Une modeste proposition, pour l’Europe et pour la Grèce, par Zébu

Billet invité.

Tous les commentateurs le serinent : le résultat, massif, du référendum grec ne pourra pas passer à la trappe comme auraient pu l’escompter certains, qui pariaient sur un ‘oui’, voir sur un faible ‘non’ qui aurait permis d’imposer les termes d’un rapport de forces quasi inchangé au peuple grec.

Aujourd’hui, ces comptes d’apothicaires ont été soldés.

Mais aujourd’hui aussi, tout reste envisageable : une asphyxie financière renforcée par une restriction de l’accès du système bancaire grec à l’ELA (Emergency Liquidity Assistance) que pourrait décider la BCE aujourd’hui, une asphyxie qui entrainerait alors à très court terme le gouvernement grec à créer une monnaie interne parallèle ou à sortir de l’euro ; ou au contraire le soutien, politique et monétaire, à une reprise des négociations entre les créanciers et le gouvernement grec sur des bases forcément différentes puisqu’elles tiendraient compte du rejet d’un accord mort-né.

Sans oublier enfin la possibilité que les dirigeants européens puissent choisir … de ne pas choisir, soit le choix de laisser pourrir la situation afin que celle-ci s’impose d’elle-même, comme un destin implacable, qui voudrait l’exclusion de la Grèce d’une union monétaire qui n’en aurait alors plus que le nom.

 

Il a donc fallu 5 mois d’une lutte sans merci et une dégradation dramatique de la situation économique et financière de la Grèce pour que s’impose finalement cette évidence : il ne peut y avoir de solution qu’une solution politique et la convocation d’un sommet de la zone euro des chefs d’états et de gouvernement demain soir reconnaît explicitement ce fait.

S’il y a bien une victoire de M. Tsipras, c’est bien celle-ci. Mais cette victoire impose au premier ministre grec un triomphe modeste parce qu’elle a le goût amer de la victoire que l’on aurait souhaité s’épargner.

Et s’il y a bien un ‘exit’ aujourd’hui, c’est bien le départ des ‘extrémistes’ dans le cas grec et des ‘techniciens’ qui n’ont pas fait bouger l’affaire d’un iota (et pour cause, puisque la solution ne pouvait être que politique !) : ‘exit’ M. Samaras, ‘exit’ aussi M. Varoufakis, ‘exit’ enfin l’eurogroupe, en attendant peut-être un ‘exit’ du FMI d’une crise européenne qui n’aurait jamais dû cesser de l’être, strictement européenne.

 

En supposant que le versant positif, à savoir la volonté de sortir par le haut de cette crise, l’emportera sur le rejet ou le pourrissement, deux faces d’un même délitement européen stoppé in extremis hier soir par le vote grec, la question de la dette grecque s’imposera alors d’elle-même dans les discussions, question qui n’a cessé d’être mise sur le tapis par le gouvernement grec depuis son élection et même avant.

Sur ce point, il est indéniable que l’on risque là encore de reproduire les mêmes tensions précédentes et les mêmes rapports de forces, chacun campant sur ses positions : les créanciers refuseront toute restructuration de la dette qui soit un abandon de créances, même partielle, le gouvernement grec refusera tout plan « d’aide » qui ne lie pas autrement qu’avec une vague promesse une restructuration d’une dette que tous les économistes s’accordent à définir comme étant ‘non viable’ pour les grecs, sinon comme modalité spécifique d’une esclavagisme pour dette des générations grecques futures.

 

D’un côté comme de l’autre, on exhibera les efforts et les sacrifices consentis, on se renverra sa légitimité politique, qu’elle soit récente (référendum grec) ou non (créanciers).

Et chacun aura raison, tant sur le plan du logos (logique) que sur le plan politique.

Il y aurait bien pourtant une possibilité de sortir de cette infernale dialectique, incapable de produire le moindre troisième terme qui ne soit qu’une autre version d’un affrontement en cours d’où doit sortir, forcément, un vainqueur et un vaincu.

Il y aurait, peut-être, une modeste proposition à avancer pour l’Europe et pour la Grèce en direction des 3 dirigeants qui ont maintenant en main la possibilité de décider un futur, qu’il soit commun ou séparé pour l’Europe comme pour la Grèce : Mme Merkel, M. Hollande et M. Tsipras.

 

A Mme Merkel, on pourrait rappeler ses hésitations aux débuts de la crise grecque, en octobre 2011, sur la solution à mettre en œuvre, entre une union de transferts et un nouveau ‘haircut’, comme l’a révélé wikileaks sur les écoutes de la NSA. In fine, c’est bien la ‘vision’ de M. Schaüble qui l’emporta mais tardivement, permettant ainsi au secteur financier de négocier pied à pied un plan de restructuration de la dette privée qui permit de sauver celui-ci d’un effondrement qui lui était alors promis, pour être finalement appliqué fin 2012.

On pourrait surtout lui rappeler qu’à l’époque aussi Mme Merkel penchait pour l’instauration d’une taxe européenne sur les transactions financières comme moyen d’assurer une stabilité à un secteur financier jugé comme responsable en grande partie de la crise européenne, mais aussi comme modalité potentielle d’instaurer une union des transferts.

 

A M. Hollande, on pourrait rappeler que son souhait d’instaurer cette TTFE (Taxe sur les Transactions Financières Européennes), qui figurait parmi ses promesses de campagne en 2012 et qu’il a relancé en janvier 2015, pourrait lui servir à assumer ses ambitions nationales et européennes, en proposant que les revenus d’une telle taxe puissent servir à rembourser les dettes grecques envers les créanciers européens (BCE, états européens avec leurs créances bilatérales, MSE).

Encore faudrait-il que M. Hollande impose au secteur financier français autre chose que le succédanée actuel de taxe où les produits dérivés en sont en bonne partie exemptés afin de préserver les intérêts bancaires nationaux : à l’inverse de ce qui fut fait en 2010 et 2012, il faudra bien à un moment donné que l’intérêt commun européen prime sur les intérêts privés nationaux, sans quoi tout discours politique sur l’Europe sera vain.

 

A M. Tsipras enfin, on pourrait lui rappeler, bien qu’il le sache déjà puisqu’il a imposé la démission de son bouillant ministre des Finances M. Varoufakis, que paradoxalement il lui faudra soutenir Mme Merkel (et dans une moindre mesure M. Hollande) face à son opinion publique, chauffée à blanc par des médias allemands diffusant à jet continu les pires stéréotypes sur le peuple grec, lâchement entretenue par une caste politique conservatrice qui n’y voit que des intérêts propres à court terme.

M. Tsipras pourrait ainsi axer son plaidoyer vers l’opinion publique allemande à travers Mme Merkel, non pas pour lui rappeler ce que cette opinion ne veut plus se rappeler, à savoir le défaut sur la dette de 1953 parce que cela oblige les générations actuelles à se replonger dans les fautes passées, mais bien plutôt de rappeler au peuple allemand que s’il fallait sauver le secteur bancaire (notamment allemand) en 2010 de ses fautes, cela fut fait au prix de la perte de tous les bénéfices acquis par la Grèce depuis son entrée dans la zone euro : -25% de PIB. Pire, ce sauvetage des banques n’a pas permis à l’Europe de sortir de la crise et in fine, à l’Allemagne non plus d’en retirer des gains supérieurs.

Il faudra donc expliquer à l’opinion publique allemande, qui n’est pas plus bête que l’opinion publique grecque comme vient de le démontrer le référendum d’hier, qu’il y a un temps pour tout et qu’il est maintenant temps d’exiger des anciens créanciers sauvés de la noyade par les états européens de payer leur dû, parce que le temps où les citoyens devaient payer, qu’ils soient créanciers ou débiteurs, est révolu.

Les citoyens allemands, peuvent comprendre, doivent comprendre que les citoyens grecs ont déjà répondu qu’ils n’iraient pas plus loin, quoi qu’il advienne : ils ont déjà payé le prix de la crise.

Et les citoyens grecs comprennent fort bien que les citoyens allemands refusent aujourd’hui d’en payer le prix.

 

Cette modeste proposition réunie donc les différentes ambitions et solutions de ces trois dirigeants européens sur les bases suivantes :

  • acceptation de la dernière version du plan d’aide par le gouvernement grec
  • sous condition qu’une TTFE dont les revenus serviront à la Grèce à rembourser les créanciers européens soit instituée au plus tard au 1er janvier 2016
  • avec un troisième et dernier plan d’aide financier à la Grèce, le temps que le gouvernement grec puisse faire face au ‘mur de la dette publique’ jusqu’en 2018, plan d’aide qui viendra en priorité à être remboursé par les revenus générés par la TTFE

Ainsi, en quelques années (3 ans), le gouvernement grec pourra mettre en œuvre les véritables réformes structurelles qui permettront à la Grèce de disposer, enfin, d’un véritable état de droit dont les grecs sont en droit d’exiger l’existence tout comme les autres peuples européens sont en droit d’exiger la réalité pour que la confiance puisse renaître en Europe.

En quelques années, les sommes d’une véritable TTFE, qui à l’origine devait récolter quelques 50 milliards d’euros, permettraient d’assurer le remboursement des créances aux états européens concernés, éloignant le risque d’une sortie d’un pays membre de la zone euro et renforçant la monnaie unique, tout en ramenant le niveau de dette publique grecque à un niveau moyen européen (100% par exemple du PIB).

 

Enfin, c’est bien à la naissance d’une véritable union européenne de transferts que l’on assisterait, cette union à laquelle Mme Merkel hésitait en 2011 à se convertir et à laquelle il est encore temps de le faire en 2015 : financée par une taxe sur les acteurs financiers responsables de la crise actuelle (et certainement pas sur les ‘petits épargnants’), instaurée dans l’objectif d’assurer à la fois la solidité d’une union et à la fois l’indépassable solidarité entre ses membres, un tel chantier européen sortirait enfin l’Union Européenne du bourbier des égoïsmes nationaux, de la crise sans fin et du refus de son objet politique dans laquelle l’Europe se complait depuis plus de 20 ans.

 

Cette modeste proposition, pour l’Europe et la Grèce, est lancée à ces trois responsables politiques, qui doivent aujourd’hui et très rapidement dans les jours qui viendront, se montrer à la hauteur des enjeux actuels.

C’est une opportunité, certes politique pour ces responsables, mais c’est surtout une exigence : une exigence des citoyens européens, une exigence face à l’histoire de l’Europe.

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