LE TEMPS QU’IL FAIT LE 21 NOVEMBRE 2014 – (retranscription)

Retranscription de Le temps qu’il fait le 21 novembre 2014. Merci à Olivier Brouwer !

Bonjour, nous sommes vendredi, le 21 novembre 2014. Et il y a à peu près quinze jours, j’ai reçu un mail qui venait de Jean-François Kahn. Il y était mis : « Donnez-moi votre numéro de téléphone, je voudrais vous appeler d’urgence. » Voilà. Et en fait, ce n’est pas lui qui m’a appelé, c’est Alexis Lacroix de Marianne, et le message était le suivant : « Voilà, nous sommes bien gênés parce que Jacques Julliard est malade, et il s’était engagé pour une série de trois conférences, est-ce que vous êtes libre aux dates suivantes ? »

Alors, j’ai regardé mon calendrier, ça tombait sur deux semaines que j’avais réservées entre mes cours à Bruxelles, et donc les dates étaient disponibles. Et on me dit : « Voilà, on s’occupe de tout, on vous payera vos déplacements, et vous parlerez de ce que vous voudrez, puisque vous avez la gentillesse de faire ça au pied levé. » Et au moment de raccrocher, il me dit : « L’agence de voyages va vous contacter pour les détails. » Alors, parfois, effectivement, eh bien, une agence de voyages vous contacte pour les billets de train, voilà, ça passe par une agence. Mais ce qui n’avait pas été dit, ou pas compris par moi, c’est que moi j’imaginais, bon, dans ce cas-là, que les conférences se donnaient à Paris, ou à Lyon, ou à Marseille… Et puis, il s’avère que ces conférences se donnaient, je vais le dire dans l’ordre : à Casablanca, à Cadix et à Lisbonne. Enfin non, pardon excusez-moi, il y avait deux interventions de ma part, d’abord une table-ronde avec Jean-François Kahn, et ensuite, en solo, une intervention de ma part.

Alors, la chose était différente de ce que j’avais compris, parce que, bon, il s’agissait d’une croisière. Voilà. Et, en particulier, il s’agissait donc d’une croisière organisée par Marianne, et on m’a montré par la suite, je ne l’avais pas vu au moment même mais il y avait eu un article, dans AgoraVox, qui critiquait assez vertement ce type de formule, pourquoi ? eh bien parce que ça coûte cher pour les gens qui y participent, et donc ce n’est pas donné à tout le monde de participer à ce genre de choses.

Alors voilà. Je dois dire qu’une des choses qui m’a rassuré à accepter, c’est le fait qu’on m’a dit : « Eh bien, au même moment que vous, dans la croisière se trouvera Cynthia Fleury », et Cynthia Fleury, je l’ai rencontrée plusieurs fois. Je n’avais jamais eu l’occasion, véritablement, de lui parler, mais elle est ce genre de personnes que les mêmes personnes invitent aux mêmes endroits que moi, et j’avais eu l’occasion ainsi de me trouver un jour [avec elle], si j’ai bon souvenir sur un plateau avec Frédéric Taddéï, euh, on s’est retrouvés à la commission Attali sur l’économie positive, on s’est retrouvés très récemment à l’événement organisé par Mediapart sur la corruption, et donc voilà, le fait qu’elle ait accepté de participer à ce genre de choses m’a encouragé également : c’était un élément qui m’a encouragé à participer. Il faut bien dire, honnêtement, que je n’étais jamais allé ni à Casablanca, ni à Cadix, ni à Lisbonne, et que ça a joué comme un élément aussi qui m’a encouragé à prendre la décision d’aller.

Alors, la question se pose, quand même, de parler à un certain type de public – qui est un public qui par définition est fortuné puisqu’il a dû dépenser pas mal d’argent pour participer à ce type d’événements – est-ce que c’est une bonne idée, est-ce que c’est une bonne chose ? Alors, de manière générale, vous savez, moi j’accepte de parler à des publics très différents, et parfois je n’hésite pas à être un petit peu le… à entrer dans l’arène, dans la fosse aux lions, et aller m’affronter à des gens qui ne sont peut-être pas – m’affronter, peut-être même pas nécessairement – me confronter à des gens qui ne partagent pas, sans doute, mes opinions politiques.

Et à l’analyse, après ce qui s’est passé, je me suis convaincu, peut-être pas que je devrais faire davantage de cela, mais que ce n’était pas une mauvaise idée d’accepter. Quand Jean-François Kahn m’a demandé : « Quel est le sujet dont vous voulez débattre ? », on est tombés très rapidement d’accord sur quelque chose qui s’appelait : « La finance est-elle compatible avec la démocratie ? » Et donc, je me suis retrouvé en face d’un auditoire très, comment dire, très bienveillant et très attentif, mais qui ne sont pas des gens qui étaient venus spécialement pour écouter Paul Jorion, comme c’est le cas quand il y a une affiche quelque part disant, voilà : « Jorion va venir parler, dans un débat, ou tout seul, et caetera », et que les gens viennent pour m’écouter spécifiquement. C’est-à-dire que j’ai en général un public qui est relativement acquis à mes thèses. C’est-à-dire que c’est des gens qui savent qui je suis, maintenant. Ce n’était pas nécessairement le cas il y a cinq ans, en 2009, quand je suis rentré des Etats-Unis et qu’il y a eu des conférences, parfois, il y avait des gens qui venaient parce qu’ils connaissaient l’organisateur, parce que c’était Attac ou c’était une organisation qui leur était familière, et ils venaient voir quel était l’orateur qui se trouvait là. Récemment, je dirais les deux, trois dernières années, les gens qui viennent m’écouter, en général, savent qui je suis.

Et là, je me suis retrouvé devant un public différent, qui ne savait pas nécessairement qui j’étais, et à qui on a proposé un sujet au titre relativement provocateur : « La finance est-elle compatible avec la démocratie ? ». Et alors, ce que j’ai fait, délibérément, et je l’ai dit d’emblée, je l’ai dit : « Je ne vais pas répondre à la question, je vais simplement vous soumettre un certain nombre de faits. » Et là, j’ai établi une liste, simplement, sans beaucoup de commentaires, en expliquant de quoi il s’agissait, en entrant parfois, je dirais, dans les détails. Quand j’expliquais que le régulateur américain, la SEC, s’était retrouvée devant un refus, au moment de mettre en pratique un certain nombre de mesures qui devaient empêcher que ne se reproduise la crise sur les money markets de septembre 2008, eh bien, je suis obligé de rentrer dans un certain nombre de détails, parce que la plupart des mots que je viens de prononcer ne sont pas familiers aux personnes qui m’écoutent. Donc, j’entrais dans une explication, j’ai parlé ainsi 50 minutes, en faisant une liste de choses qui vous sont familières si vous lisez le blog, et sans émettre d’opinion, simplement en établissant un dossier. Voilà. Et alors, j’ai terminé en disant : « Eh bien, je vais arrêter ici, parce que j’ai parlé 50 minutes ». J’en avais encore un petit peu sur ma liste, que j’aurais pu mentionner, mais je me suis arrêté là.

Et alors là, ça a été la surprise, parce que le niveau des questions était étonnant. Je dirais bien que les gens n’étaient pas nécessairement préparés à ça. Euh, les gens qui se trouvent sur des croisières, qui peuvent avoir de l’argent, sont en général des gens qui sont allés à l’école et qui peuvent suivre une conversation comme celle que je leur ai tenue, et poser des questions ensuite, par rapport à ce que j’ai dit. Et par la suite, j’ai rencontré pas mal de ces gens dans les couloirs. Et là, il était clair que dans les choses qui m’ont été dites, pour beaucoup d’entre eux, ils entendaient ça pour la première fois, mais ils étaient assez soufflés. Voilà. Ils étaient assez soufflés. Je crois que j’avais réussi ma tâche, parce que personne, parmi les gens que j’ai rencontrés, n’a remis en question ce que j’ai dit, et ça, je crois que c’est parce que je ne citais pas des choses sans bien les connaître, je n’avais pas nécessairement des papiers avec moi, ni une bibliothèque au moment où je me suis retrouvé sur ce bateau, puisque je me suis retrouvé sur ce bateau sans avoir même déterminé quel serait le sujet de ma conférence, mais ce sont des choses que je connais bien. Quand je parle des CDO, des CDS et des machins comme ça, eh bien, c’est un dossier que je possède bien.

Et là, je me suis dit, une fois que ça a été terminé, qu’il y a eu, d’abord les questions et puis les conversations, l’expression qui m’est venue, c’est : « [Terre] de mission ». Vous savez, [la terre] de mission, pour le missionnaire, eh bien, c’est aller à l’endroit où, eh bien, ce n’est pas évident, où ce n’est pas donné d’avance, ce n’est pas gagné d’avance ! Voilà. Et ce n’est pas une mauvaise chose, je crois que ce n’est pas une mauvaise chose du tout que j’aille à des endroits comme ça. Bon, en plus, j’ai vu du pays, j’ai visité la grande mosquée de Casablanca, en compagnie, donc, de Cynthia Fleury, de Jean-François Kahn etc., mais ce n’est pas une mauvaise chose que je m’adresse à ces gens-là, parce que ce sont ces gens-là… Bon, il y a peut-être de la naïveté ou de la stupidité de ma part, d’essayer de convaincre les gens, puisque vous êtes nombreux à dire : « Il y a deux camps, et puis il y a ceux qui comprendront toujours et ceux qui ne comprendront jamais, parce qu’ils ont des intérêts qui les empêcheront de comprendre ! ». Et moi, personnellement, et je suis tout à fait d’accord dans ce sens-là, avec ce billet qu’avait fait Annie Le Brun sur la nuit du 4 août, moi je suis convaincu, personnellement, que ce qu’il faut faire, c’est de persuader les gens et les convaincre. Et que quand les choses évolueront, il faut avoir rassemblé le plus grand nombre de personnes possible, et que parmi ces personnes, il faudra des gens qui aient pris conscience que quelque chose est en train de se passer, dont ils n’avaient pas – avant qu’on en discute entre nous – dont ils n’avaient pas la conscience.

Voilà. Alors, ça c’est un pari. C’est un pari, parce que je ne sais pas si l’histoire a prouvé, dans un sens ou dans l’autre, qu’on avait raison d’essayer de convaincre, ou d’aller en [terre] de mission et essayer de convaincre des gens qui ne sont pas acquis d’avance, ou qui ne sont pas des gens qui viennent parce qu’ils savent déjà ce que vous allez dire.

Ma conclusion, c’est que si on me repropose ce genre de choses – et je ne veux pas dire des croisières dans des endroits qui sont très intéressants et que je ne connais pas – mais me retrouver véritablement dans une situation… En fait, quand j’y pense, quand on m’avait demandé de venir parler aux anciens d’HEC, et que j’avais inventé cette histoire de soliton, spécialement pour l’occasion, c’était aussi parce qu’il y avait un défi, un challenge, comme on dit. Parce qu’il fallait que je présente à un public qui n’est pas acquis d’avance un certain nombre d’arguments que je veux personnellement développer, et que par conséquent, eh bien, il faut que j’y mette tout le « duende », il faut que j’y mette toute la capacité que j’ai à convaincre et à persuader, en étant didactique. Il y a une personne qui m’a dit à la fin de cette conférence, et ça, ça m’a fait très plaisir, il m’a dit que c’était « socratique ». Voilà. C’est ça. Et en fait, c’est ça que j’avais essayé de faire : présenter des faits, et que les conclusions à en tirer apparaissent en surface d’une manière spontanée, comme si elles avaient toujours été là, mais sans que je les aie forcées au travers de la gorge.

Voilà, euh, je crois que c’est tout ce que j’avais à dire pour aujourd’hui, à bientôt ! Au revoir.

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