celle qui est en cours afin de rendre la prochaine plus acceptable. Quitte à négliger les conséquences des faibles expositions prolongées en proposant à la population déplacée de revenir vivre dans un contexte de pollution radioactive accrue dont elle va devoir s’accommoder.

Pas question, bien entendu, de se poser la seule question toute simple qui vaille : le risque nucléaire vaut-il d’être pris étant donné son potentiel dévastateur ? Faut-il rappeler que le monde a été à deux doigts d’une catastrophe bien plus grande il y a trois ans ?

PS : plus les problèmes sont présentés comme compliqués, plus ils imposent de s’en tenir à une parole d’expert, mais les philosophes voient les choses autrement.

Quand l’un d’entre eux se rend compte qu’il ne peut pas protéger son petit garçon des « Êtres radioactifs », il en vient à écrire un essai sur « La condition nucléaire », en s’inspirant du titre anglais de l’ouvrage d’Hannah Arendt : « The Human Condition ». Ces Êtres, explique-t-il sur France-Culture, rendent impossible la condition humaine : « le monde a l’air vivable, mais en réalité il est de plus en plus invivable… » en raison des épisodes successifs de pollution radioactive de la planète qui s’additionnent, ainsi que du danger persistant de « catastrophes interminables » que l’on ne peut pas réparer.

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Jean-Jacques Delfour, La condition nucléaire – Réflexions sur la situation atomique de l’humanité, 296 pages, 15 €

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