LE TEMPS QU’IL FAIT LE 1er AOÛT 2014 (retranscription)

Retranscription de ma vidéo faite hier. Merci à Olivier Brouwer !

Bonjour, nous sommes le vendredi 1er août 2014, et il est 8h57, c’est pas tout à fait l’heure pour un entretien au coin du feu, mais c’est un peu ça que je vais faire. Je vais vous parler de quatre livres. C’est pas pour les vendre, parce que malheureusement, je ne crois pas que vous aurez envie de lire quand j’aurai terminé.

En 2007, quand a paru mon livre – c’est pas de celui-là que je veux parler ! – La crise du capitalisme américain, et à l’époque, quand il est sorti pour la première fois il y avait un point d’interrogation, ça s’appelait Vers la crise du capitalisme américain ?, vous vous en souvenez peut-être, il y a eu sur l’internet, on m’a représenté sous les traits du prophète Philippulus, dans l’Étoile mystérieuse, qui dit: « la fin est proche, repentez-vous », et comme vous le savez, le reste de l’année et l’année 2008, l’année suivante, ont fait que, représenté comme Philippulus ou non, ça n’a pas empêché les choses que j’avais décrites de se produire.

Le premier livre dont je voudrais vous parler, ça s’appelle Misère de la pensée économique, ça a paru en 2012, et pourquoi je vous mentionne celui-là, c’est parce que ça m’était venu… imaginez-vous, on m’avait demandé de faire un exposé à HEC, la grande école de commerce, et il m’est venu cette idée de soliton, d’une vague scélérate, d’une vague plus grande que celles qui l’entourent, parce que plusieurs vagues se sont agrégées, ont constitué une vague plus grande, parce que la physique permet ce genre de choses, que des vagues qui ont été créées pour des raisons différentes viennent s’additionner les unes aux autres pour en faire une qui est beaucoup plus grande.

Et les trois éléments de mon soliton, de cette vague-là, je les avais décrits comme étant le comportement colonisateur de notre espèce, le fait qu’elle va épuiser son environnement… si c’est une espèce qui vit dans une vallée, c’est pas si grave parce qu’elle trouvera peut-être une autre vallée à côté, mais si c’est une espèce qui envahit entièrement sa planète, c’est plus compliqué parce qu’il faudrait qu’elle trouve une autre planète, à moins, à moins qu’elle ne change son comportement.

Le deuxième élément que j’avais mis là comme deuxième composante du soliton, c’est ce que j’appelle la complexité. La complexité, c’est le fait que nous vivons dans des systèmes extrêmement grands où nous sommes très nombreux, systèmes qui deviennent de plus en plus fragiles, c’est ce qu’on appelle l’effet systémique quand on en parle en finance : tout se concentre, les effets de contagion, les effets boule de neige, les réactions en chaîne deviennent de plus en plus faciles. C’est un tout petit nombre d’entreprises maintenant qui décide, les trois quarts sont possédés par un petit groupe qui est de moins de 200 compagnies. C’est une concentration qui arrange très bien les affaires des gens qui les dirigent, mais ça fragilise le système.

Alors, depuis que j’ai écrit ce livre, on a attiré mon attention sur un livre qui a paru en 2012 également, c’est un livre que je vous montre, il s’appelle Thermodynamique de l’évolution, un essai de thermo-bio-sociologie, ça a paru chez Parole Editions, et c’est par François Roddier, un physicien, et ce que j’appelle la complexité, il l’appelle lui la troisième loi de la thermodynamique. C’est pas exactement la même chose, c’est une idée qui est reprise, qui vient en fait, en gros, des idées de Ilya Prigogine, que j’ai eu la chance de connaître à une époque, essentiellement parce que j’étais étudiant à l’université où il était professeur, que mon père le connaissait, que j’ai eu un grand nombre d’amis qui travaillaient avec lui. Ça nous concerne essentiellement pour la raison suivante, c’est que cette complexité, cette auto-organisation qui produit ce que nous appelons des civilisations, des cultures, des villes de 13 millions d’habitants, c’est un phénomène de type physique, c’est un moyen qu’a trouvé la nature pour dissiper rapidement de l’énergie de manière efficace. Le but, ce n’est donc pas de créer des civilisations et des cultures, c’est de régler un problème physique à un endroit ou à un autre, comme ces magnifiques champignons qui poussent parce que pour des raisons diverses se trouvent rassemblés les ingrédients chimiques qui permettent à ces magnifiques créatures d’apparaître. Le but, il n’y a pas de but dans la nature de faire des champignons, c’est un moyen, là, de dissiper de l’énergie rapidement. Et nous servons essentiellement à cela, Aristote, Platon, Descartes, Hegel etc., c’est un moyen pour la nature de dissiper plus rapidement de l’énergie à des endroits particuliers. Si je dis ça c’est que si nous aimons ce genre de choses, si nous aimons la civilisation, si nous aimons la culture, c’est pas quelque chose qui vient automatiquement, c’est quelque chose pour lesquelles il faudra se battre pour les garder. Et pas se battre avec des guerres, parce que ça je vais y revenir aussi… Je vais y revenir tout de suite !

Parfois l’organisation est devenue plus grande que ce que le système peut soutenir. Et nous avons – c’est le troisième élément du soliton – ce que j’appelle depuis quelques années « la machine à concentrer la richesse », c’est le fait que nous avons une tendance, à l’intérieur de nos systèmes, d’aller vers leur propre dégradation. Le meilleur moyen qui a été trouvé par ces systèmes pour produire leur propre dégradation, c’est un machin qui s’appelle la propriété privée, et qui fait que quand vous avez besoin de quelque chose, il faut l’emprunter, et il faut payer des intérêts. Alors il y a une troisième force de destruction que j’appelle la machine à concentrer la richesse, et dans un autre livre que je vous recommande de lire, voilà, c’est Le capitalisme au XXIe siècle de Thomas Piketty, c’est selon monsieur Baverez du marxisme de sous-préfecture (Mr Baverez avec qui j’aurai l’occasion de discuter en octobre à Blois), mais lisez-le quand même ! Dans ce livre il y a un truc qui s’appelle : « La force de divergence fondamentale : r > g ». C’est le fait qu’on paye comme rentes, comme dividendes, comme intérêts, comme droits d’auteur sur des brevets, des machins comme ça, des droits intellectuels, on paye aux gens le fait qu’ils se sont trouvés là au bon moment, précédemment. Parfois, c’est parce qu’ils ont eu une bonne idée, hein ! On leur paye de l’argent pour utiliser ce qu’ils ont produit, ou leurs ancêtres, etc. Ça produit la concentration de la richesse. C’est un aspect, c’est celui que Keynes appelait « le miracle de l’intérêt composé ». Il y a un autre aspect de la machine à concentrer la richesse et ça va me permettre de vous montrer le quatrième livre, c’est aussi un livre que j’ai écrit, ça s’appelle : Le capitalisme à l’agonie, et là, on parle de beaucoup de choses, on explique des choses qui sont en train de se passer, on explique aussi qu’il y a un deuxième élément dans la concentration de la richesse qui permet que ça aille encore plus vite, c’est la spéculation, parce que ça permet, entre les vainqueurs de l’intérêt composé, ça leur permet de faire des paris entre eux et de se décimer entre eux en faisant que l’un va gagner la mise et que l’autre la perdra. Ça permet d’aller encore plus vite.

Alors, nous avons contre nous l’ensemble de ces éléments. Alors, nous comprenons maintenant que nos cultures, que nos civilisations, que ce sont des choses accidentelles, et que si nous les aimons, il faudra que nous fassions un effort pour les garder. Pourquoi ? Eh bien parce que le processus naturel, c’est que quand la complexité devient trop grande, c’est de casser une partie du système. Et là, nous avons été excellents jusqu’ici à le faire. Quand la richesse est trop concentrée, comme c’est le cas en 1914, quand la richesse est trop concentrée comme c’est le cas maintenant, nous avons un moyen bien connu, que la physique nous propose, qui s’appelle « les guerres ». Les guerres, ça nous permet de, sans devoir réfléchir, sans utiliser notre capacité de raisonnement, et au contraire d’utiliser, je dirais, un aspect un peu plus instinctif chez nous, que j’appelle « le principe du match entre la Corée du Sud et le Costa-Rica », nous permet de résoudre nos problèmes. A certains moments, et l’image qu’utilise Roddier, c’est celle du remplacement des dinosaures par les mammifères, à certains moments, eh bien, ces champignons dont je parlais tout à l’heure, ils sont trop compliqués, ils ont trop de couleurs, et il faut tomber à des choses plus simples.

Nous avons la capacité de détruire nos civilisations, nos cultures quand elles sont devenues trop compliquées, c’est en faisant la guerre entre nous. Et là, nous avons cette capacité – ouvrez l’internet au hasard et vous allez la voir à l’œuvre – ce principe du match entre la Corée du Sud et le Costa-Rica, nous avons cette capacité, entre des choix qui nous sont complètement indifférents, de prendre parti, avec enthousiasme ! J’en ai déjà parlé, il se passe des choses entre le Hamas et Israël, et il est impossible à quelqu’un qui utilise un tout petit peu sa tête de faire un choix en disant :  « un des camps est vraiment meilleur que l’autre », il se passe des choses en Ukraine avec des camps où, avec un tout petit peu de jugeote, nous sommes incapables de faire un choix, parce que les deux choix sont mauvais. C’est quoi ça ? C’est le moyen que la physique nous propose pour résoudre nos problèmes de complexité et de cultures qui sont allés trop loin. Elle nous propose de choisir un camp, d’en découdre et de tuer le plus de gens possible pour revenir à un état plus simple. Les croisades, comme a bien expliqué Duby, c’est pas tellement pour aller défendre une religion par rapport à une autre, c’est parce qu’il y a un excès de cadets dans les familles, il faut bien en faire quelque chose, alors on en fait des armées, ou parfois, comme dans le cas de ce qu’on appelle la croisade des Indigents ou la croisade des Pastoureaux, ce sont des jeunes, désœuvrés comme on dirait maintenant, dont on ne sait pas quoi faire, c’est du chômage structurel, et on les envoie sur les routes, et ils ne savent pas quoi faire, et ils finiront par se faire massacrer, parce qu’eux ont commencé par massacrer d’autres personnes au passage, ou bien on les enverra comme esclaves au Moyen-Orient. C’est le moyen, les guerres, c’est le moyen de résoudre nos problèmes de comportements colonisateurs, de complexité excessive, de machine à concentrer la richesse dont nous savons très bien comment il faudrait les résoudre ces problèmes, et nous préférons laisser aux lois de la physique les régler elles-mêmes, avec notre enthousiasme pour le Costa-Rica contre la Corée du Sud, ou inversement, alors que, comme je le soulignais quand je l’ai mentionné pour la première fois, souvent nous ne savons même pas où ils se trouvent sur la carte.

Alors nous avons un combat à mener, et pour la première fois, c’est le choc des géants ! Nous avons la raison, nous avons la chose qui nous fait aimer la culture et la civilisation, [qui permet de] se dire que nous sommes des choses admirables, alors que nous ne sommes que des champignons qui ont poussé accidentellement sur le bord du chemin, eh bien, nous pouvons essayer de faire vaincre cela sur les lois de la physique. Alors, c’est pas donné d’avance, hein, parce que ça, c’est quand même un combat déséquilibré, et alors voyez, vous allez me dire, en plus, on assassine Jaurès ! Il est tellement facile d’assassiner les gens qui essayent de faire passer la raison avant… Je vais pas vous faire la liste, Jésus-Christ, Socrate et ainsi de suite, Martin Luther King, Jaurès… Mais regardez Jaurès, il ne voulait pas qu’il y ait la guerre de 14, il voulait faire passer la raison avant, mais les lois de la physique, elles demandaient sans doute que ce massacre ait lieu, parce que nous n’aurions pas résolu autrement la concentration de la richesse, la complexité telle que nous l’avions. Si ! en 1929, un peu plus tard, écroulement du système financier, mais ça n’aurait pas suffi à résoudre le problème physique que nous avions sur notre terre.

Alors, est-ce que ça veut dire qu’il est impossible de faire quelque chose ? Je ne pense pas, je ne pense pas, parce que justement il y a cette alternative. Il y a l’alternative de la raison humaine, de comprendre comment ça marche, d’écrire des livres comme monsieur Piketty, d’écrire des livres comme monsieur Roddier, de blablater comme je le fais maintenant. Il y a moyen de le faire, mais c’est un « challenge », comme on dit, c’est un véritable défi ! C’est la première fois, la première fois qu’il faut que nous allions à l’encontre de la physique pure et simple qui résout nos problèmes quand ils se posent, parce que quelque chose a démarré de façon trop complexe dans une direction particulière.

Alors, au blog de Paul Jorion, ben, vous savez de quel côté on est quand même… hein, on ne va pas baisser les bras ! Hier, quand on a vu qu’une candidate qui dit tout le temps, « il faut choisir son camp entre Charybde et Silla ! il faut choisir son camp absolument entre la peste et le choléra », quand elle apparaît en tête des sondages, eh bien alors on commence à cogiter un petit peu du côté du blog de Paul Jorion, on dit « mais qu’est-ce qu’on peut faire ? » Ben, on va faire des choses, on va quand même faire des choses pour essayer d’empêcher que ça se passe comme ça… Parce que, il y a la raison et les lois de la physique, c’est un beau combat, vraiment, c’est l’univers tel qu’il est contre nous, ça devrait quand même nous donner du courage et de l’imagination !

Alors on va le faire, et tous ensemble, tous ensemble ! Alors on part pas dans le meilleur des environnements : la concentration de la richesse, elle est à un maximum, le principe du Costa-Rica contre la Corée du Sud, il est à un maximum dans le monde de tous les côtés… Je ne sais pas si vous avez vu cette carte où on nous fait flasher des endroits de dissensions dans le monde, ça monte, ça monte, ça monte ! Alors, ben le choix est là, ou bien on reste comme êtres humains, on est des champignons fiers de l’être, mais on voudrait que ça continue, ou bien on fait confiance aux lois de la physique et là, ça va se résoudre, dans l’immédiat par une bonne guerre ou des bonnes guerres, une ne suffirait peut-être même pas, encore qu’avec les moyens qu’on a, c’est quand même rassurant de ce côté-là… et puis il y a la petite fleur, la petite flamme… Voilà, je crois que le choix est clair, j’espère que vous êtes prêts, parce qu’on y va !

Allez, à bientôt !

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