Le capitalisme : un bref résumé, par Zébu

Billet invité.

1- Marx avait prédit que la machinisation ferait disparaître le travail et que ce faisant, le travail étant le moteur de la création de la ‘valeur’ et la création de ‘valeur’ étant le cœur du capitalisme, celui-ci s’effondrerait

2- effet collatéral, la propriété privée se dissoudrait par la nécessité de socialiser les plus-values issues de la production machinisée, afin de perpétuer une cohésion sociale minimale

3- ce processus permettrait donc d’accéder à une société post-capitaliste, où le travail de production est assuré par les machines et où les hommes peuvent enfin se libérer (du travail, du capitalisme)

4- néanmoins, Marx s’est trompé et la réalité le démontre : si le travail disparaît (ou se transforme) par la machinisation, cela n’a pas entrainé la dissolution du capitalisme, pour la bonne et simple raison que contrairement à son interprétation, la création de ‘valeur’ ne dépend pas du travail, la ‘valeur’ étant elle-même un artefact. Le capitalisme ne s’est donc même pas ‘adapté’ à la disparition du travail, il a simplement continué son évolution, qui est de créer du capital à partir du capital.

5- de même, la propriété privée ne s’est pas dissoute du fait de la nécessité de socialiser les gains, cette socialisation n’étant pas intervenue (même pendant les 30 glorieuses, même pendant le communisme soviétique). Par contre, la propriété privée a elle aussi ‘disparu’, du moins comme condition définie par Marx pour que le capitalisme fonctionne

6- En fait, que ce soit sur le travail ou sur la propriété privée, Marx s’est trompé parce qu’il n’a pas vu que seul compte le capital et l’accès à celui-ci : le capital conditionne la production, conditionne le travail, conditionne la machinisation (recherche de gains de productivité), afin de générer plus de capital à partir de celui-ci, la propriété privée et le travail n’étant que des structures sociales sur lesquelles le capitalisme se reposait (structures coercitives et défensives), mais dont il s’est progressivement dissocié.

7- car depuis Aristote, en fait, seul le statut social réciproque permet aux capitalistes de bénéficier de la chose dont ils ont véritablement besoin : l’accès au capital (ou du moins, un accès privilégié, induisant donc des privilèges, induisant la constitution d’une classe sociale en tant que telle, classe sociale dominante : prix, taux d’intérêt, accessibilité, etc.). Cet accès commande l’ensemble des structures économiques.

8- Le statut social des capitalistes ne dépend pas de la propriété privée mais du capital social (au sens de Bourdieu) dont ils disposent, soit la reconnaissance sociale de leur accès privilégié au capital

9- de ce fait, la propriété privée n’est plus nécessaire au capitaliste pour accéder au capital : il lui suffit de faire étal de son statut social pour y accéder, par le biais du crédit.

Sa capacité à mobiliser, hic et nunc, le capital EST son capital social (exemples : développement hors normes du crédit sur l’économie réelle = décorrélation des structures sociales, IDE en Afrique et dans le monde, LBO, produits dérivés, CDS, économie de l’usage plutôt que de la possession comme dérivée de la primauté de l’accès au capital sur sa possession, primauté du ‘cash flow’ au sein des entreprises plutôt que du bilan, etc.).

10- Au bout du bout, le capitaliste n’est plus celui qui possède mais ‘celui qui peut accéder à’, se libérant ainsi de la possession de la chose sur le propriétaire, à l’inverse du processus décrit par Marx

11- si le crédit permet au capitalisme et aux capitalistes d’accéder à ce stade ultime de ‘dissolution’ de la propriété privée (ou plutôt, son ‘désarrimage’), la machinisation permet aussi de le faire pour le travail : les deux sont liés (le crédit s’investit dans la machinisation, la machinisation reproduit et augmente le capital par le gain obtenu)

12- quelles seraient alors les solutions pour faire face à cette ‘mutation’ du capitalisme, qui n’est en fait qu’un aboutissement logique du capital se reproduisant indépendamment de structures sociales (travail, propriété privée) qui lui ont permis d’émerger historiquement ?

13- La taxe sur les machines imaginée par Sismondi permettrait de recréer de la structuration sociale (de la socialisation dirait Marx) sur la base des gains générés par la machinisation progressive, comme le fut d’ailleurs après-guerre en Europe et sous Roosevelt la constitution d’un ‘Welfare State’ nouveau

14- néanmoins, la logique profonde du capital, qui est de se reproduire en s’affranchissant de toutes structures sociales, resterait inchangée et opérante et pourrait, à terme comme ce fut le cas dans les années 70, déstructurer ce qui le sera par cette taxe un moment donné. Il est donc illusoire de croire qu’une telle taxe pourrait être autre chose qu’une solution transitoire, mais néanmoins nécessaire, le temps de s’attaquer aux véritables racines du problème

15- la véritable solution serait de s’attaquer à ce qui fonde la déstructuration sociale par le capital se reproduisant, non pas en s’opposant à la disparition du travail, ni même à la dissolution de la propriété privée, mais en ciblant le cœur du réacteur : l’accès au capital.

16- C’est cet accès qui fonde les privilèges des capitalistes, fonde cette ‘caste sociale’ qui s’affranchit de toutes les structures sociales. Il est donc nécessaire de définir un statut social à cet accès.

17- Le statut social actuel est celui qui est déterminé par l’expression du rapport de force social, lequel est médié par ‘le marché’. Ce qui a été tenté et qui fut démantelé fut de nationaliser cet accès, d’abord pour la monnaie (banque centrale), puis pour le crédit (banques privées). Cette nationalisation a aussi été un échec, du fait que la noblesse d’État décrite par Bourdieu a utilisé cet accès à ses fins propres (en tant que classe sociale), puis au bénéfice des capitalistes au service desquels ils se sont mis.

18- in fine, la véritable solution qui demeure est bien de socialiser cet accès, à savoir définir les règles politiques qui régulent l’accès au capital.

19- Ces règles politiques devraient être simples :

– interdiction de la spéculation, parce que celle-ci permet un accès privatisé au capital

– interdiction de la rémunération du capital si celui-ci ne créé pas de richesses nouvelles

– exclusion de l’accès au capital si l’usage qui en est fait ne respecte pas les règles d’usage socialement définies

– obligation de compensation (via la monnaie) afin d’éviter la concentration du capital en un endroit donné (accès privilégié)

– la propriété privée du capital ne donne en aucun cas le pouvoir d’abuser d’un accès privilégié au capital.

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