Crise(s), institutions et institué-e-s, par Olivier Hofman *

Billet invité.

Bonjour,

Après la mort de Jean-Luc, ce SD(F) au quota de nuitées dépassé, les édiles namurois se retournent évidemment vers le comportement de cet homme afin de se dédouaner. Une évidence dont je connais intimement la récurrence, une attitude liée, me semble-t-il, à la différence de classe sociale. Mais, se reposer uniquement sur une différence de classe est peut-être un peu court.

Partons  de rapports au sein d’une même classe sociale. Mon ami Raoul, 87 ans, désirait absolument me rémunérer pour avoir fait ses courses. N’avais-je pas été généreusement payé ? Être reconnu par cet homme avec qui je ne partage rien à première vue me comble de bonheur et sa présence m’offre une reconnaissance telle que je la cherche, c’est-à-dire au-delà de nos nombreuses différences et dans une volonté partagée de ne pas les transformer en différends. Voici pour un plan personnel.

Percevons deux plans politiques. Le premier est éthique. Parfois, Raoul me demande à faire ses courses. Parfois, je demande à les faire. Cela peut sembler sans importance. Néanmoins, Raoul prend alors le risque de m’ennuyer, pense-t-il, et moi de devenir persécuteur alors que mon aide ne m’est pas demandée. Si la chose me semble éthique, et non morale comme le mot s’impose trop souvent, c’est que nous agissons afin de préserver notre puissance de vivre, tant personnelle que commune, et accompagnons ce risque, pris et contourné inconsciemment, de tout ce qui peut mener à la joie. Par habitude, le second plan apparaît comme « vraiment » politique. Permettre à Raoul de rester chez lui tant qu’il le décidait ne peut qu’avoir un effet bénéfique sur les finances de la cité. Nous pourrions nous passer du plan éthique et nous en remettre à des « auxiliaires de vie » à l’impact mesurable d’un point de vue économique, ce que prônent régulièrement « grands » patrons et politiques prêts à interdire l’existence de la sphère autonome de l’économie. Mais cela ne pourrait engendrer forcément le bénéfice connu en termes de puissance de vivre. Raoul et moi nous sommes choisis. Pour cause d’affinités, mais aussi pour cause d’affects positifs, nous nous aimons beaucoup, et négatifs, nous souffrons de la place que nous réserve « la société ». Nous nous respectons en tant qu’êtres humains, non en tant que fonctions. Je ne passe pas au-dessus de ce possible : oui, des personnes pratiquent un métier qu’elles ont choisi et le font avec bonheur et passion. Mais, l’amour, s’il peut naître et exister sur un plan professionnel, ne peut être perçu comme une fonction. Au contraire, la fonction, qu’elle soit celle d’un commerçant bio, d’une fonctionnaire du FOREM (en France : Pôle Emploi) comme de militants professionnels, limite le plus souvent notre perception du Possible, c’est-à-dire limite nos synesthésies et synergies. En d’autres mots, nous nous sentons autrement obligé-e-s dans nos rapports humains, ou dits « citoyens », et cette obligation n’est pas ressentie comme telle.

Montrer cette donne psychologique qui oblige à l’éthique la fout mal alors que nous abordons une pseudo « science économique ». Passe encore que les institué-e-s agissent le plus souvent cette donne de manière négative vis-à-vis de la classe sociale inférieure à leurs yeux, la déraison pointée du doigt est alors ce qui fonde la raison, scientifique bien sûr quoique du plus fort. Si ce plan est ici nommé éthique, c’est bien que la donne morale est présente (notre générosité pourrait être égoïsme). Si ce n’est que les institué-e-s affirment encore que « il faut moraliser l’économie ! ». Que nenni, il faut reconnaître que ce n’est pas une science ! Mais cela aurait quelques répercussions. Et les mettrait à mal sur ce que je considère comme un point crucial : la fonction.

Je ne peux m’empêcher de percevoir cette fonction comme une droite. C’est-à-dire un objet qui a une direction et deux sens. À  gauche ou à droite, nous allons toujours dans la même direction… Prenons un autre modèle, non une droite mais une forme entre le « U », le « V » et mon manque de vocabulaire. Nous voilà avec deux directions (au moins), avec des possibilités de changement. Imaginons un graphique dont l’ordonnée marque la quantité d’énergie nécessaire et l’abscisse le Temps. Aux premiers et derniers jours de notre vie, nous demandons beaucoup d’énergie au Milieu. Cette énergie est toujours celle du Milieu, tant environnemental que social. Regardons la vie, tant celle du vivant que celle des idées et des mots, elle me paraît ressembler à cela. Or, le plus souvent à mes yeux, les institué-e-s se perçoivent comme le Milieu, non seulement à titre de possédant-e-s, mais aussi de garant-e-s et représentant-e-s. Y compris de la morale, de la norme. Et même du « beau » qui peut avoir pour synonyme l’intégrité (et pas seulement au Moyen Âge !), autant de concepts nécessaires à la création de l’ennemi, de qui est perçu comme destructeur… et nécessaire au soutien d’une pensée linéaire et dualiste. En d’autres termes, les institué-e-s exigent une débauche d’énergie des plus démuni-e-s qui n’est pas reconnue comme telle vu qu’il ne s’agit aux yeux des dominant-e-s que de parvenir à « ce qui doit être », quoique cela ne soit ni nécessaire, ni d’une efficacité prouvée… À travers la fonction semble s’imposer une pensée linéaire et dualiste. D’un côté l’apport subjectif, qui est tant politique qu’économique, de l’autre un apport objectivable qui, lui, exige la recherche d’une mesure adéquate afin de voir croître la puissance de vivre. D’un côté, nous pouvons exercer une profession sans nous en satisfaire et chercher ailleurs notre satisfaction via ce qui est perçu comme richesse produite et échangeable, de l’autre, il nous faut apprécier l’instant vécu, expérimenté, sans pouvoir le monnayer afin d’en jouir. Peut-être ce dualisme entre ce que nous faisons et ce que nous sommes et ressentons incite-t-il à nous identifier au Milieu et cela comme « juste milieu » qui devient « Milieu des justes ». Ce qui justifie le « pouvoir » des classes perçues comme supérieures et supérieures d’un point de vue des « valeurs » économiques comme morales, culturelles, cognitives, etc., qui semblent s’imbriquer en une pyramide des besoins. Grâce à celle-ci, qui suppose une hiérarchisation de nos besoins, il est permis de briser nos synesthésies et synergies.

Riches et pauvres, nous adoptons tou-te-s ces comportements. Dominant-e-s et dominé-e-s, nous sommes naturellement précaires. A ce titre, nous sommes n’importe qui, soumis-es à la précarité initiale. Mais, à travers la perception politique comme économique, interviennent des différences et des différends dès lors que ces comportements, expressions et témoignages de nos interactions et interdépendances, ne sont pas perçus comme mécanismes de défense et communication. Alors les « explications » morales et psychologiques peuvent intervenir. Et on peut exiger des « petits gens » que nous produisions toujours plus afin de parvenir à ce qui est perçu comme norme et normalité. Les dominant-e-s peuvent manipuler les discours politique, médiatique, culturel dont les moyens de production sont détenus par elles et eux. De fait, les classes dites supérieures sont celles qui peuvent fixer l’imaginaire, qu’on ne peut comparer à l’imagination, et les manières de le décliner proprement, sans salir ou détruire l’image qui devrait apparaître afin de nous satisfaire personnellement et satisfaire ce que devrait être le « vivre ensemble ». Cette production « propre » ne l’est pas au sens où nous l’entendons. Elle n’est pas notre propriété, pas celle de n’importe qui, mais celle de la fonction. Propre, elle l’est dans le sens premier : elle est idiote. En d’autres termes, il nous est demandé de traduire le Milieu, de le prononcer et de nous y inscrire, selon un langage idiomatique. Quoiqu’il soit question d’une « science », il est comme un parallèle avec une pensée que nous pouvons percevoir comme religieuse. Ne nous appelle-t-on pas au sacrifice ? Peut-on remettre la « bonne parole » et l’exigence du shitstème en question ? Non. Et nous retrouvons, semble-t-il, cette sorte d’infraction à la Physique – et au physique normal ou normé si on est femme, juif, rom, « étranger », homo, gueule cassée, … -,  grand soutien de la « science économique », infraction dont témoignent les démons et autres diables de la pensée religieuse – dont on comprend ici pourquoi il faudrait aujourd’hui l’évacuer -, infraction qui vient justifier le racisme et les discriminations d’État, voire une sorte d’eugénisme, nés des bonnes conscience et volonté superficielles non fondée sur une recherche éthique.

Prenons soin de nous.

* Diplômé en rien.

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